Sources écrites de l’épisode des fiançailles de la Vierge

Les textes canoniques sont explicites quant au statut matrimonial de Marie : deux des quatre évangélistes, Matthieu et Luc, la présentent aussi bien comme fiancée à Joseph que comme son épouse [1]À l’évidence, les choix des traducteurs jouent également un rôle. Voir ci-dessus les deux traductions de Matthieu 1, 18.. Rien n’est dit, toutefois, d’une quelconque cérémonie de fiançailles ou de mariage qui aurait officiellement marqué cette union.

  • Évangile de Matthieu (Mt 1, 18)

« Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph (avait été accordée en mariage à Joseph) ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint ».

  • Évangile de Luc (Lc, 1, 27)

L’évangéliste parle de Marie comme « fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph ». Et dans le dialogue avec l’ange [2]Lors de l’Annonciation., la phrase : « Je ne connais point l’homme » mise dans la bouche de Marie (Lc 1, 34) indique non seulement que les « fiancés » n’habitaient pas encore ensemble mais qu’ils ne s’étaient pas encore connus, au sens proprement biblique du terme.

Les apocryphes (en premier lieu, le Protévangile de Jacques [3]Le Protévangile de Jacques (rédigé vers 200) est le plus ancien des apocryphes et le premier à avoir imaginé le récit d’un événement que supposaient les évangiles canoniques toutefois restés silencieux sur son déroulement – et même sur son existence., suivi de l’Évangile de la jeunesse de Marie) se sont chargés de combler le vide laissé par les textes canoniques en imaginant de toutes pièces, et sur un mode très détaillé, une cérémonie dans laquelle une voix divine « sorti[e] de l’oracle [4]Évangile de la jeunesse de Marie, chap. VII. » se fit entendre.

  • Protévangile de Jacques

Chapitre VIII

« […] Quand [Marie] eut douze ans, les prêtres se réunirent dans le temple du Seigneur et ils dirent : ‘Voici que Marie a passé dix ans dans le temple ; que ferons-nous à son égard, de peur que la sanctification du Seigneur notre Dieu n’éprouve quelque souillure?’ Et les prêtres dirent au prince des prêtres : ‘Va devant l’autel du Seigneur et prie pour elle, et ce que Dieu t’aura manifesté, nous nous y conformerons’. Le prince des prêtres, ayant pris sa tunique garnie de douze clochettes entra donc dans le Saint des Saints et il pria pour Marie. Et voici que l’ange du Seigneur se montra à lui et lui dit : ‘Zacharie, Zacharie, sors et convoque ceux qui sont veufs parmi le peuple et qu’ils apportent chacun une baguette et celui que Dieu désignera par un signe sera l’époux donné à Marie pour la garder’. Des hérauts allèrent donc dans tout le pays de Judée, et la trompette du Seigneur sonna et tous accouraient. 

« Chapitre IX.

« Joseph ayant jeté sa hache, vint avec les autres. Et s’étant réunis, ils allèrent vers le grand-prêtre, après avoir reçu des baguettes. Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu’il avait apportée, et aucun signe ne s’était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : ‘Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi’. Et Joseph protesta en disant : ‘J’ai des enfants et je suis vieux, tandis qu’elle est fort jeune ; je crains d’être un sujet de moquerie pour les fils d’Israël’. Le grand-prêtre répondit à Joseph : ‘Crains le Seigneur ton Dieu […]’ ».

  • Évangile de la jeunesse de Marie

« Chapitre VII :

« Elle parvint à l’âge de quatorze ans sans que non seulement les méchants pussent rien découvrir de répréhensible en elle, mais tous les bons qui la connaissaient trouvaient sa vie et sa manière d’agir dignes d’admiration. Alors le grand-prêtre annonçait publiquement que les Vierges que l’on élevait soigneusement dans le temple et qui avaient cet âge accompli s’en retournassent cher elles pour se marier selon la coutume de la nation et la maturité de l’âge. Les autres ayant obéi à cet ordre avec empressement, la Vierge du Seigneur Marie fut la seule qui répondit qu’elle ne pouvait agir ainsi, et elle dit : « Que non seulement ses parents l’avaient engagée au service du Seigneur, mais encore qu’elle avait voué au Seigneur sa virginité qu’elle ne voulait jamais violer en habitant avec un homme. » […] Le grand-prêtre selon l’usage se présenta pour consulter Dieu. Et sur le champ tous entendirent une voix qui sortit de l’oracle et du lieu de propitiation, qu’il fallait, suivant la prophétie d’Isaïe, chercher quelqu’un à qui cette Vierge devait être recommandée et donnée en mariage. Le grand-prêtre ordonna donc, d’après cette prophétie, que tous ceux de la maison et de la famille de David qui seraient nubiles et non mariés, vinssent apporter chacun une baguette sur l’autel, car l’on devait recommander et donner la Vierge en mariage à celui dont la baguette, après avoir été apportée, produirait une fleur, et au sommet de laquelle l’esprit du Seigneur se reposerait sous la forme d’une colombe. »

« Chapitre VIII :

« Il y avait parmi les autres de la maison et de la famille de David, Joseph, homme fort âgé, et tous portant leurs baguettes selon l’ordre donné, lui seul cacha la sienne. C’est pourquoi, rien n’ayant apparu de conforme à la voix divine, le grand-prêtre pensa qu’il fallait derechef consulter Dieu, et le Seigneur répondit que celui qui devait épouser la Vierge était le seul de tous ceux qui avaient été désignés qui n’eût pas apporté sa baguette. Ainsi Joseph fut découvert. Car lorsqu’il eut apporté sa baguette, et qu’une colombe, venant du ciel, se fut reposée sur le sommet, il fut manifeste pour tous que la Vierge devait lui être donnée en mariage. »

Comme d’habitude, c’est Jacques de Voragine qui, dans le chapitre 127 de la Légende Dorée, rédige l’article le plus détaillé.

  • Jaques de Voragine, La Légende dorée

« Durant sa quatorzième année, le pontife annonça publiquement que les vierges élevées dans le Temple devaient retourner chez elles quand elles auraient atteint l’âge de se marier légitimement. Toutes obéirent à son commandement, et seule la sainte Vierge Marie répondit qu’elle ne le pouvait pas, d’une part parce que ses parents l’avaient vouée au service du Seigneur, de l’autre parce qu’elle-même lui avait consacré sa virginité. Le pontife fut embarrassé, car il n’osait ni briser un vœu en allant contre l’Écriture qui dit : Faites des vœux et accomplissez-les [Psaumes, 75, 12], ni introduire un usage étranger à cette nation. 

« On était à la veille d’une fête juive, et les anciens, qui avaient été convoqués, furent unanimement d’avis qu’en une situation aussi incertaine, il fallait interroger le Seigneur. Ils étaient en prière, et le pontife s’apprêtait à consulter le Seigneur, quand, du lieu de l’oratoire, tous entendirent aussitôt une voix disant que les hommes nubiles et non mariés de la maison de David devaient apporter chacun une [baguette] à l’autel, et que celui dont la [baguette] fleurirait, et au bout de laquelle, d’après la prophétie d’Isaïe, le Saint-Esprit descendrait sous l’aspect d’une colombe, celui-là, sans l’ombre d’un doute, devrait devenir l’époux de la Vierge.

« Il y avait parmi eux Joseph, de la maison de David, qui, trouvant incongru qu’un homme d’un âge aussi avancé que le sien épouse une vierge si jeune, fut le seul à dissimuler sa [baguette] quand tous les autres avaient apporté la leur à l’autel. Comme rien ne se passait qui répondît à la parole divine, le pontife jugea bon de consulter à nouveau le Seigneur. Celui-ci répondit que l’homme qui devait épouser la Vierge était le seul qui n’eût pas apporté sa baguette. Ainsi désigné, Joseph apporta [la sienne], qui fleurit aussitôt, et au bout de laquelle se posa une colombe descendue du ciel. Tous comprirent alors avec certitude qu’il serait l’époux de la Vierge, et il s’en retourna dans sa ville de Bethléem pour préparer sa maison et organiser ses noces ; quant à la Vierge Marie, elle retourna à Nazareth, dans la maison paternelle, avec sept vierges du même âge, nourries du même lait, qu’elle avait reçues du prêtre pour témoigner du miracle. C’est en ce temps-là que l’ange Gabriel lui apparut durant sa prière, et qu’il lui annonça que le Fils de Dieu naîtrait d’elle » (Jacques de Voragine, « La nativité de la Vierge », dans la Légende dorée (entre 1261 et 1266), Paris, Gallimard (Coll. de La Pléiade), 2004, pp. 733-734).

Notes

Notes
1 À l’évidence, les choix des traducteurs jouent également un rôle. Voir ci-dessus les deux traductions de Matthieu 1, 18.
2 Lors de l’Annonciation.
3 Le Protévangile de Jacques (rédigé vers 200) est le plus ancien des apocryphes et le premier à avoir imaginé le récit d’un événement que supposaient les évangiles canoniques toutefois restés silencieux sur son déroulement – et même sur son existence.
4 Évangile de la jeunesse de Marie, chap. VII.