Cristoforo di Bindoccio e Meo di Pero, « Giudizio di Salomone »

Cristoforo di Bindoccio (Sienne, documenté de 1361 à 1407) e Meo di Pero (Sienne, documenté de 1370 à 1407), attr.

Giudizio di Salomone (Jugement de Salomon), vers 1350-1375.

Fresque

Inscriptions :

  • (entre le bras de Salomon et la tête de l’enfant) : « TE[M]/ .ALTERI » (« Dividite […] infantem vivum in duas partes, et date dimidiam partem uni, et dimidiam partEM ALTERI », I ROIS 3, 25), voir note 2.
  • (au-dessus de la tête de la vraie mère) : « DATE ILLI INFANTEM. VIVU. [ET] NOLITE./ I[N]TERFICERE. EUM » (I ROIS 3, 26), voir note 2.
  • (devant la fausse mère) : « NON ERIT NEC. MICHI NEC TIBI SED DIVIDATUR » (Nec erit, nec michi, sed dividatur, I ROIS 3, 26), voir note 2.
  • (entre le trône de Salomon et la vraie mère) : « DATE HUIC./ INF(a)NTEM/ . VIVUM. ET./ NON OC/CIDATUR/ EST./ ENIM. MA/TER EI/US », I ROIS 3, 27), voir note 2.
  • Selon une comparaison avec le tondo de droite, il est probable qu’une inscription latine courait sur la partie arrondie supérieure de l’encadrement où la peinture est irrémédiablement perdue.
  • Quelques inscriptions sont conservées à proximité immédiate du tondo :
    • (à droite) : « .UMILTA. »
    • (avec une écriture plus grosse, très endommagée par une lacune, sous le tondo : « VMILTA E TENPERANÇA. VENCE. ONGNI. INGIVRIA. ET. MALICIA. »

Provenance : In situ.

Asciano, Museo Civico Archeologico e d’Arte Sacra, Palazzo Corboli, Sala di Aristotele.

La scène du Jugement de Salomon est représentée selon le canon habituel, à l’instant même où la véritable mère, suppliante au pied du trône, est reconnue en tant que telle. Celle qui a tenté d’usurper ce rôle est restée debout, en arrière. Plus haut, à l’arrière plan, apparaît, imposant, le soldat en armure que l’on trouve non pas dans la Bible (Premier Livre des Rois, 1 R 3, 16-28 [1]) mais chez Favius Josèphe (Antiquité judaïques, 8, 2, 16-31 [2]), et qui est devenu un élément traditionnel de l’iconographie du thème.

On pourra se demander pourquoi un thème biblique vient ainsi trouver sa place dans un cycle de fresques dont les deux caractéristiques principales sont d’être laïc et d’agir comme des rappels à l’attention des magistrats officiant dans ces lieux. Il se trouve que le Jugement de Salomon est depuis toujours, en matière de justice exemplaire, la référence entre toutes, et celle proposée en premier lieu aux magistrats communaux. C’est ainsi qu’à Lucignano, ville non loin de Sienne (mais située dans la Province d’Arezzo), Salomon sera une nouvelle fois représenté au XIVe s., dans le palais communal, en présence d’Aristote (et de Judith), signe qu’il avait alors acquis de longue date un statut excédant largement les contours de la religion.

Aristote, Judith, Salomon », fresques du Palazzo Communale de Lucignano, Arezzo.

Au sein d’un programme pictural qui, à différentes reprises, rappelle les messages et les codes de l’iconographie « politique », les fresques d’Asciano traduisent à leur manière la fortune du thème dès le XIVe siècle, longtemps avant qu’un nouveau cycle des Uomini Famosi ne soit peint sur les murs de la Casa Corboli, c’est-à-dire bien avant, également, qu’il ne devienne une sorte de lieu commun. Salomon n’est pas seulement un roi juste, c’est aussi un « savant » et un philosophe. Son autorité, fondée sur l’évidence biblique et sur l’attribution à sa personne des trésors de préceptes moraux que sont les livres sapientiaux (Proverbes, Ecclésiaste, Sagesse et Cantique des cantiques), est reconnue à tous les niveaux, au point de rivaliser, parfois, sinon de prévaloir sur la figure tutélaire d’Aristote. [4]

Comme nous l’avons vu à Sienne, au Palazzo Pubblico, « l’influence de Salomon dans l’iconographie ‘politique’ se manifeste également à travers une très célèbre citation : le mémorable ‘Diligite iustitiam qui iudicatis terram’ [5], qui constitue l’incipit de la Sapienza [Sagesse]. Le charisme personnel de Salomon, le juste et le savant, ne pouvait être séparé de cette invitation solennelle » à aimer la justice [6].

Le jugement des deux mères par Salomon est, aux yeux de son peuple (et de la postérité), la première manifestation de la sagesse accordée par Dieu à Salomon (« audivit itaque omnis Israel iudicium quod iudicasset rex, et timuerunt regem, videntes sapientia Dei esse in eo ad faciendum iudicium » écrit, en conclusion de l’épisode, le rédacteur du chapitre 3 du Premier Livre des Rois [7]. La fortune rencontrée par le Jugement de Salomon dans l’iconographie « politique » se fonde donc, avant de se banaliser par la suite, sur la correspondance exemplaire de celui-ci avec un point essentiel de la pensée politique, juridique et morale du Moyen âge : la racine divine de la sagesse.

Les peintures d’Asciano dans leur rapprochement avec les fresques du Bon Gouvernement présentent de subtiles concordances. A Sienne, les vertus cardinales sont présentes autour de la figure du Juge, mais à gauche, devenue gigantesque, apparaît une réplique de la Giustizia ; tandis que la prééminence de cette vertu est affirmée, une forme visible est donnée à son fondement dans la Sapienza (Sagesse). À Asciano, les quatre vertus sont regroupées autour d’Aristote, mais à gauche (une nouvelle fois) trône le Jugement de Salomon, exemple d’une justice qui est, nous l’avons vu, une manifestation de la sagesse divine : c’est une sorte d’équivalent narratif de l’allégorie de Sienne que figure ici la fresque d’Asciano consacrée à Salomon.

[1] Ce texte raconte le différend qui oppose deux femmes ayant chacune mis au monde un enfant ; l’un de ces nourrissons est mort étouffé. Les deux se disputent alors l’enfant survivant. Salomon réclame une épée et se charge de régler le désaccord : « Alors vinrent deux femmes prostituées vers le roi et elles se tinrent devant lui. Et la femme, la première, dit : « À moi, Monseigneur ! Moi et cette femme habitons dans une maison unique. Et j’ai enfanté avec elle dans la maison. Et le troisième jour après que j’eus enfanté, enfanta aussi cette femme. Or nous étions ensemble : pas d’étranger avec nous dans la maison, excepté nous deux dans la maison. Et le fils de cette femme mourut une nuit parce qu’elle s’était couchée sur lui. Et elle se leva au milieu de la nuit et elle prit mon fils d’à côté de moi – alors que ta servante dormait – et elle le coucha dans son sein ; et son fils mort, elle le coucha dans mon sein. Et je me levai au matin pour allaiter mon fils, et voici : il était mort. Et je cherchai à le distinguer au matin, et voici : ce n’était pas mon fils que j’avais enfanté. » Et l’autre femme dit : « Non, car mon fils (est) le vivant et ton fils, le mort. » Mais celle-ci disait : « Non, car ton fils (est) le mort et mon fils, le vivant. » Et elles parlèrent devant le roi. Et le roi dit : « Celle-ci dit : “Celui-ci (est) mon fils, le vivant et ton fils, le mort” ; mais celle-ci dit : “Non, car ton fils (est) le mort et mon fils, le vivant.” » Et le roi dit : « Prenez pour moi une épée » – et ils apportèrent l’épée devant le roi. Et le roi dit : « Tranchez l’enfant vivant pour deux, et donnez la moitié à une et la moitié à une. » Et la femme dont l’enfant était le vivant dit au roi – car ses entrailles étaient émues au sujet de son fils – et elle dit : « À moi, mon seigneur ! Donnez lui l’enfant vivant, mais surtout ne le faites pas mourir ! » Mais l’autre disait : « Ni à moi, ni à toi il ne sera ! Tranchez ! » Et le roi répondit et dit : « Donnez à elle l’enfant vivant, mais surtout ne le faites pas mourir : celle-ci est sa mère. » Et tout Israël entendit le jugement qu’avait rendu le roi et ils craignirent le roi car ils avaient vu que la sagesse de Dieu (était) en son coeur pour faire jugement. » (1 R 3, 16-28).

[2] « En ce temps-là, on lui apporta un procès épineux, dont il était malaisé de trouver la solution. Je crois devoir exposer le litige, afin que les lecteurs se rendent compte de la difficulté du cas et que, venant à se trouver dans de semblables conjonctures, ils puissent s’inspirer de la sagacité du roi pour trancher plus facilement les questions qui leur seront soumises. Deux femmes, courtisanes de leur métier, vinrent en sa présence : l’une d’elles, qui se disait victime d’une injustice, prit la parole la première : « Je demeure, ô roi, dit-elle, dans la même chambre que cette femme ; or, il nous est arrivé à toutes deux de mettre au monde le même jour, à la même heure, un enfant mâle. Le surlendemain, cette femme, s’étant endormie sur son enfant, l’étouffe ; elle prend alors le mien de mon sein, l’emporte, et pose le cadavre du sien dans mes bras durant mon sommeil. Au matin, voulant donner le sein à mon enfant, je ne le trouve point, et je m’aperçois que c’est le cadavre du sien qui est couché près de moi ; car je le reconnus après un examen attentif. Sur quoi je lui réclame mon fils, et, n’ayant pu l’obtenir, je me réfugie, seigneur, sous ta protection. Car du fait que nous étions seules et qu’elle n’appréhende point que nul témoin puisse la confondre, elle prend de l’assurance et s’obstine à nier de toute sa force. » Quand elle eut ainsi parlé, le roi demanda à l’autre femme ce qu’elle avait à répliquer. Celle-ci nia tout le fait et soutint que c’était son enfant qui vivait et celui de son adversaire qui était mort. Comme personne ne trouvait d’issue et qu’on restait là comme devant une énigme dont le mot échappait à des esprits aveuglés, seul le roi eut une idée. Il fait apporter l’enfant mort et le vivant, mande un de ses gardes du corps et lui ordonne de tirer son glaive et de couper en deux les corps des deux enfants afin que chacune des mères eut la moitié du vivant et la moitié du mort [la Bible ne parle de partager que l’enfant vivant]. Là-dessus, tout le peuple de se moquer tout bas d’un roi aussi puéril. Mais voici que la plaignante, qui était la vraie mère, s’écria qu’il n’en fallait pas user de la sorte, mais qu’on livrât l’enfant à l’autre femme comme si c’était vraiment le sien : tout ce qu’elle demande, c’est qu’il vive et qu’elle puisse le voir, dût-il passer pour l’enfant d’une autre. L’autre femme, au contraire. se tenait prête à voir trancher l’enfant en deux et désirait en outre que sa rivale subit la torture [addition de Joseph]. Le roi, ayant reconnu que la parole de chacune d’elles révélait ses véritables sentiments, adjugea l’enfant à celle qui avait poussé le cri, — comme étant vraiment la mère, — et condamna la scélératesse de l’autre, qui non contente d’avoir tué son propre enfant, souhaitait de voir périr celui de sa compagne. Le peuple vit là une grande marque et un témoignage éclatant de la grandeur et de la sagesse du roi ; et de ce jour ils commencèrent à l’écouter comme s’il était rempli de l’esprit de Dieu. » (Antiquité judaïques, 8, 2, 16-31).

[4]Voir Maria Monica Donato, « Un ciclo pittorico ad Asciano (Siena), Palazzo Pubblico e l’iconografia ‘politica’ alla fine del medioevo »Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia. Serie III, Vol. 18, No. 3 (1988), pp. 1208-1212.

[5]  « Aimez la justice, vous qui gouvernez la terre[, ayez sur le Seigneur des pensées droites, cherchez-le avec un cœur simple]. » Cette première phrase du Liber Sapientiae attribué à Salomon (Sagesse, 1, 1) se retrouve en bonne place dans la Maestà de Simone Martini (Sala del Mappamondo) et dans le Bon Gouvernement d’Ambriogio Lorenzetti (Sala dei Nove), au Palazzo Pubblico. Lippo Memmi l’inscrit à nouveau dans la réplique de la Maestà martinienne qu’il a peinte à San Gimignano. La Justice de Beccafumi, au plafond de la salle du Consistoire, confirmera plus tard, enfin, la pertinence et la longévité d’une telle référence.

[6] Maria Monica di Donato, idem, p. 1212.

[7] « Tout Israël apprit le jugement qu’avait rendu le roi. Et l’on regarda le roi avec crainte et respect, car on avait vu que, pour rendre la justice, la sagesse de Dieu était en lui ». Premier Livre des Rois (I R 3, 28).

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