
Memmo di Filippuccio (Sienne, documenté de 1288 à 1324)
Lettore e lettrice [Paolo e Francesca ?] (Lecteur et lectrice [Paolo e Francesca ?], v. 1303-1310).
Fresque
Provenance : In situ.
San Gimignano, Palazzo Comunale, Camera del Podestà.
La réécriture médiévale de la parabole du Fils prodigue qui figure dans la lunette de la paroi nord fait l’objet, en quelque sorte, de commentaires par le biais de deux images placées de part et d’autre de la fenêtre. Toutes deux illustrent deux épisodes narratifs dont l’origine littéraire est la plus probable mais non certaine.
Dans la première d’entre elles, en partant de l’angle nord-est de la salle, une jeune femme s’appuie sur l’épaule d’un homme que l’on voit en train de lire. Les visages estompés des deux personnages résultent d’une restauration récente qui a consisté à les réintégrer dans leurs silhouettes de manière à en compenser la perte, vraisemblablement due, comme on l’observe souvent [1], à un acte volontaire, ce qui rend délicate toute tentative d’interprétation. Nous avons vu que les costumes portés par les personnages aident à leur identification lorsqu’ils se déplacent d’une image à l’autre ou au sein d’un continuum spatial lorsque l’image s’inscrit dans un cadre unique. Mais cette observation est ici de peu d’aide : aucun détail du vêtement porté par le lecteur ne ressemble à celui dont le philosophe est revêtu dans la scène qui va suivre. S’agit-il bien d’Aristote ? L’hypothèse semble est l’une des moins probables.
Alors que rien ne dit que les deux jeunes gens échangeaient un baiser, situation qui aurait aussi pu constituer un préambule à la seconde scène à venir (Aristote et Phyllis), une autre interprétation, traditionnelle celle-ci, retient que le sujet de l’œuvre illustre l’épisode le plus célèbre de l’histoire de deux autres amants adultères, Paolo et Francesca, immortalisée par Dante peu avant que les fresques ne soient peintes, dans les vers qui suivent :
“Quando leggemmo il disïato riso / esser basciato da cotanto amante, / questi, che mai da me non fia diviso, / la bocca mi basciò tutto tremante. / Galeotto fu ‘l libro e chi lo scrisse : / quel giorno più non vi leggemmo avante [2]”.
Interprétée comme une représentation de l’histoire de Paolo et Francesca, l’image pourrait être interprétée comme un avertissement contre les conséquences des situations dans lesquelles les amours illicites peuvent aboutir à un drame. Et de ce point de vue, elle ferait effectivement écho à la parabole peinte au-dessus.
Mais dans des conditions aussi incertaines, d’autres couples de lecteurs célèbres au Moyen Âge pourraient être évoqués : Héloïse et Abelard, Merlin et Viviane …
[1] C’est là cas ici même, dans la fresque qui se trouve à gauche de la fenêtre, dans laquelle le visage d’Aristote a été rayé d’un geste rageur.
[2] L’extrait est tiré de l’épisode du baiser de Paolo et Francesca rapporté par Dante au Chant V de l’Enfer. Paolo Malatesta et Francesca da Polenta, sont beaux-frères et belle sœur. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. Surpris en flagrant délit d’adultère par Gianciotto Malatesta, frère de Paolo et mari de Francesca, ils sont tués tous les deux. Dans les enfers auxquels leur relation adultère les a condamnés pour l’éternité, en présence de Paolo qui sanglote, Francesca raconte à Dante l’instant de la naissance de leur passion adultère. Alors qu’ils lisent ensemble, dans le même livre, l’histoire de Lancelot, et qu’ils en sont venus au passage où Galehaut, ami de Lancelot, l’invite à donner un baiser à la reine Guenièvre : « Alors que nous lisions le passage où le valeureux Lancelot (cotanto amante : tellement aimant) embrassa la bouche tant désirée de Guenièvre (il disiato riso [di Ginevra] : le sourire tant désiré [de Guenièvre]), celui-ci (Paolo), qui ne sera jamais séparé de moi, m’a embrassé en tremblant sur la bouche. [Leur] Galehaut [ce] fut le livre, et celui qui l’écrivit » Dante Alighieri, Divina Commedia. Inferno (Chant V – vv.73-142).
L’histoire s’appuie sur un fait qui s’est réellement passé : Francesca, fille de Guido l’Ancien, seigneur de Ravenne, avait épousé le déformé et boiteux Gianciotto (Giovanni lo Sciancato, fr. : Jean le Boiteux) Malatesta, fils de Malatesta da Verrucchio, seigneur de Rimini. Le mariage était advenu pour des raisons politiques et sanctionnait le retour de la paix entre Ravenne et Rimini, après des années de luttes et de disputes.
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