Taddeo di Bartolo, “IUSTITIA”

Lunette de la « Giustizia », galerie d’ « Hommes illustres (Manlius Tullius Cicero, Marcus Porcius Cato Uticensis, Publius Cornelius Scipio Nasica). Palazzo pubblico, « Anticapella ».

Taddeo di Bartolo (Sienne, 1362 ou 1363 – 1422)

Iustitia (La Justice), 1412-1414.

  • Dans les trois médaillons de la frise :
    • Caius Mucius Scaevola
    • Caius Fabritius Luscinus
    • Manius Curius Dentatus

Inscriptions :

  • (sous l’allégorie de la Justice) :
    • « IUSTITIA »
  • (médaillon avec la figure de Caius Mucius Scaevola [1]) :
    • “M. SC[A]EVOLA”
  • (médaillon avec la figure de Caius Fabritius [2]) :
    • “FLABRITIUS [sic]”
  • (médaillon avec la figure de Manius Curius Dentatus [3]) :
    • “DENTATVS”
  • (long cartouche sous la figure de la Justice) :
    • IUSTITIA OMNIVM VIRTUTUM PRECLARISSIMA REGNA CONSERVAT [1] / PROPTER INIUSTITIAM TRANSFERUNTUR REGNA DE GENTES IN GENTES [4]”

Fresque

Provenance : In situ

Sienne, Palazzo Pubblico, Ante Capella.

La Justice, portant couronne, arbore l’épée levée vers le haut, tandis que de la main droite, elle maintient un livre en équilibre. D’autre livres sont également visibles sur ses genoux. Sur le banc, à sa droite, est posé son écu. Celui-ci évoque, selon Roberto Guerrini la « ‘boule de l’univers’, symbole de l’omnipotence divine, attribuée au Père et au Fils dans les marqueteries du Credo » également sculptée par Domenico di Niccolò sur les stalles de la chapelle attenante.

Une nouvelle fois, les deux lignes d’inscriptions du cartouche sont empruntées à des traités du Moyen âge :

  • Iustitia omnium virtutum preclarissima regna conservat (« La justice, la plus illustre des vertus, conservé les royaumes. [5] »)
  • Propter iniustitiam transferuntur regna de gente in gentem (« Pour l’injustice, les gouvernements passent d’un peuple à l’autre. [6] »)

Ici, l’attention est entièrement focalisée sur le rôle central de la Justice dans la vie politique : l’allégorie, en même temps qu’elle rend évidents les rapports du cycle avec celui du Bon Gouvernement, s’inscrit au sein d’une tradition iconographique qui, partant de la Maestà de Simone, conduira jusqu’au plafond de la salle du Consistoire peint par Beccafumi. L’allégorie de Taddeo en est, en quelque sorte, l’un des maillons de cette tradition.

Dans les médaillons, de gauche à droite, apparaissent les trois portraits de Mucius Scaevola, de Caius Fabritius et de Manius Crurius Dentatus, qui apparaît pour la seconde fois dans le cycle.

L’insertion de Mucius Scaevola à gauche, dans le premier médaillon de la lunette, en même temps que Caius Fabritius et Manius Crurius Dentatus, correspond à un usage typiquement siennois. Il fait ici son apparition à Sienne, parmi la galerie des “Hommes illustres”, ce qui représente une nouveauté dans le panorama iconographique.

Au sommet de la lunette, s’inscrit Caius Fabritius, un personnage qui apparaît fréquemment aux côtés de Curius Dentatus au point que les personnages sont parfois confondus. Fabrice était très populaire dans la littérature antique comme dans la littérature médiévale humaniste, en raison de la simplicité de sa vie qui est allé jusqu’à survivre dans l’extrême pauvreté, en raison, également, de son honnêteté ainsi que de son caractère incorruptible. Cicéron le définit comme un maximum exemplum iustitiae in hostem [7], mais aussi ‘juste comme Aristide» [8]. Après Cicéron, Pétrarque dira à son tour : «Aristidés che fu un greco Fabrizio» [9]. Quant à Dante, il le nomme le «buon Fabrizio» (Dante, Purg, 20, 25-27) et l’insère dans une série de personnages qui rapproche le héros Romain de la Madone et de saint Nicolas.

Bien que d’autres solutions soient envisageables, il apparaît comme très probable qu’il faille reconnaître, dans le médaillon de droite, Marius Curius Dentatus, héros déjà rencontré sous l’allégorie de la Magnanimité. Le fait que ce personnage puisse apparaître deux fois ne doit pas surprendre. En effet, “la valeur exemplaire n’est pas toujours univoque et c’est pourquoi il arrive qu’un même héros assume divers symboles. Dans le cas particulier de Curius Dentatus, si son incorruptibilité dans la guerre contre les Samnites est devenue la exactissima norma Romanae frugalitatis idemque fortitudini perfectissimum specimen [10], de l’autre, il émerge comme un champion de sévérité à l’égard de qui ne respecte pas scrupuleusement les devoirs militaires (‘la République, en fait, n’a nul besoin de citoyens qui ne savent pas obéir’ [11]). La severitas devient avec lui la forme extrême de la justice, […] comme on peut le voir à travers les exemples peints par Beccafumi sur les longs côtés de la salle du Consistoire, en illustration de la Justice placée au centre de la voûte.” [12].

[1] Caïus Mucius Cordus, surnommé “Scaevola”, c’est-à-dire “gaucher”. Jeune Romain, il s’introduit, dit la tradition romaine, dans le camp de Porsenna, roi des Étrusques, alors que celui-ci assiége Rome (507 av. J. C.). Au lieu du roi qu’il voulait poignarder, il abat par erreur son secrétaire. Arrêté par les gardes royaux, Mucius Scevola met sa main dans un brasero et jure devant Porsenna que, même s’il est exécuté, d’autres Romains aussi intrépides que lui viendront à leur tour pour le tuer. Devant un tel courage, Porsenna le fait relâcher et finit par lever le siège.

[2] Caius Fabritius Luscinus, homme politique romain du IIIe siècle avant J.-C. Il est pour  Plutarque, le type même de l’antique vertu romaine. Célèbre pour sa simplicité et l’incorruptibilité dont il fit preuve pendant ses négociations avec Pyrrhus en 280 : deux ans après, une nouvelle fois envoyé auprès de lui pour traiter d’un échange de prisonniers capturés à la bataille d’Héraclée. Il refuse de payer le montant de la rançon demandée, ainsi que les présents du roi. Impressionné par tant de vertu, Pyrrhus lui confie les prisonniers pour les emmener à Rome, à la condition de les lui renvoyer si le Sénat romain venait à refuser de payer cette rançon : le Sénat n’ayant pas admis les demandes de Pyrrhus, Fabricius les lui renvoit tous fidèlement. Pyrrhus offre alors à Fabricius un éléphant. L’animal était alors inconnu des ramains. Fabricius le refuse en déclarant avec panache : ” Ni ton argent hier, ni ton animal aujourd’hui ne m’impressionnent.” Il fut consul (282 et 278 avant J.-C.) et censeur (277 avant J.-C.).

[3] Manlius Curius Dentatus (mort en 270 av. J.-C.), tribun de la plèbe sous la République, entre 298 et 291 av. J.-C. il a mis fin à la Guerre Sunnite. Selon Pline, il était né en ayant déjà des dents, ce qui lui valu le surnom dentatus. Le fait que ce héros réapparaisse une seconde fois dans le cycle de l’anticapella ne doit rien au hasard mais bien au caractère exemplaire de l’honnêteté du personnage, qui devrait toujours régner en politique ….

[4] « La justice, la plus glorieuse parmi les vertus, maintient les royaumes » (Gilles de Rome, Miroir des Princes. Gilles de Rome rédige son De regimine principum à l’intention de l’héritier du trône de France, le jeune Philippe le Bel , vers 1279. Il est le premier auteur d’un miroir du prince à faire un usage systématique de la Politique et de l’Éthique d’Aristote, alors à peine redécouvertes par le biais des traductions latines), « À cause de l’injustice, les royaumes passent de main en main ».

[5] Egidio Romano (Gilles de Rome), De regimine principum (Le Miroir du Prince), 1, 2, 11.

[6] Livre de sagesse de la Bible : Vulg. eccles. 10,8.

[7] “Un très grand exemple de justice à l’égard de l’ennemi.” Off, 1, 13, 40 (voir GUERRINI 2000, p. 66).

[8] Off, 3, 4, 16 ; 3, 22, 87 (id.)

[9] Francesco Petrarca, Trionfo della Fama, 3, 32.

[10] «Le modèle suprême de la frugalité romaine et l’image la plus parfaite de la force d’âme.” Valère Maxime, de abstinentia et continentia, 4, 3, 5.

[11] Valère Maxime, de severitate, 6, 3, 4.

[12] GUERRINI 2000, p. 65.