‘Il Vecchietta’, « Allegoria delle origini dell’Ospedale della Scala »

Lorenzo di Pietro dit ‘Il Vecchietta’ (Sienne, 1410-1480)

Allegoria delle origini dell’Ospedale della Scala ou Sogno della madre del Beato Sorore (Allégorie des origines de l’Hôpital de Santa Maria alla Scala ou Le rêve de la mère du Bienheureux Sorore), 1441.

Fresque

Provenance : In situ.

Sienne, Santa Maria della Scala.

La scène, une Allégorie des origines de l’Hôpital della Scala, est incompréhensible sans quelques clés indispensables. En premier lieu, il faut savoir que les origines du Santa Maria della Scala, telles que décrites dans l’œuvre, sont purement légendaires, de même que le Bienheureux Sorore, son fondateur tout aussi improbable, dont la première mention documentée de l’Histoire se trouve, en fait, dans la fresque du Vecchietta que nous avons sous les yeux (!). C’est probablement lors de la conception du programme décoratif de la salle du Pellegrinaio qu’il fut décidé de construire la légende du fondateur afin de minimiser autant que possible l’influence des religieux sur le fonctionnement de l’Hôpital, en en attribuant la fondation à un laïc. Il semble que l’occasion qui permit ce subterfuge fut la découverte, dans la Chapelle du Manto toute proche, d’une ancienne tombe sur laquelle fut déchiffrée l’inscription « B. SORORE ». Cette inscription fournit très opportunément le nom du fondateur enfin retrouvé. Il aurait vécu dans le lointain IXe siècle. On ne tarda pas à publier qu’il était également cordonnier de profession, ce qui permettait de faire d’une pierre, deux coups : le fondateur était un laïc et non un religieux et, d’autre part, il n’avait rien à voir avec l’aristocratie siennoise, elle aussi trop encline à se mêler de la gestion des affaires.

Le Vecchietta est donc à la fois l’illustrateur d’une légende et l’auteur de cette dernière. Dans la fresque, on distingue un homme agenouillé, faisant un signe qui semble vaguement indiquer qu’il se passe quelque chose exactement au-dessus de lui : à cet endroit, on voit en effet trois enfants, trois bébés entièrement nus, escaladant vaillamment une haute échelle au sommet de laquelle ils sont accueillis par une jeune femme. Celle-ci se révèle évidemment être la Vierge Marie entourée d’anges, qui se penche vers eux depuis les cieux pour les recueillir. Depuis les cieux ? L’endroit où elle se trouve correspond à l’emplacement de la coupole que l’on rencontre habituellement à la croisée du transept dans un édifice de ce type. Mais, ici, la coupole s’est ouverte à la manière d’un couvercle, et l’on voit la Vierge se pencher sur le bord du tambour de la coupole absente, comme elle le ferait naturellement depuis un balcon, vers l’intérieur de l’église qui se situe en contrebas. L’intérieur de l’église est empli de personnages semblant, pour la plupart, indifférents à ce qui se passe au-dessus de leur tête. Tous les éléments de la scène sont en place. Il reste à en comprendre le sens général.

Pour cela, il importe de revenir à la légende que l’on raconte encore à Sienne. Selon cette légende, la fondation immémoriale de l’institution hospitalière de Santa Maria della Scala aurait fait l’objet d’un rêve prémonitoire : juste avant d’accoucher du futur Bienheureux, la mère de Sorore aurait vu en songe la destinée de son enfant à naître. D’une certaine manière, ce que nous voyons ici, c’est le rêve de la mère du Bienheureux Sorore. Ces petits enfants, ces putti qui escaladent des hauteurs invincibles et qui vont bientôt être recueillis et secourus un à un par la Vierge sont le symbole des enfants abandonnés en bas âge. Dans son rêve fabuleux, la piété de la mère de Sorore lui fit voir son fils montant sur d’immenses échelles érigées vers le ciel et permettre à son fils de remettre un à un, en d’innombrables allers-retours, ces enfants dans les bras protecteurs de la Vierge. Ce détail important n’apparaît pas dans l’œuvre. Son absence rend la compréhension plus délicate. Toujours est-il que cette femme déduisit de sa vision nocturne que l’enfant à naître serait donc entièrement voué à la mise en œuvre d’actions charitables, dont la principale serait consacrée au secours des enfants-trouvés. De là devait nécessairement s’ensuivre la fondation légendaire de l’Ospedale.

Le thème de la fondation de l’Ospedale est légendaire mais il est très important sur le plan idéologique. Il est représenté ici, nous l’avons vu, à l’intérieur d’une église. L’aspect de cette église, à l’instar du songe de la mère du « Beato Soror », est elle aussi rêvée. Aucune église de ce style n’existe en Italie, ni ailleurs, au début du XVe siècle, sauf, sans doute, dans l’esprit de quelques architectes de génie (l’architecture est un métier qu’exerça aussi le Vecchietta ; on ne sera pas surpris de l’apprendre) : nous sommes dans un bâtiment qui préfigure ce que pourrait être, ou ce que sera l’architecture religieuse de la Renaissance, fondée sur un emprunt à l’architecture gréco-romaine dont l’arcade du premier plan, apparentée à un arc de triomphe, est un bon exemple. Dans cet édifice dont l’intérieur est présenté de manière rigoureusement perpendiculaire au plan de la représentation, trois nefs séparent trois scènes distinctes (le mot scène, ici, convient particulièrement bien, tant l’action semble se dérouler sur le plateau d’un théâtre empli de personnages occupant le proscenium, définissant ainsi une configuration dans laquelle nous nous inscrivons mentalement du fait de notre position relative avec la fresque). Au centre, agenouillé devant l’évêque, tournant le dos au spectateur, Sorore est visiblement en train de raconter le rêve de sa mère (nous en connaissons dorénavant le contenu) tandis qu’à l’avant-scène, deux jeunes gens richement vêtus nous rappellent le rôle de la riche aristocratie siennoise dans le financement de l’action charitable ; à gauche, un petit groupe de personnages âgés, habillés de vêtements exotiques, observe en écoutant la narration de Sorore ; à droite, une seconde saynète nous présente une nouvelle fois l’évêque : un jeune enfant s’accroche à sa soutane, semblant l’implorer, tandis que ce même évêque offre à Sorore l’argent grâce auquel mettre en œuvre la fondation du Santa Maria della Scala. Ainsi, sans aucun souci du respect de l’unité de temps, Vecchietta montre, dans un même lieu, deux moments distincts, la cause et l’effet, le rêve de la mère du fondateur et le moment crucial de la fondation de l’Hôpital grâce à un financement dorénavant rendu possible.

L’historien de l’art hollandais H. W. van Os a livré une autre interprétation de cette fresque qui, sans vraiment contredire la précédente, apporte un éclairage intéressant puisqu’il y voit, non pas une allégorie de la fondation de l’Hôpital mais le symbole d’une consécration à la Vierge des enfants-trouvés, soulignant ainsi le rôle essentiel de l’éducation religieuse dispensée entre les murs de l’Institution.

La décoration sculptée de l’édifice religieux où se déroule la scène participe également au discours muet de l’œuvre, et l’on peut parier que l’identification des portraits sculptés dans les oculus de l’arche centrale, de même que celle des bas-reliefs figurant au-dessus des arcades secondaires (on reconnaît, à gauche, Adam et Ève et le Péché originel, à droite Abel et Caïn), permettrait à coup sûr d’en augmenter le contenu et la portée .

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