Bartolo di Fredi, « Couronnement de la Vierge »

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Le motif du Couronnement de la Vierge, pourtant extrêmement populaire, est, « contrairement à ce qu’on pourrait croire, complètement étranger à la Bible » signale Louis Réau. [1] « Sa source est un récit apocryphe [2] attribué à Méliton, évêque de Sardes, qui fut popularisé au VIe s. par Grégoire de Tours, et au XIIIe s. par Jacques de Voragine [3] dans la Légende dorée. »

L’épisode proprement dit occupe une position centrale, au cœur du retable. De même que ses dimensions – plus grandes que celles des autres compartiments -, cette place centrale donne à la scène une primauté sur toutes les autres, lesquelles constituent en quelque sorte, une manière de satellites venus enrichir la narration.

Tout aussi indéfinissable que dans la scène précédente, l’espace de la narration n’est ici simulé que de manière ténue par une bande sombre qui évoque, plus qu’elle ne représente, le sol sur lequel on aperçoit quelques fleurs éparses. Le reste de la surface disponible est littéralement saturé par les nombreuses figures peintes, ne laissant entrevoir que quelques espaces recouverts d’une feuille d’or propre à permettre au spectateur de percevoir un lieu indéfinissable et surnaturel. L’affirmation de la planéité n’a rien de fortuite. C’est intentionnellement que Bartolo parvient à montrer la vision du Couronnement dans un espace indéfinissable, qui n’emprunte rien au vocabulaire plastique propre à créer un illusionnisme et qui conviendrait mieux à une description de type réaliste, ce dont il n’a ici nul besoin. L’important, c’est justement que l’espace où se déroule l’événement, par ses différences avec notre propre espace en trois dimensions, puisse par son inscription dans le plan, évoquer un espace environnant d’une autre nature, ressemblant par certains aspects mais plus encore, dissemblant de notre propre espace environnant. Cet espace singulier est inaccessible autrement que par la pensée, loin des contingences qui, par leur ressemblance avec celui dans lequel nous évoluons nous-mêmes, évoqueraient par trop notre propre univers quotidien.

Le peintre montre l’habileté avec laquelle il utilise les éléments architectoniques du retable pour organiser le récit. C’est ainsi qu’au dessus de l’arc en ogive de la moulure présente sur le support, au sein même du cadre, apparaît une scène secondaire qui entretient un très étroit rapport avec la scène principale. Elle nous montre six anges plongés dans la contemplation de l’événement qui se déroule au-dessous et dont, comme nous, ils sont les témoins. [4] Loin de la figuration d’un espace réaliste en trois dimensions auquel nous ont habitués les peintres à partir du Quattrocento, nous sommes à nouveau ici dans un espace plan, délimité par les moulurations du cadre dont, cependant, les protagonistes semblent se jouer. En effet, ils peuvent littéralement voir à travers ces limites et selon un point de vue qui ne semble gêner en rien leur vision de la scène, comme si les différents plans de la figuration se dépliaient pour pouvoir être observés à la fois par le spectateur de l’œuvre et par les anges présents en marge de la scène.

[1] REAU 1957, vol. II/2, p. 621.

[2] Apocryphe : voir lexique.

[3] Jacques de Voragine : voir Lexique. L’auteur de la Légende dorée est représenté dans une fresque de Ottaviano Nelli, à gauche de la Crucifixion (c’est l’évêque qui porte dans sa main gauche le livre dont il est l’auteur) dans la chapelle du palais Trinci, à Foligno (Ombrie).

[4] Duccio est souvent considéré comme ayant, le premier, exploité cette possibilité d’utiliser l’espace libre au dessus de l’arc en plein cintre qui somme la figure de la Madonna col Bambino conservée à la Gallerie Nationale de l’Ombre (Pérouse). Il existe cependant des précédents. L’un d’eux se trouve précisément au sein même du musée de Montalcino (Pittore senese della meta del duecento, Madonna col Bambino).

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