L’usage de panneaux historiés ornant l’autel en lien avec le rite liturgique semble remonter au Xe siècle. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que l’évolution de l’un puisse entraîner l’évolution de l’autre, et réciproquement : si le besoin de déplacer sur l’autel des panneaux qui furent d’abord situés à l’avant de celui-ci, s’est fait sentir au cours du temps, les causes de ces changements méritent d’être éclaircies.
L’ANTEPENDIUM
Compte tenu du rapport entre le prêtre et la table d’autel, placée à cette époque entre l’officiant et la congrégation des fidèles [1]Le prêtre officiait alors versus populum – face à la congrégation., ces panneaux de format rectangulaire et oblong couvraient la partie basse de l’autel orientée vers les fidèles, ce qui leur valut la dénomination d’antependium. L’antependium de Guido da Siena reproduit ci-dessous (La Trasfigurazione, L’Entrata a Gerusalemme, La Resurrezione di Lazzaro. Sienne, Pinacoteca Nazionale) est à la fois l’un des plus anciens exemplaires connus et l’une des premières peintures sur toile réalisées au Moyen Âge en Italie.

Deux exceptionnels panneaux peints par le ‘Maître de Tressa’, Il Redentore benedicente (Sienne, Pinacoteca Nazionale) et la Madonna degli Occhi Grossi (Sienne, Museo dell’Opera del Duomo), au format vertical trompeur [2]Le format vertical du panneau est dû au fait qu’il a été scié en trois parties pour ne conserver que les figures centrales de la Vierge et de l’Enfant., appartiennent également à cette typologie particulière.
De l’antependium au Dossale
Les premiers retables apparus au-dessus de l’autel [3]Voir, à titre d’illustration : Autel – retable – antependium. sont constitués d’un panneau unique hérité de l’antependium, dont ils conservent le format oblong, mais dont rapidement le sommet se brise pour former un fronton triangulaire. L’Italie donne à ces premiers retables le nom de dossale, dénomination qui, du point de vue de l’histoire de l’art, présente l’avantage de qualifier spécifiquement les premiers panneaux historiés apparus sur l’autel (fig. ci-dessous, Guido da Siena, Madonna col Bambino e i Santi Paolo, Pietro, Giovanni, Andrea. Sienne, Pinacoteca Nazionale.).

A Sienne, les retables les plus anciens comportent diverses figures, peintes la plupart du temps. La composition s’organise autour d’une figure centrale, généralement celle de la Vierge à l’Enfant encadrée, de part et d’autre, de plusieurs figures de saints.
Henk Van Os a apporté un éclairage limpide sur les motifs pour lesquels s’est produite la rapide évolution du devant d’autel qui a abouti à l’épanouissement d’une forme nouvelle d’ornement et à la multiplication des retables à partir du milieu du Trecento [4]Henk VAN OS, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function. Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990), pp. 12-13.. « Pourquoi donc y eut-il le soudain besoin d’une peinture sur l’autel ? » Pour l’historien de l’art hollandais, les raisons de cette évolution tiennent à la fois aux modifications apportées au déroulement de la liturgie et à l’évolution des sensibilités. Sur le plan de la liturgie, le décret du Concile du Latran (1215) selon lequel le Christ était physiquement présent sous les deux espèces (le corps et le sang) lors de l’Eucharistie, eut entre autres conséquences d’occasionner une focalisation accrue sur la personne et le rôle du prêtre officiant. Celui-ci, dorénavant chargé de consumer le mystère de l’Incarnation, placé face à l’autel et dos tourné aux fidèles, procédait à l’élévation de l’hostie et du vin qu’il venait de consacrer, dans un mouvement destiné à permettre à ceux-ci de voir de leur yeux leur propre rédemption et par cet acte de vision, de participer au salut. « Cette présentation visuelle était l’un des éléments clé de l’expression liturgique de la transsubstantiation et elle nécessitait en retour une toile de fond, ou un décor qui puisse servir d’encadrement au rituel [qui] devait se démarquer de l’espace environnant l’autel. Aucun des objets qui se trouvent habituellement sur l’autel ne convenait à cet effet. […] Certains autels comportaient un panneau horizontal oblong connus sous le nom de dossale à l’arrière de la table d’autel, mais leur hauteur était insuffisante pour être de quelque usage dans ce contexte. » [5]Henk VAN OS, op. cit., p. 13. Plusieurs solutions furent développées en Italie afin de donner davantage d’impact aux actions du prêtre sur la foule, notamment des sculptures hautes et étroites placées sur les côtés de l’autel. C’est cependant l’apparition du tableau d’autel, ou retable, qui finira par imposer un changement essentiel grâce à la présence d’un « élément figuratif sur lequel se catalysait l’attention, dans une dynamique de correspondance entre paroles [prononcées par l’officiant] et image [figurée sur le panneau] », pour reprendre une formule de Roberto Bartalini et Raffaele Marrone [6]Roberto BARTALINI et Raffaele MARRONE, « La Morte e la Salvezza. La (cosiddetta) ‘Allegoria della Redenzione’, Prospettiva, 186 (avril 2922), p. 12..
Du dossale au polyptyque
Le retable, qui peut en certaines occasions être peint sur chacune de ses deux faces [7]C’est le cas, en particulier, de quelques imposants monuments tels que la Maestà peinte par Duccio pour le maître-autel de la cathédrale de Sienne, dont la double orientation est rendue nécessaire par l’emplacement de celui-ci dans l’architecture de l’église, à la frontière de la nef et du chœur., ne tarde pas à acquérir une structure de plus en plus complexe. C’est le cas, notamment, du Polittico di Badia (Polyptyque de la Badia) que peint Giotto vers 1295-1297 pour l’église florentine du même nom. Il s’agit de l’un des premiers retables dont la structure d’ensemble n’est plus constituée d’un panneau unique mais résulte de l’assemblage de plusieurs volets autour d’un panneau central.
A Sienne, les premiers polyptyques comportent diverses figures peintes. La composition s’organise autour d’une figure centrale, généralement celle de la Vierge à l’Enfant encadrée, de part et d’autre, de plusieurs figures de saints. Henk Van Os a apporté un éclairage limpide sur les motifs pour lesquels s’est produite la rapide évolution du devant d’autel qui a abouti à l’épanouissement d’une forme nouvelle d’ornement et à la multiplication des retables à partir du milieu du Trecento [8]Henk VAN OS, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function. Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990), pp. 12-13..
L’adjonction d’un second registre (appelé couronnement) composé de cuspides (ou gâbles), permet de donner place à une seconde série de figures [9]La place centrale au sein du premier registre demeure réservée à la Vierge tandis qu’apparaît la figure du Christ Rédempteur dans la cuspide située au-dessus, tandis que chaque cuspide latérale accueille celle d’un ange. vues à mi-corps et de dimensions moindres que celles représentées dans le registre principal (voir ci-dessous : Duccio di Buoninsegna, Madonna col Bambino e i Santi Agostino, Paolo, Pietro, Domenico. Sienne, Pinacoteca Nazionale et ‘Maestro di Città di Castello’, Madonna col Bambino e i Santi Francesco, Giovanni Evangelista, Stefano, Chiara. Sienne, Pinacoteca Nazionale).

Un troisième registre vient alors s’ajouter aux deux précédents : en même temps que l’iconographie du décor gagne en complexité, il devient nécessaire de faire appel à des structures de renforcement telles que des pilastres pour consolider l’assemblage de menuiserie et en garantir la stabilité.

À ce stade de l’évolution de la structure du retable, c’est l’histoire du polyptyque qui vient de commencer.
Notes
1↑ | Le prêtre officiait alors versus populum – face à la congrégation. |
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2↑ | Le format vertical du panneau est dû au fait qu’il a été scié en trois parties pour ne conserver que les figures centrales de la Vierge et de l’Enfant. |
3↑ | Voir, à titre d’illustration : Autel – retable – antependium. |
4↑ | Henk VAN OS, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function. Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990), pp. 12-13. |
5↑ | Henk VAN OS, op. cit., p. 13. |
6↑ | Roberto BARTALINI et Raffaele MARRONE, « La Morte e la Salvezza. La (cosiddetta) ‘Allegoria della Redenzione’, Prospettiva, 186 (avril 2922), p. 12. |
7↑ | C’est le cas, en particulier, de quelques imposants monuments tels que la Maestà peinte par Duccio pour le maître-autel de la cathédrale de Sienne, dont la double orientation est rendue nécessaire par l’emplacement de celui-ci dans l’architecture de l’église, à la frontière de la nef et du chœur. |
8↑ | Henk VAN OS, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function. Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990), pp. 12-13. |
9↑ | La place centrale au sein du premier registre demeure réservée à la Vierge tandis qu’apparaît la figure du Christ Rédempteur dans la cuspide située au-dessus, tandis que chaque cuspide latérale accueille celle d’un ange. |
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