Ambrogio Lorenzetti, « Allégorie du Mauvais Gouvernement »

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Ambrogio Lorenzetti (Sienne, né vers 1290, documenté de 1319 à 1348)

Allegoria del Cattivo Governo (Allégorie du Mauvais Gouvernement), 1338-1339.

Fresque : 200 x 1440 cm [1]Ces dimensions s’entendent pour l’ensemble de la fresque de l’Allégorie du Mauvais Gouvernement et ses Effets, soit 480 de longueur environ pour la seule Allégorie du Mauvais Gouvernement.

Inscriptions :

  • (cartel sous la partie de la fresque consacrée à l’Allégorie du Mauvais Gouvernement) : « LODOUE STA LEGATA LA IUSTITIA. NESSUNO ALBE(N) COMUNE GIAMAY / SACORDA. NE TIRA ADRITTA CORDA. P(ER)O CONVIE( ) CHE TIRANNIA / SORMONTI. LA QVAL P(ER) ADEMPIR LA VA NEQVITIA. NULLO UOLER / NEOP(ER)AR DISCORDA. DALLA NATURA LORDA. DE UITII CHE CO(N) LEI SON / QVI CO(N)GIONTI. QUESTA CACCIA COLOR CALBEN SON PRONTI. (E) / CHIAMA ASE CIASCVN CAMALE I( ) TENDE. QUESTA SEMPRE DIFENDE. / CHI SFORÇA O ROBBA O CHI ODIQSSE PACE. VNDE OGNITERRA SVA / I(N) CULTA GIACE » [2]« Partout où la justice est ligotée, personne ne s’accorde jamais avec le bien commun ou ne tire la corde droite : il faut donc bien que tyrannie ait le dessus, laquelle, pour accomplir ses perfidies, ne se désaccorde ni en pensée ni en acte à la nature immonde des vices qui l’accompagnent. Elle pourchasse tous ceux qui s’apprêtent au bien et attire tous ceux qui tendent au mal, elle … Poursuivre
  • (au-dessus de la figure centrale) : « TYRANNIDES » [3]La Tyrannie.
  • (au-dessus des allégories qui volètent autour de la figure centrale) : « AVARITIA » ; « SVPERBIA » ; « VANAGLORIA » [4]L’« Avarice », la « Superbe » (ou l’« Orgueil »), la « Vanité ».
  • (au-dessus des allégories qui siègent à gauche de la « Tyrannie ») : « CRUDELITAS » ; « PRODITIO » ; « FRA[DUL]VS » [5]La « Cruauté », la « Trahison », la « Fraude ».
  • (au-dessus des allégories qui siègent à droite de la « Tyrannie ») : « FVROR » ; « DIVISIO ; « GVERRA [6]Les lettres de son nom apparaissent sur son bouclier. » [7]La « Fureur », la « Division », la « Guerre ».
  • (au-dessus de la figure entravée dans des liens) : « IVSTI[TIA] » [8]Ici apparaît, pour la troisième fois dans le cycle, la figure allégorique de la « Justice » que l’on voit prisonnière et réduite à l’impuissance.

Provenance : In situ.

Sienne, Palazzo Pubblico, Sala dei Nove.

Peinte à fresque, l’image du Mauvais Gouvernement occupe tout le mur ouest sur plus de 14 mètres. Elle se divise en trois parties de dimensions sensiblement égales, qui se lisent de droite à gauche : Allégorie, Effets dans la Ville, Effets dans la Campagne. Ainsi, l’Allégorie du Mauvais Gouvernement fait l’angle avec l’Allégorie du Bon Gouvernement : on peut donc les embrasser du regard et les opposer sans se déplacer. Au contraire des Effets, qui sont peints sur des murs opposés, ce qui nécessite que l’on se retourne pour les voir alternativement.

Cette remarquable symétrie qui règne, parfaitement intelligible, dans la composition de Lorenzetti va beaucoup plus loin qu’une simple mise en espace. Le peintre a voulu représenter le Mauvais Gouvernement comme le négatif du Bon Gouvernement. Il en fait à la fois un repoussoir (ce qu’il faut à tout prix éviter, les menaces étant nombreuses dans les inscriptions) et un faire valoir du Bon Gouvernement.

Cette démarche systématique le conduit à opposer les termes un à un et à montrer ce que peut avoir de néfaste un gouvernement « où la justice est ligotée », comme le dit l’inscription. C’est bien la Justice qu’on voit sous le personnage maléfique du centre de l’image allégorique. Les cordes de la balance sont rompues, les plateaux gisent à ses côtés. Elle git au sol pieds et poings liés, hirsute et accablée, et tenue en laisse par un personnage vicieux. Autour d’elle on voit des soldats armés et un corps mort étendu à même le sol. [9]La blessure mortelle de celui-ci, mise en évidence sur sa tunique blanche, n’est pas sans faire lointainement écho à celle du Christ sur la croix.

Dans la partie consacrée aux personnifications de l’allégorie, les vices s’opposent un à un aux vertus du Bon Gouvernement. Elles sont au nombre de neuf d’un côté comme de l’autre :

  • la guerre s’oppose à la paix
  • la peur à la sécurité et à l’espérance
  • l’avarice à la charité
  • la fureur à la tempérance et à la force d’âme
  • la vaine gloire à la foi et à la prudence
  • la trahison et la division s’opposent à la concorde
  • la fraude à la justice
  • l’orgueil à la sagesse
  • la cruauté à la magnanimité

En résumé, la Tyrannie s’oppose au Bon Gouvernement.

« TYRANNIDES », la Tyrannie, est le personnage central (fig. 1). Est-ce un homme ou une femme (sa coiffure tressée a laissé dire à certains commentateurs qu’il s’agit d’une femme) ? Il porte des cornes, deux crocs sortent de sa bouche, son regard est torve. Il foule aux pieds un bouc, symbole de lubricité. Il tient une sorte de coupe dans la main gauche, dont le sens nous est inconnu.

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En arc de cercle au-dessus de sa tête, trois péchés capitaux (fig. 2) font pendant aux trois vertus théologales du Bon Gouvernement. Lorenzetti trouve les moyens les plus simples et les symboles les plus justes et reconnaissables par tous pour les identifier.

  • « AVARITIA » (l’avarice) tient une canne avec un crochet, symbole des grippe-sous et serre deux bourses dans une sorte de pince ou de fermoir.
  • « SUPERBIA » (la superbe ou l’orgueil) tient un glaive et le fléau de la balance  détaché de ses deux plateaux (on les a vus au pied de la justice, sous « TYRANNIDES »). Son égocentrisme la pousse à passer outre la justice et à éliminer tout ce qui est sur sont chemin.
  • Enfin « VANAGLORIA » (la vaine gloire) contemple son image dans un miroir, et tient une branche desséchée dans la main, rongée par la vanité.

« AVARITIA », « SUPERBIA » et « VANAGLORIA » sont des pêchés capitaux que Dante cite dans la Divine Comédie.

A droite de « TYRANNIDES », qui semble présider une assemblée, siègent trois vices épouvantables (fig. 3) :

  • « CRUDELITAS » (la cruauté) étrangle un bébé d’une main pendant que dans l’autre elle tient un serpent pour l’effrayer.
  • « PRODITIO » (la trahison) tient sur ses genoux un agneau (signe de pureté), mais celui-ci a une queue de scorpion.
  • « FRAUS » (la fraude), vêtue d’une tunique au motifs géométriques, est affublé de vilaines ailes de chauve-souris tandis qu’un pied crochus dépasse sous sa robe.

Tous les vices possibles, parmi les plus odieux, méchanceté, duplicité, fausseté, égoïsme règnent dans la cité du Tyran.

De même, à gauche du tyran, apparaissent trois autres vices effroyables (fig. 4).

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  • « FUROR » (la fureur) est un centaure (corps de cheval, torse d’homme et hure de sanglier). Il tient un glaive dans la main.
  • « DIVISIO » (la division) est sans doute la plus impressionnante de toutes. Sur sa tunique faite de deux bandes blanche et noire verticales (rien à voir donc avec la Balzana) sont écrits « SI » et « NO », signes de lutte et de rivalité. Elle est tellement hors d’elle qu’elle tient d’une main une scie sur ses genoux, prête à s’auto-mutiler l’autre main.
  • Enfin « GUERRA » (la guerre), seul des vices à ne pas avoir son nom écrit au-dessus de la tête, mais ici gravé sur son bouclier, brandit une épée, prête à frapper.
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Le passage de l’Allégorie aux Effets du Mauvais Gouvernement est difficile à identifier car la fresque est partiellement endommagée à cet endroit. Il semble que la séparation soit opérée au moyen d’un artifice visuel, plus que par une frontière physique : les figures allégoriques sont posées sur un immense plateau ou une estrade de couleur jaune qui visuellement sépare cette partie de la fresque des Effets du Mauvais Gouvernement.

Les médaillons de la frise

Les médaillons quadrilobés du Mauvais Gouvernement : chacun des trois murs est orné d’une frise qui court horizontalement sur les bords inférieurs et supérieurs des fresques. Ces médaillons renforcent le sens des fresques et sont de natures très variées puisque on y trouve les Arts Libéraux, les Saisons, des Astres, des Tyrans et des Emblèmes. Ils sont en permanence en résonance avec la fresque qu’ils accompagnent et en opposition entre eux d’un mur à l’autre.

  • Deux saisons font pendant aux deux saisons agréables du Bon Gouvernement : l’Automne (Bacchus en vieillard torse nu tenant deux grappes de raisin l’une blanc l’autre noir et des branches d’un arbuste non identifié)
    • l’Hiver (un homme élégant tenant une boule de neige, sur un fond qui semble martelé de taches blanches, comme autant de flocons).
  • Trois planètes sont représentées :
    • Saturne, situé au-dessus de la campagne en guerre, brandissant la faucille et le marteau avec lesquels il a tué son père Uranus
    • Jupiter, au-dessus de la ville en guerre, est représenté sous l’aspect d’un empereur avec couronne fermée, sceptre et orbe
    • Mars, au-dessus de la figure allégorique de la Guerre, est à cheval, glaive à la main, prêt à charger
  • Les médaillons se lisent aussi en opposition par rapport à ceux de la fresque du Bon Gouvernement. Ainsi, Mars est face à Vénus (ils sont amants dans la mythologie), Saturne face à la Lune (ils partagent l’humeur taciturne et versatile), Jupiter face à Mercure (le premier est le messager du second).
  • Un seul des cinq tyrans de l’antiquité qui se trouvaient sur le bord inférieur du Mauvais Gouvernement est aujourd’hui visible. Il s’agit de Néron, figure du tyran sanguinaire et fou, en train de se suicider.
  • Enfin au centre de la fresque, on voit un médaillon de Fleurs de lys dans un écusson, dont le sens est difficile à déchiffrer. S’agit-il de l’emblème de la Maison de France ou celui de Florence ?

Notes

Notes
1 Ces dimensions s’entendent pour l’ensemble de la fresque de l’Allégorie du Mauvais Gouvernement et ses Effets, soit 480 de longueur environ pour la seule Allégorie du Mauvais Gouvernement.
2 « Partout où la justice est ligotée, personne ne s’accorde jamais avec le bien commun ou ne tire la corde droite : il faut donc bien que tyrannie ait le dessus, laquelle, pour accomplir ses perfidies, ne se désaccorde ni en pensée ni en acte à la nature immonde des vices qui l’accompagnent. Elle pourchasse tous ceux qui s’apprêtent au bien et attire tous ceux qui tendent au mal, elle défend toujours ceux qui violent ou dérobent, ou ceux qui haïssent la paix. Aussi toutes ses terres demeurent-elles incultes. » Transcription et traduction par Patrick Boucheron, d’après Furio Brugnolo.
3 La Tyrannie.
4 L’« Avarice », la « Superbe » (ou l’« Orgueil »), la « Vanité ».
5 La « Cruauté », la « Trahison », la « Fraude ».
6 Les lettres de son nom apparaissent sur son bouclier.
7 La « Fureur », la « Division », la « Guerre ».
8 Ici apparaît, pour la troisième fois dans le cycle, la figure allégorique de la « Justice » que l’on voit prisonnière et réduite à l’impuissance.
9 La blessure mortelle de celui-ci, mise en évidence sur sa tunique blanche, n’est pas sans faire lointainement écho à celle du Christ sur la croix.

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