Comme nous le dit la Légende Dorée, le grand prêtre annonça que les Vierges âgées de quatorze ans devaient quitter le Temple pour se marier, comme le prévoit la loi mosaïque. Une voix annonça que parmi les prétendants de la maison de David, celui qui devait épouser Marie serait celui qui apporterait à l’autel une baguette qui fleurirait et sur laquelle viendrait se poser une colombe. Joseph fut l’élu. Les fiançailles accomplies, Marie et Joseph furent mariés dans le Temple.
La scène représentée dans les peintures analysées et communément appelée Mariage de la Vierge Marie se situe dans le Temple. Le grand prêtre bénit les époux pendant que Joseph passe un anneau au doigt de Marie. Toutefois, cette scène est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, sur le plan temporel, elle télescope deux temps distincts : le jour du mariage proprement dit et le jour de l’épisode de la baguette fleurie, advenu quelques jours ou semaines auparavant. Presque systématiquement en effet, on retrouve à gauche de la composition un groupe de prétendants déçus qui montrent leur mécontentement en cassant ou brandissant leurs poings ou leurs baguettes. De même, comme une réminiscence de cet épisode, Joseph tient en main sa baguette fleurie au-dessus de laquelle survole l’esprit saint, ce qui est anachronique par rapport au jour du mariage. Ces deux éléments (présence des prétendants évincés et présence de la baguette fleurie de Joseph) rendent ambiguë cette scène, entre une représentation de fiançailles et une représentation d’un mariage. Andrea De Marchi précise qu’elle représente un « sposalitio per verba de presenti ».
Les représentations du Mariage de la Vierge, à Florence et à Sienne, ressemblances et divergences
Les compositions des différents artistes présentent à l’analyse beaucoup plus de similitudes que de divergence. Pour ce qui a trait aux ressemblances, elles traversent les époques, les styles et les régions. Les caractéristiques générales décrites ci-dessus (le Temple, le grand prêtre entre les époux, les prétendants) se retrouvent à Florence comme à Sienne, et ce pendant deux siècles. La seule différence notable se situe dans la présence ou pas des parents de Marie. Rien d’étonnant en effet à ce qu’ils soient presque systématiquement représentés à Sienne. On a vu la raison qui a poussé Tolomei, le commanditaire recteur de l’Ospedale, à vouloir que soient représentés dans les quatre scènes les parents de la Vierge. Alors qu’à Florence, où le culte de Anne et Joachim n’était pas à l’honneur, on ne les trouve quasiment jamais. Sauf chez Giovanni da Milano en 1365 et Lorenzo Monaco en 1420. Autant la Présentation au Temple de Giovanni da Milano était semblable à celle de Taddeo Gaddi, autant les deux compositions du Mariage de Marie divergent, ne serait-ce que par ce détail important de la présence des parents de Marie chez Giovanni da Milano, au fond derrière le grand prêtre. Peut-on y voir une influence siennoise et plus précisément des fresques de l’Ospedale peintes en 1335, alors que Taddeo oeuvrait à Santa Croce en 1330 et Giovanni da Milano en 1365 ?


À l’inverse, des détails ont été repris à Florence comme à Sienne pendant toute la période des Trecento et Quattrocento. Un exemple est constitué par le groupe des prétendants déçus très souvent représenté à gauche. L’un d’eux est au premier plan et se penche pour casser sa baguette sur son genou, alors que d’autres ont une attitude plutôt menaçante vis-à-vis des nouveaux époux. Ce détail est déjà chez Giotto. On le trouve chez Taddeo Gaddi, Orcagna vers 1350, Giovanni da Milano, Lippo Vanni en 1360, Bartolo di Fredi, Gregorio di Cecco di Luca en 1423 et Sano di Pietro. On le trouve aussi à Impruneta en 1375, Campagnatico.

Plus précisément, un ensemble de quatre détails se retrouvent dans plusieurs compositions de peintres siennois : le prétendant déjà mentionné cassant sa baguette sur son genou, un autre tendant le bras à l’horizontal de façon agressive vers Joachim, d’autres qui lèvent leurs poings ou leurs baguettes vers le ciel, enfin Joachim tourné de profil vers la gauche et cherchant à calmer les prétendants jaloux. Cer ensemble de quatre détails se retrouve, à chaque fois à Sienne, d’abord chez Lippo Vanni, puis chez Bartolo di Fredi dans ses trois représentations de la scène, à San Gimignano, à Montalcino et à Montespescali. On le voit aussi dans le dessin de l’école siennoise de 1420 conservé au British Museum (version dit-on proche de celle de l’Ospedale), dans la fresque de Bindo Zoppo à Sienne et chez Sano di Pietro. Peut-on faire l’hypothèse sans se tromper que cet ensemble provient directement des fresques de Santa Maria della Scala ?


Un dernier détail doit retenir notre attention : la présence ou pas d’un groupe de musiciens, souvent à droite de la composition. Ce groupe provient vraisemblablement d’une autre scène de l’enfance de Marie, le Cortège nuptial, que Giotto a peinte à Padoue après celle du Mariage. On y voit des trompettes et des violons.

Cet élément est assez souvent repris, avec une mise en avant du groupe plus ou moins forte. Parfois on ne voit pas les instrumentistes, mais seules des trompettes surplombent la scène, comme chez Bartolo di Fredi (à San Gimignano, car à Montalcino elles sont absentes). Parfois le groupe est très détaillé comme chez Sano di Pietro, Niccolò di Buonaccorso, Benedetto di Bindo Zoppo ou Lippo Vanni qui ajoutent au premier plan, qui un tambourin, qui un luth, qui un psaltérion, qui una viola da braccio.



En guise de conclusion sur cette scène du Mariage de la Vierge
Que faut-il retenir de ces différents éléments et comment imaginer la fresque de Santa Maria della Scala ? On y trouvait certainement, à gauche, le groupe de prétendants déçus et menaçants, avec Joachim cherchant à s’interposer, au centre le Mariage proprement dit avec le grand prêtre officiant entre Joseph et Marie, enfin à droite un groupe d’invités ou d’observateurs, sans doute accompagnés de musiciens jouant divers instruments. Un décor voûté figurant un Temple devait englober le tout.
Lippo Vanni à San Leonardo al Lago, Bartolo di Fredi (à San Gimignano, malgré le fait que les trompettes ne soient qu’esquissées à gauche), Benedetto di Bindo Zoppo dans la sacristie de la cathédrale de Sienne, le dessin de l’école siennoise de 1420 conservé à Londres, enfin Sano di Pietro dans la prédelle du Vatican répondent tous les cinq à cette description et il semble difficile de les départager.


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