SCENE 2 – LA PRÉSENTATION DE LA VIERGE AU TEMPLE

La Légende Dorée nous dit qu’à l’âge de trois ans, Anne et Joachim amenèrent Marie, alors sevrée, au Temple de Jérusalem pour y être présentée et consacrée à Dieu. Marie resta dans le Temple jusqu’à ses quatorze ans avant d’en sortir pour y être mariée à Joseph. Le Temple était situé sur une montagne et il fallait gravir quinze degrés pour y accéder, en référence aux quinze psaumes graduels. Malgré son tout jeune âge, Marie s’est libérée de ses parents et a gravi les marches sans leur aide. C’est ce que décrit l’Evangile de la Nativité de la Vierge et qui est représenté dans les 22 peintures dont nous allons parler plus bas.

Cette scène n’est pas de même nature que la Présentation de Jésus au Temple qui adviendra quelques douze ans environ après celle de Marie. Il s’agit dans ce cas d’un rite de la Loi de Moïse tel que le décrit Saint Luc dans son évangile et tel que le reprendra douze siècles plus tard Jacques de Voragine dans la Légende Dorée. Le Lévitique précise que toute nouvelle accouchée reste impure pendant quarante jours (quatre-vingts s’il s’agit d’une fille !) : les sept premiers jours, elle ne peut être touchée par aucun homme, le huitième jour après la naissance du garçon a lieu la circoncision (rite privé et non religieux qui se passe généralement dans la maison paternelle, rendant improbables les nombreuses œuvres qui situent cette scène dans un Temple, interdit à la mère), le reste de la période de quarante jours, elle n’a pas le droit de pénétrer dans le sanctuaire.

Après cette période d’impureté,  la mère devait se rendre au Temple avec son fils (ce n’était pas obligatoire pour les filles !) afin d’accomplir une double cérémonie. La première est celle de sa propre purification (ou relevailles) et c’est la raison pour laquelle cette scène est souvent appelée Purification de la Vierge. La seconde est celle de la présentation de Jésus au Temple pour qu’il y soit consacré et racheté par des offrandes car le premier-né était supposé appartenir à Dieu.

La scène de la Présentation de Marie au Temple figurée dans les peintures présentées ci-dessous se passe dans le Temple. Marie est accompagnée de ses parents. D’autres personnages assistent le plus souvent à la scène. Face à la Vierge, se trouve un escalier qu’elle va gravir seule pour parvenir à l’autel où l’attend le grand prêtre. Les degrés sont un élément clé de la représentation : certains peintres les ont à peine esquissés, d’autres n’ont représenté que quelques marches alors que certains ont mis un point d’honneur à faire figurer les quinze degrés, d’autres enfin semblent s’être amusés à les présenter de façon vertigineuse. L’accent mis sur cet élément architectural explique que cette scène de la Présentation soit parfois appelée Vierge à l’escalier.

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Nelli e del Mazza, Présentation de Marie, Impruneta

 

Les représentations de la Présentation au Temple d’avant 1335, celle de Giotto et des peintres florentins

Dans la mosaïque du monastère de Daphni en Grèce, le grand prêtre est debout dans une chaire de style byzantin. Il se penche vers Marie qui lui est présentée par ses parents. Derrière eux, un groupe de sept jeunes filles portant des cierges allumés accompagne la famille. Ce motif des vierges lampadophores est probablement une réminiscence du rite nuptial ou plus largement des cérémonies religieuses de l’antiquité. Certains textes apocryphes présentent leur présence comme un moyen de renforcer le courage de Marie, bravoure nécessaire pour franchir seule à trois ans les escaliers du Temple. Marie apparaît une nouvelle fois à gauche de la scène dans un fauteuil en marbre, levant les mains vers un ange qui lui tend son pain céleste quotidien. En effet, lors des douze années que Marie a passées dans le Temple, elle était nourrie par un ange qui chaque jour lui apportait un pain. Une coupole, au-dessus de la chaire, symbolise le Temple. Les marches ne sont pas ici représentées.

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Mosaïques de Daphni, Présentation de Marie, Grèce

Giotto à Padoue en 1305 peint une scène très différente : Marie est accompagnée par sa mère jusqu’en haut des marches. Elle est accueillie par le grand prêtre qui lui tend les bras. L’accent est mis sur l’escalier dont on voit mal comment il s’articule avec la structure du Temple, lui-même faisant l’objet d’éléments architecturaux assez étonnants : un deuxième escalier mène à une chaire au niveau d’une coupole pyramidale ; des volumes et des colonnes délimitent des espaces qu’on identifie difficilement.

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Giotto, Présentation de Marie, Padoue

Contrairement à la scène de la Naissance, cette représentation de Giotto ne fixe pas un modèle qu’on verra reproduit plus ou moins fidèlement à Florence. Ce que peint Taddeo Gaddi en 1330 à Santa Croce présente en effet des innovations importantes : Marie monte seule les quinze degrés et se retourne vers nous, l’air triomphant, au milieu du parcours, ses parents la suivant des yeux pendant que le grand prêtre l’attend en haut des marches. On notera que l’escalier est présenté sur trois niveaux et qu’il accentue la prouesse que représente pour une jeune fille de trois ans le fait de le monter seule. Enfin l’architecture du Temple met en évidence une sorte de loge ou tribune dans laquelle se trouve un groupe de jeunes filles. Giovanni da Milano n’a fait que copier cette scène en 1365, dans la même église de Santa Croce. Pietro Nelli et Tommaso del Mazza, à Impruneta près de Florence en 1375, ont peint une scène très proche, avec un escalier toutefois moins tarabiscoté mais bien plus raide et périlleux.

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Taddeo Gaddi, Présentation de Marie, Florence
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Giovanni da Milano, Présentation de Marie, Florence

On trouve des variantes chez Orcagna vers 1350 (l’escalier de quinze marches est présenté frontalement et semble particulièrement raide) et chez Lorenzo Monaco en 1420 qui a dû s’adapter à un format oblong vertical, sans doute difficile à exploiter.

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Orcagna, Présentation de Marie, Florence

 

La Présentation au Temple de l’Ospedale, telle qu’on peut l’imaginer à travers les réalisations des peintres siennois des générations suivantes

On peut faire pour cette scène la même observation que pour la scène de la Naissance.  Si on prend comme acquis que Bartolo di Fredi et Sano di Pietro ont tous les deux copié la fresque de Santa Maria della Scala, leurs représentations sont tellement différentes qu’on peut difficilement imaginer ce que devait être l’original.

Bartolo di Fredi, dans le cycle de l’église de Sant’Agostino à San Gimignano, a représenté la scène sur un seul plan horizontal. Marie est sur la dernière marche du Temple (il n’y en a plus que deux ici !). Elle se tient les bras croisés, se retourne vers Anne alors que le grand prêtre l’accueille et que Joseph commente la scène avec un vieillard (celui de la scène de la Naissance ?). L’architecture du Temple, très simple, est ouverte sur les côtés. Anne et Marie sont encore à l’extérieur du Temple. Le retable de Bartolo conservé à Honolulu est une version très proche, de même que le panneau de prédelle du polyptyque du Couronnement de la Vierge conservé à Cracovie, qui contient quelques variantes mineures.

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Bartolo di Fredi, Présentation de Marie, San Gimignano

On peut rapprocher de ce modèle, avec de nombreuses variantes il est vrai, notamment dans l’architecture du Temple, Andrea di BartoloCristoforo di Bindoccio et Meo di Pero à Campagnatico au nord de Grosseto en 1380, Benedetto di Bindo Zoppo, enfin la prédelle du pseudo Pellegrino di Mariano. Souvent, ici comme ailleurs, de nombreux éléments décoratifs (chaires par exemple) rappellent l’art byzantin qu’on trouve à Daphni.

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Bindoccio e di Pero, Présentation de Marie, Campagnatico

Sano di Pietro de son côté, dans la prédelle conservée au Vatican, a peint une scène bien différente : le Temple englobe un escalier frontal qui accède à l’autel, une petite loge au pied du grand prêtre accueille un groupe de jeunes filles. Une variante assez proche se trouve dans la Collegiata de San Quirico d’Orcia. En fait, ce modèle semble provenir de la fresque de 1360 de Lippo Vanni à San Leonardo al Lago, près de Monteriggioni dans la province de Sienne : même importance conférée à l’architecture du Temple, même tribune à droite de l’autel. Ce modèle se retrouvera très fréquemment dans la peinture siennoise : chez Niccolò di Buonaccorso vers 1380, Paolo di Giovanni Fei à la fin du Trecento, enfin deux fois chez Giovanni di Paolo vers 1430, dans la prédelle détenue à Banbury et dans le retable de la Pinacothèque de Sienne (représentation en partie détournée de son original par l’introduction de personnages insolites).

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Sano di Pietro, Présentation de Marie, Vatican
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Lippo Vanni, Présentation de Marie, San Leonardo al Lago

 

En guise de conclusion sur cette scène de la Présentation au Temple

Cette scène, fréquemment représentée à Florence comme à Sienne, présente de nombreuses similitudes, tout au moins dans la présence des personnages. Par contre, les différences proviennent des éléments architecturaux, la structure du Temple et de son escalier principalement. Autant Florence, après Giotto, est restée sur le même modèle (un grand escalier plus ou moins périlleux menant au grand prêtre, Marie au milieu des marches), autant Sienne a varié les représentations.

Dès lors, si on essaie d’imaginer ce qu’a pu être la fresque de l‘Ospedale della Scala, il est impossible de dire si c’est la représentation de Bartolo di Fredi (à San Gimignano ou Montalcino) qui l’évoque le mieux, ou si c’est au contraire celle de Lippo Vanni à San Leonardo al Lago.

Deux exemples enfin pour montrer comment certains détails ont pu circuler au cours des périodes, d’un lieu à l’autre. On retrouve Marie avec les bras croisés dans presque toutes les représentations siennoises, que ce soit dans les modèles inspirés de Bartolo di Fredi ou ceux de Lippo Vanni. Gageons que ce détail provient de la fresque de l’Ospedale. De même on retrouve la petite loge à droite avec le groupe de jeunes filles dans un grand nombre de représentations, certaines antérieures aux fresques de l’Ospedale : à Florence à partir de Giotto et surtout de Taddeo Gaddi en 1330, comme à Sienne chez Bartolo di Fredi et Lippo Vanni.

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Paolo di Giovanni Fei, Présentation de Marie, Washington

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