Domenico di Bartolo (Asciano, vers 1400/1404 – Sienne, vers 1445/1447)
Accoglimento e nozze dei trovatelli ou Accoglienza, educazione e matrimonio di una figlia dello spedale (Accueil et noces des enfants-trouvés ou Accueil, éducation et mariage d’une fille de l’Hôpital), vers 1441/1442.
Fresque
Provenance : In situ.
Sienne, Santa Maria della Scala.
Deux espaces distincts définissent deux lieux aux fonctions différentes, séparés par une élégante colonnade, sans toutefois que soit rompue l’harmonie d’ensemble de la scène figurée. Ce n’est pas un épisode qui est représenté ici, mais une succession d’épisodes séparés dans le temps et dans l’espace, réunis dans une même image, et traités une nouvelle fois sur le mode de l’allégorie pour valoriser l’action de bienfaisance qui constituait l’activité quotidienne en ces lieux.
L’histoire commence au centre de l’œuvre, à la jonction des deux espaces signalés plus haut, endroit stratégique où se trouve, comme il se doit, l’important personnage du Recteur, le magnifico Rettore, selon le titre encore en usage dans les universités italiennes [1] ; il nous est devenu familier : c’est encore et toujours Buzzichelli, et cette fois-ci, il est présent à deux reprises dans l’œuvre ! Pour l’heure, il remet entre les mains d’une matrone un nourrisson emmailloté comme une momie que vient de recueillir l’Ospedale. Cette matrone, c’est la “sopra donne”, celle qui est “au-dessus des autres femmes” travaillant pour l’Institution hospitalière : elle est la responsable des nourrices affairées, sur la gauche, à des occupations diverses qui consistent à allaiter, à laver ou encore à bercer les plus jeunes enfants, toutes fonctions maternelles qui leur ont été confiées moyennant rétribution. D’autres sortent de la cuisine et font leur entrée en scène. C’est le cas de celle que l’on voit passer la tête à travers l’ouverture qui conduit aux cuisines ; elle apporte un panier empli de petits pains sortant du four, des pains blancs comme on les trouve encore dans les boulangeries d’Italie (les forni). Tout au fond, face à la cheminée, une femme accroupie semble sur le point d’ôter du feu la nourriture qu’elle est en train d’y faire cuire. Au sommet de la pièce, on aperçoit à travers une fenêtre une femme accroupie (une servante de l’Hôpital) cueillant des grappes de raisin en prévision d’un repas à venir. En baissant le regard, nous ne manquerons pas de remarquer un torchon blanc brodé de noir, sorte un symbole de la vie quotidienne à Sienne au Trecento et au Quattrocento, ici témoin du sens pratique en usage dans les intérieurs : suspendu à une barre de bois, ce torchon accélère son séchage en bénéficiant de la chaleur provenant de l’âtre.
Sur le devant, cette fois-ci, des enfants, d’une classe d’âge plus élevée (mais peut-être s’agit-il des mêmes que ceux que nous venons d’observer, lesquels, le temps étant passé, ont grandi ?) sont plongés dans des activités pédagogiques adaptées à leur âge : ils s’exercent à l’écriture autour d’une table basse. Ils n’ont pas de siège où s’assoir mais nous avons vu, derrière eux, des nourrices effectuer leur besogne assises au sol elles aussi, signe que les sièges n’étaient pas prévus pour ce type d’activité. L’un des écoliers (une petite fille si l’on en juge par sa coiffure) s’avance timidement vers le maître afin de lui faire sanctionner son travail et, comme on peut en juger, la badine que ce dernier tient en main pourrait bien constituer une partie de la réponse obtenue.
A l’intérieur de l’espace feint dans lequel notre regard circule, nous voici maintenant sous la loggia qui occupe les deux tiers de la surface picturale. Le temps semble avoir passé au rythme de notre déplacement : nous voici maintenant à l’heure du mariage, tant il est vrai que l’Institution se préoccupait de marier ses pupilles en n’omettant pas de les doter si ces derniers étaient des filles. Les deux époux échangent à l’instant l’anneau nuptial, dans un geste d’une grande élégance et sous les yeux de Giovanni Buzzichelli qu’il n’est plus besoin, dorénavant, de présenter. Celui-ci soutient d’une main la dextre de l’épouse et de l’autre, serre fermement la bourse contenant la dot qu’il offrira une fois le pacte scellé. La merveilleuse élégance de la mariée est aussi la marque de la réserve et de la pudeur qui sied à une jeune épouse et témoigne de la qualité de l’éducation reçue ici même. Tandis que la jeune femme tend timidement la main vers l’anneau que l’époux s’apprête à passer à son doigt, elle penche délicatement la tête et rassemble devant elle les plis de son manteau.
Il faudrait également signaler la diversité des attitudes de la petite foule qui assiste à la noce, remarquer, dans la tribune, les musiciennes (sans doute des jeunes filles éduquées ici elles aussi) dont l’une d’elles, profitant de l’interruption que requiert l’instant solennel de la cérémonie qui se déroule en contrebas, semble s’émerveiller du spectacle, et tant d’autres détails qui contribuent à la fois à la précision de la narration et au plaisir de se livrer à son observation. L’un d’eux mérite un traitement à part : juste derrière l’élu, un homme vêtu de blanc, comme, du reste, ceux qui l’environnent, manifeste sa rage en soulevant ses deux poings crispés, tandis que son acolyte de droite fait mine de le maîtriser en lui saisissant les poignets. S’agit-il d’un candidat éconduit ? Tout le laisse penser et, ce faisant, tout incite à faire un parallèle avec la scène des fiançailles de la Vierge et de Joseph, dans laquelle figure (presque) toujours l’un des jeunes candidats éconduits en train rompre, de rage, la baguette qui ne lui a pas permis d’accéder à la main de Marie. De fait, cette explosion de rage qui se dissimule dans la foule des témoins, tout en évoquant de manière discrète le récit évangélique, crée un parallèle ambitieux : il s’agit, une fois encore, d’exalter l’action bénéfique de l’Ospdedale et de l’élever, grâce à ce stratagème, au rang de l’allégorie.
[1] C’est également le cas de toutes les universités en Espagne et en Allemagne, seulement pour les plus anciennes en Suisse et en Belgique.
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