Sources écrites de l’épisode de l’Annonciation
Voir lien ci-dessus.
Iconographie
Si le thème de l’Annonciation [1] trouve sa source principale dans l’Evangile selon saint Luc (Lc 1, 26-38), le contenu iconographique s’enrichit des nombreux détails racontés par Matthieu et dans certains des écrits apocryphes (voir ci-dessus : Sources écrites de l’épisode de l’Annonciation). Les lignes qui suivent tentent un rapide parcours à travers cette évolution, en pointant les principaux symboles iconographiques, cela en se fondant principalement sur des œuvres siennoises.
Le geste de l’ange
Parmi les plus anciennes représentations de l’Annonciation encore visibles dans la région de Sienne, celle (fig. 1), datée des années 1270 (dont l’auteur demeure anonyme), peinte à fresque dans la crypte située sous le transept de la Cathédrale, correspond au type iconographique le plus traditionnellement développé au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle : les deux protagonistes sont figurés en pleine action (l’ange Gabriel semble littéralement faire irruption dans l’espace de la Vierge) devant un décor urbain qui évoque très vraisemblablement la ville de Nazareth. De la main droite, Gabriel, qui est soulevé au-dessus du sol comme s’il était porté par un souffle d’air qui gonfle les plis de sa cape, fait un geste de bénédiction [2], lequel résume à lui seul la totalité des enjeux de la salutation angélique. Dans sa main gauche, il tient une très discrète branche de lis. La Vierge, à droite, est debout devant un palais ; elle incline la tête en signe de soumission à la parole divine qui s’annonce devant elle. Des rayons lumineux venus du ciel se dirigent vers son visage.
Fig. 1
Si les principaux éléments sont en place, la représentation va cependant évoluer peu à peu pour se concentrer sur des éléments iconographiques venus expliciter et rendre plus complexe la représentation d’une scène qui, il faut le souligner, est supposée donner à voir un mystère, lui-même par principe irreprésentable.
Le lis
L’Annonciation (fig. 2) de Simone Martini (et Lippo Memmi) ajoute plusieurs éléments décisifs : la présence du lis éminemment symbolique de l’événement est réaffirmée par sa représentation au centre de l’œuvre (dans un vase où sont placés quatre rameaux), entre les deux interlocuteurs. Toutefois, le lis n’est plus tenu en main par l’Archange (la fleur est aussi le symbole de Florence, la ville voisine et ennemie héréditaire de Sienne …). C’est un rameau d’olivier qui le remplace dorénavant dans la main de l’Ange, et cela pour longtemps dans la peinture siennoise.
Le rôle du lis dans l’Annonciation s’explique par les attributs visuels mais aussi botaniques de l’espèce : sa blancheur immaculée, et le fait que la plante, au fleurs dépourvues d’étamines, se reproduit de manière non sexuée l’ont désignée comme symbole de la virginité de Marie. Sa tige se divise fréquemment en trois rameaux qui expriment cette fois-ci la triple virginité de la Vierge, avant, pendant et après l’enfantement selon la légende visible sur un vitrail du XVIe siècle à Saint-Nicolas-de-Port, en Lorraine. [3]
L’attitude de la Vierge
Le splendide coup de génie de Martini est visible dans la représentation du trouble teinté de crainte qui s’empare de la Vierge devant la survenue d’un événement auquel elle n’a pas choisi de participer, et la merveilleuse délicatesse avec laquelle elle semble se refermer sur elle-même en se blottissant dans l’espace de l’œuvre qui lui est réservé. Une nouvelle information nous est donnée : lors de l’irruption de l’ange, Marie, qui tient un livre à la main, a été interrompe dans sa lecture.
Fig. 2
Le livre
On sait que l’exégèse médiévale a beaucoup débattu au sujet de ce livre avant de se déterminer enfin sur sa nature en considérerant opportunément qu’il devait s’agir de l’Ancien Testament et, plus particulièrement (!), de la prophétie d’Isaïe (voir : Sources écrites de l’Annonciation). L’Annonciation (1395-1400), œuvre du Maître de la Madone Strauss (fig. 2) conservée au Musée de l’Académie, à Florence, ne laisse planer aucun doute à ce propos, comme le montre le détail – inversé aux fins d’être lisible dans la reproduction – des mots figurant sur les pages du livre ouvert tenu par Marie (fig. 3).
Fig. 3
Fig. 4
Ainsi pouvons-nous lire ce que lit Marie elle-même (“ECCE VIRGO CONCIPIET ET PARIET FILIVM” : “Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils”). Ainsi la prophétie d’Isaïe (Is 7, 14) se réalise-t-elle au moment même où la Vierge est interrompue dans sa lecture.
La colonne
L’un des éléments majeurs de ce thème iconographique est la présence d’une colonne dans le décor architectural de la scène. Elle figure bien dans l’Annonciation précédente. On la trouve dès le XIIIe siècle, notamment dans la peinture siennoise et, en particulier, dans l’inoubliable Annonciation (1344) d’Ambrogio Lorenzetti conservée à la Pinacothèque nationale de Sienne (fig. 5). Représentant symboliquement le Christ, la colonne, qui crée une sorte de lien vertical entre la terre et les cieux, est toujours située entre les protagonistes, rendant ainsi visible au spectateur le sujet même du dialogue entre l’Ange et la Vierge. (Voir, à propos de cette Annonciation, l’article qui lui est consacré).
Fig. 5
La colombe du Saint Esprit
La colombe qui symbolise le Saint Esprit est toujours plus ou moins discrètement présente dans les Annonciations à partir du XIVe siècle. Elle est le « troisième acteur de l’Annonciation » [4] qui entre nécessairement en scène lorsque l’accent est mis sur la réalisation du mystère de l’Incarnation, ainsi cela devient quasiment la règle à partir du XIVe s. C’est le cas dans l’œuvre de Lorenzetti comme dans celle du Maître de la Madone Strauss [5] et dans celle de Simone Martini.
La figure de Dieu le Père
Elle apparaît également, dorénavant, bien que d’une manière très anachronique puisque sa parole est supposée être portée par l’Archange Gabriel dont il a fait son messager. Chez Lorenzetti, comme dans la plupart des Annonciations des XIVe et XVe siècles, le geste de bénédiction adressé par Dieu à la Vierge est lui aussi inattendu du fait de la présence de l’Ange intercesseur mais permet de placer la colombe sur le parcours qui relie les deux figures de Dieu le Père et Marie.
Les Annonciations dite “d’encadrement”
Dès la fin du XIIIe siècle se développe un type de représentation du thème iconographique sur deux supports dissociés, qualifié d’Annonciation “d’encadrement”, montrant :
- l’Ange Annonciateur, à gauche
- la Vierge de l’Annonciation, à droite
Outre l’intérêt que représente le fait de pouvoir orner un support complexe, voire deux supports distincts, à l’aide d’une scène aussi signifiante qu’une Annonciation, la séparation matérielles des deux interlocuteurs supposés dialoguer dans l’espace est immédiatement devenue l’objet de recherches permettant aux artistes d’augmenter encore, si possible, la densité de ce qui est signifié à travers les formes visibles. Les exemples sont nombreux hors de Sienne. Ainsi, pour n’en citer que deux parmi les plus célèbres (et les plus belles), l’Annonciation de Giotto (fig. 6) dans la chapelle de l’Arena de Padoue ou celle de Pontormo dans l’église de Santa Felicità à Florence, toutes deux peintes à fresque sur des parois architecturales percées d’une ouverture.
Fig. 6
Qu’il s’agisse du vide situé entre les deux parties du tympan de l’Arena ou de la fenêtre comportant le vitrail de Guillaume de Marcillat à Santa Felicità, l’espace central est devenu l’un des éléments visuels aptes à exprimer le mystère qui s’accomplit lors de l’Annonciation. Avec Giotto, la seule lumière provenant de la fenêtre suffit par l’éblouissement dont elle est la cause. A Santa Felicità, la vision lumineuse du corps du Christ déposé de la croix explicite davantage l’intention.
Fig. 7.
Ambrogio Lorenzetti se souviendra à Montesiepi de l’éblouissante invention de Giotto.
Pour illustrer la manière dont l’art siennois s’empare à son tour de ce modèle de représentation (en deux parties) de l’Annonciation, le mieux est de renvoyer à l’article consacré à celle, sublime, peinte par Ambrogio Lorenzetti dans la chapelle de Montesiepi, près de l’abbaye de San Galgano (fig. 8) ou encore à celle qui participe à l’ornement des vantaux de l’Arliquiera, ou armoire à reliquaires (fig. 9), peints par le Vecchietta à Santa Maria della Scala, à Sienne.
Fig. 8
Fig 9
Dans ce dernier exemple, l’Archange et la Vierge, figurés dans les deux compartiments supérieurs gauche et droit, embrassent littéralement les deux scènes de la Crucifixion et de la Résurrection dont la survenue est induite par le contenu même de leur colloque, c’est-à-dire la destinée sur terre de l’enfant Christ dont la conception a lieu à l’instant même de leur échange verbal.
Les paroles écrites
Considérant sans doute que les symboles présents dans l’image n’explicitent pas suffisamment le contenu du message divin formulé par l’Archange, la peinture médiévale ajoute fréquemment le texte même de ce message sur la surface de l’œuvre, particulièrement à Sienne où l’on aime s’assurer du caractère visible de l’éloquence des personnages peints et sculptés. A minima, apparaissent les premiers mots de la Salutation angélique : Ave Maria, mais le plus souvent, ce sont de longs fragments des phrases échangé au cours du dialogue qu’il nous est donné de pouvoir lire. Dans l’Annonciation du musée de Cortone (Toscane), par une démarche d’une extrême sophistication, Fra Angelico (fig. 10) va jusqu’à écrire la réponse de la Vierge à l’Archange à l’envers, de manière à la rendre lisible non pas au spectateur qui regarde l’image mais à son véritable destinataire, Dieu le Père, lui-même présent grâce à sa figuration dans un médaillon.
Fig. 10
[1] L’épisode de l’Annonciation est celui d’un mystère au cours duquel l’Archange Gabriel, envoyé par Dieu, rend visite à la Vierge Marie pour lui annoncer la nouvelle selon laquelle elle concevra et enfantera le Fils de Dieu.
[2] A moins qu’il ne s’agisse parfois du geste oratoire que l’on voit dans les statues des philosophes de l’Antiquité : tendant sa main droite, il souligne le poids de ses paroles en levant l’index. Dans l’Annonciation d’Ambrogio Lorenzetti à la Pinacothèque de Sienne, c’est le pouce, avec lequel il s’auto-désigne, qui lui permet d’affirmer avec insistance le statut de messager divin qui est le sien.
[3] Virgo ante partum, in partum, post partum. (Réau 1957, tome 2, vol. II, p. 183.)
[4] REAU 1957, tome 2, vol. II, p. 185.
[5] Remarquer (fig. 2) un détail qui ne manque pas de saveur : pour permettre à la colombe d’accéder jusqu’à la Vierge, une ouverture circulaire a judicieusement été pratiquée dans l’architrave du péristyle de la maison de Marie.
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