Nativité

Selon la tradition, le récit de la Nativité [1]Lorsqu’il est employé hors de tout contexte, et orthographié avec une majuscule, le mot Nativité réfère nécessairement à la naissance de Jésus. Outre la venue au monde de Jésus, il n’est utilisé dans la Bible que pour désigner celle de Marie ainsi que celle de Jean l’Évangéliste. Pour tous les autres, c’est le vocable naissance, et non celui de … Poursuivre raconte la naissance du Christ [2]Christ, du grec Christos : « oint du Seigneur », c’est-à-dire le Messie., événement miraculeux annoncé par un ange, et qui, par convention, marque le début de l’ère chrétienne.

L’événement, pourtant majeur, est purement et simplement absent dans les récits de deux sur quatre des évangélistes. Matthieu, le mentionne très brièvement. Seul le récit proposé par Luc fait l’objet d’un développement significatif. Ce récit « débute par l’évocation du recensement ordonné par César Auguste qui oblige Joseph, de descendance davidique, à quitter Nazareth pour se rendre dans sa ville d’origine, Bethléem. Celui-ci effectue le voyage en compagnie de son épouse, Marie, qui attend un enfant. Pendant le séjour du couple à Bethléem, Marie arrive au terme de sa grossesse et enfante un fils. Le lieu dans lequel l’accouchement se déroule n’est pas indiqué, mais il est permis de supposer qu’il s’agit d’un endroit utilisé pour parquer des animaux puisque l’auteur rapporte que la Vierge enveloppe son enfant dans des langes avant de le déposer dans une crèche. Le lecteur apprend que la famille est logée dans ce lieu précaire car l’hôtellerie de la ville ne disposait plus d’aucune place. » [3]Séverine FERRANO, Les images de la vie terrestre de la Vierge dans l’art mural (peintures et mosaïques) en France et en Italie. Des origines de l’iconographie chrétienne jusqu’au Concile de Trente, mise en ligne : https://nuxeo.u-bourgogne.fr/nuxeo/site/esupversions/17fe4751-4062-42ea-ad2f-f4128184e83e#page419

À partir du XIVe s., la diffusion d’une vision de sainte Brigitte de Suède (1302-1373) donne lieu à une évolution de l’iconographie : la Vierge adorant à genoux l’Enfant devient une variante de l’événement de la Nativité avant que, peu à peu, l’image de l’Adoration de l’Enfant-Jésus ne vienne prendre le pas sur celle de la naissance de Jésus proprement dite.

I. Sources écrites de l’épisode

Voir lien ci-dessus.

Duccio di Buoninsegna, « Nativité et Adoration des bergers » (Compartiment de l’une des deux prédelles de la « Maestà »). Washington, National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection
II. Iconographie de la Nativité

« On sait que l’iconographie de la Nativité connaît entre le XIVe et le XVe siècle une évolution significative : on passe de la représentation dite ’byzantine’ dans laquelle la Vierge est allongée au repos, l’Enfant étendu dans la crèche, et saint Joseph assis au pied ou à la tête de la couche de Marie, en général un peu à l’écart (Duccio di Buoninsegna, Nativité et Adoration des bergers, Washington, National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection, fig. ci-dessus), à celle de l’Adoration de l’Enfant, inspirée semble-t-il par les Révélations de Brigitte de Suède, dans laquelle les deux parents sont agenouillés et les mains jointes, de façon presque symétrique, au-dessus de l’Enfant couché nu sur le sol. Ce type est très largement majoritaire dans la deuxième moitié du XVe siècle. Il se diffuse à partir des années 1420-1430, mais on en trouve déjà quelques exemples au XIVe siècle. [4]Paul PAYAN, « Ridicule ? L’image ambiguë de saint Joseph à la fin du Moyen Âge », dans Médiévales, Année 2000, 39, pp. 96-111. ».

Les détails se rapportant à la vie quotidienne sont très tôt multipliés dans la peinture siennoise, opérant pour une part le charme particulier qui en est l’une des caractéristiques.

  • L’Enfant-Jésus

Acteur principal de la Nativité, il est représenté, nu ou enveloppé dans un lange, selon une grande variété d’attitudes. Une lumière surnaturelle émane de l’Enfant-Jésus. L’auréole crucifère dont il peut être nimbé évoque à la fois son futur destin d’homme et son statut particulier d’Enfant divin.

Une lumière surnaturelle irradie du corps de l’Enfant, éclipsant toute autre lumière : celle du soleil dans le ciel au petit matin comme celle de la bougie de Joseph (voir Joseph ci-dessous).

  • Marie

Dans les plus anciennes représentations, Marie est allongée sur une couche de couleur rouge. A l’instar de toutes les accouchées, elle prend un peu de repos.

Après la diffusion des Révélations de Brigitte de Suède [5]« Le texte de la vision à Bethléem […] a la particularité d’avoir été exploité tout de suite après sa mort pour la réalisation de plusieurs retables et fresques de la Nativité incluant la figure de Brigitte de Suède et plusieurs détails du texte. » Giulia Puma, Les Nativités italiennes (1250-1450). Une histoire d’adoration, Rome, École française de Rome, Collection de … Poursuivre, la Vierge adopte l’attitude de l’oraison devant le nouveau-né. Plusieurs autres détails, différents de l’iconographie traditionnelle, correspondent à la « vision de Bethléem » [6]« […] elle mit au monde son fils, de qui sortait une lumière tellement ineffable que le soleil ne lui était pas comparable, ni la chandelle que le vieillard avait posée ne diffusait plus aucune clarté, parce que la lumière divine avait annihilé complètement la lumière matérielle de la chandelle. » Brigitte de Suède, Les Révélations célestes, VII, 21. : la Vierge est vêtue de blanc (elle a déposé son manteau) et laisse flotter ses cheveux sur ses épaules.

  • Joseph

Jusque tardivement, Joseph semble demeurer à l’écart et ne prendre part à la scène qu’avec réticence. Les Apocryphes ont largement contribué à créer ce type iconographique en argumentant sur le doute de Joseph quant au caractère miraculeux de la maternité de la Vierge, son épouse, doute qui perdurera jusqu’à ce qu’un ange lui rende visite [7]Il faudra attendre la seconde visite de l’ange pour que Joseph soit rassuré sur ce point.. Le motif de la bougie de Joseph, issu des Révélations de Brigitte de Suède, apparaît dans certaines scènes, principalement celles sorties des ateliers des peintres que l’histoire de l’art qualifie de primitifs flamands [8]Sur ce détail comme sur d’autres, voir : Robert Campin, La Nativité. Dijon, Musée des Beaux-arts..

  • Les sages femmes

Dans un souci de précision typique de l’art siennois, des sages femmes peuvent participer à la scène afin d’y jouer leur propre rôle. Leur présence est induite par le récit du pseudo-Matthieu, qui met en scène deux sages-femmes, Zélémi et Salomé. Incrédule, cette dernière ose vérifier manuellement que Marie est toujours vierge après la naissance [9]« Certes, moi je n’y croirai pas, à moins que je ne l’aie constaté moi-même. » Et, s’étant approchée de Marie, elle lui dit : « Permets que je t’examine, afin que je sache si les paroles que Zahel m’a adressées sont vraies. » Évangile du pseudo-Matthieu, XIV, 4.. À l’instant, sa main droite se dessèche. Mais un ange, lui commande de toucher l’Enfant : elle guérit aussitôt [10]Pseudo-Matthieu, Livre de la naissance de la naissance de la bienheureuse Vierge Marie et de l’enfance du Sauveur, XIV, 4-5..

Protévangile de Jacques [11]Le Protévangile de Jacques est un apocryphe du IIe s. Son titre usuel (*) lui a été donné pour la première fois en 1552, lors de la diffusion de sa première traduction latine, car il porte sur des événements antérieurs à ceux qui sont relatés dans les Évangiles canoniques. Voir texte du Protévangile de Jacques. (*) « Protévangile » : « qui se situe au … Poursuivre : celui-ci les fait intervenir pour constater la virginité de Marie.

Dès lors que les sages femmes qui lui donnent son premier bain sont présentes [12]La scène où l’on voit la sage-femme et son aide baignant le nouveau-né est introduite dans l’iconographie de la Nativité à partir du VIIe siècle., l’enfant Jésus peut être figuré deux fois : une première fois dans sa couche, une seconde aux mains des femmes.

  • La crèche (mangeoire)

Initialement mangeoire pour animaux dans laquelle, selon l’Évangile de Luc l’enfant Jésus est déposé après sa naissance, la crèche tend peu à peu à évoquer l’idée d’un tombeau avant que la représentation de celui-ci ne devienne parfaitement explicite au XVe siècle. A ce stade de l’évolution, le tombeau devient lui-même le symbole prémonitoire de la Passion du Christ.

  • Le lieu de l’action

La crèche doit-elle être située dans une grotte ou dans une étable ? Dans les arts visuels, il est impossible d’échapper à la description du lieu de l’action dès lors que l’enjeu de l’image est de raconter une histoire. C’est pour répondre aux besoins de la narration que l’événement est localisé. Cependant, ce lieu n’est pas mentionné dans l’Évangile selon Luc. Celui-ci dit, sans plus de précision, que la Vierge « accoucha son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’ils manquaient de place dans la salle commune » [13]Lc 2, 7.. Fort heureusement, les Apocryphes viennent une nouvelle fois au secours des peintres en leur permettant de situer la Nativité dans l’un ou l’autre de ces lieux, tous deux mentionnés dans le Protévangile de Jacques : « Deux jours après la naissance du Seigneur, Marie quitta la grotte, entra dans une étable […] [14]Pseudo-Matthieu, op. cit., XIV.. » Certains peintres résolvent le dilemme de devoir choisir en figurant la scène dans un endroit qui peut être à la fois une grotte et une étable, parfois même une grotte contenant une étable [15]Voir : Duccio di Buoninsegna, Nativité et Adoration des Bergers, Washington, National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection.(figure ci-dessus)..

  • Le chœur des anges

Le chœur des anges figure au-dessus de la crèche de l’Enfant-Jésus, conformément aux récits de Luc et du Pseudo-Matthieu.

  • Le bœuf et l’âne

Le bœuf et l’âne sont des acteurs indispensables de la scène [16]Leur présence est mentionnée dans les textes canoniques comme dans la littérature qui en fait l’exégèse, dans laquelle on peut lire qu’ils furent parmi les premiers à s’agenouiller devant l’enfant…. Apparues dès le IVe s. dans l’iconographie de la Nativité, les deux bêtes interprètent peut-être par leur présence le texte d’un verset d’Isaïe : « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître : Israël ne connaît rien, mon peuple n’a point d’intelligence. » [17]Es 1, 3.. Selon le ‘Pseudo-Matthieu’, « […] deux jours après la naissance du Seigneur, Marie quitta la grotte, entra dans une étable et déposa l’enfant dans une crèche, et le bœuf et l’âne, fléchissant les genoux, adorèrent celui-ci. Alors furent accomplies les paroles du prophète Isaïe […], et ces animaux, tout en l’entourant, l’adoraient sans cesse. Alors furent accomplies les paroles du prophète Habaquq disant : ‘Tu te manifesteras au milieu de deux animaux.’ (Ha 3, 2) Et Joseph et Marie, avec l’enfant demeurèrent au même endroit pendant trois jours [18]Voir : Pseudo Matthieu, Livre de la naissance de la naissance de la bienheureuse Vierge Marie et de l’enfance du Sauveur, XIV.. »

  • L’étoile

Le symbole de l’étoile présente dans la Nativité comme dans les deux scènes d’Adoration est mentionné par Isaïe, qui écrit : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière », évoquant la lumière que Dieu est réputé apporter à l’univers et qu’il est lui‑même. L’Apocalypse est plus explicite : « La cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine, et son flambeau, c’est l’Agneau » (Ap 21, 23 ). Un peu plus loin on lit : « Moi, Jésus […], je suis le rejeton et la lignée de David, l’étoile brillante du matin » (Ap 22, 16). On retrouve ce même langage chez Luc : « C’est l’effet de la bonté profonde de notre Dieu ; grâce à elle nous a visité l’astre levant venu d’en haut, il est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l’ombre de la mort » (Lc 1, 78).

  • Dieu

La présence divine à l’événement de la Nativité est induite par un certain nombre de symboles qui vont de l’étoile à la colombe de l’Esprit Saint, et qui peut aussi être signifiée, comme chez Duccio (figure ci-dessus), par une portion de cercle de couleur bleue dont la plus grande partie est dissimulée hors champ.

  • Les bergers

La présence des bergers dans la scène de la Nativité est assez fréquente et ne surprend pas puisque ce sont eux qui, selon les textes de référence, ont été informés les premiers de l’événement qui vient d’avoir lieu.

III. Épisodes secondaires

L’épisode de la Nativité stricto sensu réfère au moment de la naissance de l’Enfant-Jésus, celui de l’Adoration de l’Enfant pouvant être considérée comme une variante de la scène. Les sources textuelles ont conduit à définir différents sous-épisodes qui ont eu une incidence certaine sur l’iconographie de cette scène dans les arts visuels.

Notes

Notes
1 Lorsqu’il est employé hors de tout contexte, et orthographié avec une majuscule, le mot Nativité réfère nécessairement à la naissance de Jésus. Outre la venue au monde de Jésus, il n’est utilisé dans la Bible que pour désigner celle de Marie ainsi que celle de Jean l’Évangéliste. Pour tous les autres, c’est le vocable naissance, et non celui de Nativité, qui est utilisé.
2 Christ, du grec Christos : « oint du Seigneur », c’est-à-dire le Messie.
3 Séverine FERRANO, Les images de la vie terrestre de la Vierge dans l’art mural (peintures et mosaïques) en France et en Italie. Des origines de l’iconographie chrétienne jusqu’au Concile de Trente, mise en ligne : https://nuxeo.u-bourgogne.fr/nuxeo/site/esupversions/17fe4751-4062-42ea-ad2f-f4128184e83e#page419
4 Paul PAYAN, « Ridicule ? L’image ambiguë de saint Joseph à la fin du Moyen Âge », dans Médiévales, Année 2000, 39, pp. 96-111.
5 « Le texte de la vision à Bethléem […] a la particularité d’avoir été exploité tout de suite après sa mort pour la réalisation de plusieurs retables et fresques de la Nativité incluant la figure de Brigitte de Suède et plusieurs détails du texte. » Giulia Puma, Les Nativités italiennes (1250-1450). Une histoire d’adoration, Rome, École française de Rome, Collection de l’École française de Rome 562, 2019, « La Nativité selon les visions de Sainte Brigitte de Suède », pp. 117-156.
6 « […] elle mit au monde son fils, de qui sortait une lumière tellement ineffable que le soleil ne lui était pas comparable, ni la chandelle que le vieillard avait posée ne diffusait plus aucune clarté, parce que la lumière divine avait annihilé complètement la lumière matérielle de la chandelle. » Brigitte de Suède, Les Révélations célestes, VII, 21.
7 Il faudra attendre la seconde visite de l’ange pour que Joseph soit rassuré sur ce point.
8 Sur ce détail comme sur d’autres, voir : Robert Campin, La Nativité. Dijon, Musée des Beaux-arts.
9 « Certes, moi je n’y croirai pas, à moins que je ne l’aie constaté moi-même. » Et, s’étant approchée de Marie, elle lui dit : « Permets que je t’examine, afin que je sache si les paroles que Zahel m’a adressées sont vraies. » Évangile du pseudo-Matthieu, XIV, 4.
10 Pseudo-Matthieu, Livre de la naissance de la naissance de la bienheureuse Vierge Marie et de l’enfance du Sauveur, XIV, 4-5.
11 Le Protévangile de Jacques est un apocryphe du IIe s. Son titre usuel (*) lui a été donné pour la première fois en 1552, lors de la diffusion de sa première traduction latine, car il porte sur des événements antérieurs à ceux qui sont relatés dans les Évangiles canoniques. Voir texte du Protévangile de Jacques.

(*) « Protévangile » : « qui se situe au commencement de » ou « qui est immédiatement antérieur à » l’Évangile.

12 La scène où l’on voit la sage-femme et son aide baignant le nouveau-né est introduite dans l’iconographie de la Nativité à partir du VIIe siècle.
13 Lc 2, 7.
14 Pseudo-Matthieu, op. cit., XIV.
15 Voir : Duccio di Buoninsegna, Nativité et Adoration des Bergers, Washington, National Gallery of Art, Andrew W. Mellon Collection.(figure ci-dessus).
16 Leur présence est mentionnée dans les textes canoniques comme dans la littérature qui en fait l’exégèse, dans laquelle on peut lire qu’ils furent parmi les premiers à s’agenouiller devant l’enfant…
17 Es 1, 3.
18 Voir : Pseudo Matthieu, Livre de la naissance de la naissance de la bienheureuse Vierge Marie et de l’enfance du Sauveur, XIV.

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