Domenico di Bartolo, « Distribuzione delle elemosine »

Domenico di Bartolo (Asciano, vers 1400/1404 – Sienne, vers 1445/1447)

Distribuzione delle elemosine (Distribution des aumônes), 1441.

Fresque

Provenance : In situ.

Sienne, Santa Maria della Scala.

La scène est échelonnée sur plusieurs plans, dans un cadre architectural sur lequel il faudra revenir, et selon une organisation visuelle d’une invention remarquable et particulièrement efficace. Il s’agit d’un épisode autrefois fréquemment renouvelé à l’Ospedale di Santa Maria della Scala, œuvre de charité dont le but premier, on le sait, était le secours aux plus démunis envisagé comme précepte religieux fondamental. C’est donc à première vue une scène presque banale que nous observons. Cette dernière mérite pourtant que l’on y regarde de plus près.

Au premier plan, dans un espace construit comme un espace théâtral [1]Seul le mur du fond, parallèle à la scène, est visible, à la manière d’un décor de théâtre., assez nettement séparé des autres figurants, un premier groupe de personnages, sur la droite, met en scène le thème de l’aumône, lequel est représenté sur un mode réaliste bien différent de celui de l’allégorie que nous avons vu à l’œuvre sur la paroi d’en face : au centre, vu de dos, un homme est en train d’enfiler le vêtement que lui tend un frère laïc. Cet et homme dont le visage enfoui dans le vêtement est invisible symbolise l’une des formes particulières de l’aumône faite au pauvre, qui consiste à lui donner un vêtement protecteur, à l’instar de ce que font parfois les saints lorsqu’il partagent leur manteaux. [2]Saint Martin, en cette occurrence, est le plus fréquent d’entre eux.

Si l’on tourne le regard vers la gauche, on rencontre une fois encore le Recteur Buzzichelli. Soulevant son bonnet pour parler à l’important personnage vêtu d’un somptueux habit princier, que l’on voit accompagné de sa suite [3]Les fréquentes visites effectuées par des princes dans ce lieu sont documentées, comme l’est le fait que nombre d’entre eux ont cherché à reproduire le modèle de l’organisation mise en place à Santa Maria della Scala., il semble présenter d’un geste de la main la diversité des opérations charitables qui s’effectuent sous son gouvernement. Ces dernières sont résumées par quatre personnages qui semblent avoir opportunément fait une pause en s’extrayant du défilé auquel ils participaient un instant plus tôt.

Comme la scène se déroule en présence d’un puissant visiteur, la distribution des aumônes s’effectue dans un intérieur. Celui-ci n’est pas indifférent. Plusieurs indices – un retable apposé contre un mur sous un dais d’honneur, un second dais, de taille plus importante (peut-être est-il positionné au dessus de l’autel majeur situé à droite, hors du champ de l’image ?), orné d’une procession de saints qui semblent eux aussi observer le spectacle à leur pieds -, laissent entendre que la scène se déroule dans une église.

L’organisation est bien huilée : le cortège des miséreux pénètre à l’intérieur de l’édifice par l’une des deux ouvertures pratiquées dans la paroi et sort par la seconde, plus à gauche. A l’entrée, un frère laïc distribue les pains au fur et à mesure que les personnes dans le besoin se présentent devant lui. Et l’on peut voir au sein du défilé, un ensemble de portraits témoignant de la diversité des individus qui composent cette foule en mouvement. Un second groupe sur la droite donne à voir une mère tenant un enfant à la main et portant, de l’autre, un panier empli du pain qu’elle vient de le recevoir, ainsi qu’un second enfant en bas âge. Le caractère subtilement allégorique de cette figure est renforcé par le geste de l’enfant qui presse le sein nourricier de sa mère. Suit la figure du vieillard barbu qui se trouve aux pieds de la mère de famille, dont les jambes, trop faibles pour le porter, sont, pour l’une, bandée et visiblement inapte à la marche (le pied gauche est renversé vers le haut), l’autre enflée et couverte de plaies rouges, qui ne se déplace plus qu’à l’aide de deux plaquettes de bois fixées sur chacune de ses mains. Un quatrième personnage semble s’être interrompu dans sa déambulation vers la sortie ; il se déplace, quant à lui, à l’aide de béquilles. Tous illustrent la foule des indigents à qui était destinée ce que l’on appelait naguère encore la « charité chrétienne » représentée ici..

Tandis que le cortège continue son parcours et que nous observons avec curiosité la diversité des physionomies représentées, nous tombons maintenant sur un homme dont seul le visage est visible parmi la foule : il s’est arrêté un instant et, levant haut ses deux mains, rend grâce à son Dieu en se retournant vers un autel qui demeure caché aux yeux du spectateur.

Le lieu de l’action, parfaitement reconnaissable, vient confirmer l’hypothèse selon laquelle le décor des scènes figurées a fait l’objet d’une observation sur place. Nous sommes dans l’église de la Santissima Annunziata. Principal lieu de culte de l’Ospedale, elle est construite parallèlement à la longue façade donnant sur la Cathédrale, l’actuelle Piazza del Duomo que l’on peut identifier au delà des deux ouvertures ogivales ouvertes à deux battants, par lesquelles le cortège entre et sort de l’édifice : à gauche, on distingue le portail central de la Cathédrale conçu par Nicolas Pisano [4]Devant la Vierge à l’Enfant, deux anges agenouillés représentent symboliquement la personnification de Sienne, d’une part, et celle du Capitaine du Peuple d’autre part., à droite, le mur strié horizontalement de marbres noir et blanc typique de l’architecture religieuse siennoise, ainsi que d’autres constructions de briques qui, ensemble, évoquent l’ancien palais épiscopal alors accolé à droite de la Cathédrale, dans l’axe de cette dernière, délimitant la place oblongue telle qu’elle se présentait au XVe s. [5]Voir : Le flanc droit de la Cathédrale. À gauche, au-dessus du visiteur princier que nous avons vu salué par le Recteur de l’Ospedale, un curieux édicule suspendu est accolé à la paroi. Il s’agit de l’arrière de la tribune donnant sur la place, aujourd’hui murée, du haut de laquelle se faisait l’ostension des reliques du Trésor de Santa Maria le 25 mars, jour du Nouvel An à Sienne.

Notes

Notes
1 Seul le mur du fond, parallèle à la scène, est visible, à la manière d’un décor de théâtre.
2 Saint Martin, en cette occurrence, est le plus fréquent d’entre eux.
3 Les fréquentes visites effectuées par des princes dans ce lieu sont documentées, comme l’est le fait que nombre d’entre eux ont cherché à reproduire le modèle de l’organisation mise en place à Santa Maria della Scala.
4 Devant la Vierge à l’Enfant, deux anges agenouillés représentent symboliquement la personnification de Sienne, d’une part, et celle du Capitaine du Peuple d’autre part.
5 Voir : Le flanc droit de la Cathédrale.