Croix peinte

On appelle Croix peinte (Croce dipinta) une représentation du Christ figuré sur un support détouré et mis au format de la croix latine [1]Ce type de représentation est également qualifié de Crucifix peint (Crocifisso dipinto) ou de Christ en croix (Crocifisso).. Plus économique à réaliser qu’une sculpture, ces différents types de croix, lorsqu’elles étaient de grand format, étaient le plus souvent suspendues au dessus du maître-autel, à la limite de la croisée du transept où se tenaient les fidèles, et de l’abside où siégeait le clergé.

Selon la chronologie établie par l’historienne de l’art anglaise Evelyn Sandberg Vavalà [2]Evelyn SANDBERG VAVALÀ, La croce dipinta italiana e l’iconografia della passione, Vérone, Apollo, 1929., les deux plus anciennes croix peintes connues à ce jour sont celle, d’une part, conservée à Sarzana, datée de 1138, de la main de ‘Maître Guglielmo’ [3]Mastro Guglielmo (« Maître Guglielmo ») est le nom de convention d’un maître anonyme italien du début du XIIe siècle, auteur du crucifix dit de ‘Mastro Guglielmo’, daté et signé, conservé aujourd’hui dans la concathédrale Santa Maria Assunta de Sarzana., et celle, d’autre part, plus tardive, conservée à Spoleto, réalisée par Alberto Sozio, et datée de 1187. La chronologie établie par Sandberg Vavalà au début du XXe s. n’a pas été modifiée par la découverte ultérieure de spécimens qui seraient plus anciens avec certitude.

La croix peinte connait un grand succès en Toscane à l’époque médiévale et les artistes les plus importants (Coppo di Marcovaldo, Cimabue, Giotto, Duccio, …) exécutent des chefs-d’œuvre sur ce thème. Avec le temps, le modèle iconographique du Christ évolue, de même que la structure générale de l’image, pour aboutir, au XIVe siècle, à un nouveau type de croix peinte et détourée au format de la croix (Croce dipinta e sagomata), essentiellement fondée sur la recherche d’un plus grand réalisme (Ambrogio et Pietro Lorenzetti, Lorenzo Monaco, Taddeo di Bartolo, …).

structure et TYPOLOGIE DES CROIX PEINTES

D’une manière générale, le support en bois est détouré selon la forme d’une croix latine et présente différentes « extensions », les tabelloni et les capocroce. Les tabelloni se trouvent dans la partie centrale : celle-ci s’élargit sous les bras de la croix en deux panneaux latéraux, pour faire place à des scènes historiées ou aux figures de Marie et de Jean, que la tradition religieuse présente tous les deux comme les témoins oculaires de la crucifixion de Jésus. Leurs dimensions sont inférieures à celles du Christ selon un critère de représentation fondé hiérarchiquement. De part et d’autre de la croix, la Madone et Jean sont en pleurs [4]Ils désignent parfois le Christ de la main, invitant les fidèles à regarder et à se recueillir..

Dans les deux capocroce que constituent les compartiments situés aux extrémités du patibulum se trouvent tantôt des anges, tantôt les quatre figures du tétramorphe, tantôt les figures éplorées de Marie et de Jean [5]Pittore duccesco del secondo decennio del TrecentoCrocifisso, Sienne, Pinacoteca Nazionale. lorsqu’elles sont absentes des tabelloni centraux [6]Dans ce cas, les deux figures sont déplacées aux extrémités du patibulum.

Au sommet du montant de la croix (ou stipes crucis) apparaît une représentation du titulus dans lequel on peut lire l’habituelle inscription sarcastique visant à ridiculiser le crucifié. Parfois, au dessus du titulus, la croix est surmontée d’une représentation supplémentaire en clipeus. Il s’agit en général de la figure du Christ bénissant mais on rencontre également des exemples de croix peintes dans lesquelles ce compartiment contient la représentation d’un pélican nourrissant ses petits, de l’Ascension ou, plus rarement de la Vierge.

Au bas de la croix, sous le suppedaneum, peuvent apparaître :

  • l’image d’un saint agenouillé devant la croix, parfois agrippé à celle-ci
  • un monticule supposé représenter une colline [7]Cette colline représente la synthèse de trois lieux symboliques importants : l’Eden, le mont Moriah où eut lieu le sacrifice d’Abraham et le Calvaire, ou Golgotha, sur lequel Jésus a été crucifié.
  • un crâne [8]Le crâne est un symbole universel de la mort mais constitue également une référence au crâne d’Adam. En ce sens, il évoque nécessairement la mort devenue inhérente au monde depuis que le diable a incité Adam à pécher. La symbolique du sang du Christ jaillissant du flanc du crucifié, que l’on voit parfois s’écouler entre les mâchoires du crâne, indique le sacrifice d’un … Poursuivre
  • plus rarement, les reniements de saint Pierre symbolisés par un coq chantant (parfois même la scène même des reniements : voir la Croce dipinta du ‘Maestro del Bigallo’ ou le Cristo crocifisso de Berlinghero Berlinghieri)
ICONOGRAPHIE DU CHRIST DANS LES CROIX PEINTES En Italie centrale Aux XIIE ET XIIIE S.
Artiste pisan, « Christus triumphans et scènes cristologiques ». Pise, Museo Nazionale di San Matteo.

L’époque byzantine privilégie un type de représentation connu sous le nom de Christus triumphans (Christ triomphant) : le Christ, qui apparaît détaché de toute souffrance, vivant et triomphant sur la mort, est représenté :

  • les yeux grands ouverts, le regard tourné vers le spectateur
  • le corps redressé (il semble davantage se tenir debout devant la croix qu’y être attaché)
  • ses deux pieds légèrement écartés, posés sur le suppedaneum
  • sauf exception, aucune trace de sang n’est visible sur son corps ; les plaies sont peu visibles et traitées de manière presque abstraite

Quelques exemples :

Giunta Pisano, « Christus patiens entre la Madone et saint Jean dolents ». Pise, Museo Nazionale di San Matteo.

A la fin du XIIIe siècle, à Florence, Cenni di Pippo, dit ‘Cimabue’, invente le type du Christ résigné (Christus patiens) [9]L’apparition de ce type de figuration n’est pas subite. Jacques Le Goff rappelle que l’image du Christ souffrant, appelée à remplacer celle du Christ en gloire, est apparue avant François d’Assise, même si le rôle du Poverello se révèle essentiel dans la diffusion de ce type de figuration. C’est devant le grand Crucifix de San Damiano (XIIe siècle), désormais … Poursuivre. Le Christ, dorénavant, n’est plus représenté indifférent à la souffrance, royal et triomphant, comme à l’époque byzantine ; il apparaît comme un homme marqué par la douleur, au moment d’expirer, victime d’un destin commun à tous les mortels ; toute sa physionomie rend compte d’une souffrance visible ; son corps porte les traces des blessures  qui lui ont été infligés  ; il est représenté :

  • la face tournée vers le sol, les traits émaciés, les yeux clos, comme s’il était déjà saisi par la mort
  • le corps affaissé
  • présentant aux mains, aux pieds et sur le flanc droit des plaies sanguinolentes

Les ornements géométriques qui parfois remplacent les figures humaines au sein des tabelloni centraux, outre leur caractère décoratif, symbolisent la croix en tant qu’autel sur lequel est sacrifié le Christ.

Quelques exemples :

Iconographie du Christ après le XIIIe s.

A partir du milieu du XIVe siècle se développe un type particulier de crucifix peint de manière plus ou moins réaliste, dont le format est détouré (Croce sagomata e dipinta) selon le profil du corps du Christ de manière à accentuer la dimension réaliste de l’image.

On voit parfois des cartels portant la signature du peintre sur certains panneaux peints au bas de la croix.

Quelques exemples :

Notes

Notes
1 Ce type de représentation est également qualifié de Crucifix peint (Crocifisso dipinto) ou de Christ en croix (Crocifisso).
2 Evelyn SANDBERG VAVALÀ, La croce dipinta italiana e l’iconografia della passione, Vérone, Apollo, 1929.
3 Mastro Guglielmo (« Maître Guglielmo ») est le nom de convention d’un maître anonyme italien du début du XIIe siècle, auteur du crucifix dit de ‘Mastro Guglielmo’, daté et signé, conservé aujourd’hui dans la concathédrale Santa Maria Assunta de Sarzana.
4 Ils désignent parfois le Christ de la main, invitant les fidèles à regarder et à se recueillir.
5 Pittore duccesco del secondo decennio del TrecentoCrocifisso, Sienne, Pinacoteca Nazionale.
6 Dans ce cas, les deux figures sont déplacées aux extrémités du patibulum.
7 Cette colline représente la synthèse de trois lieux symboliques importants : l’Eden, le mont Moriah où eut lieu le sacrifice d’Abraham et le Calvaire, ou Golgotha, sur lequel Jésus a été crucifié.
8 Le crâne est un symbole universel de la mort mais constitue également une référence au crâne d’Adam. En ce sens, il évoque nécessairement la mort devenue inhérente au monde depuis que le diable a incité Adam à pécher. La symbolique du sang du Christ jaillissant du flanc du crucifié, que l’on voit parfois s’écouler entre les mâchoires du crâne, indique le sacrifice d’un Dieu qui vainc la mort et apporte la promesse de la vie éternelle.
9 L’apparition de ce type de figuration n’est pas subite. Jacques Le Goff rappelle que l’image du Christ souffrant, appelée à remplacer celle du Christ en gloire, est apparue avant François d’Assise, même si le rôle du Poverello se révèle essentiel dans la diffusion de ce type de figuration. C’est devant le grand Crucifix de San Damiano (XIIe siècle), désormais conservé au couvent de Santa Chiara, à Assise, que François avait coutume, quant à lui, de méditer (Jacques Le GoffSaint François d’Assise. Paris, Gallimard, 1999, p. 88).

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