Pittore senese attivo nel ultimo quarto del XIIIe s. (Peintre siennois actif au cours du dernier quart du XIIIe s. [Rinaldo da Siena ?])
Deposizione dalla croce (Descente de croix)
Fresque
Provenance : In situ
“Crypte” sous la Cathédrale, Sienne.
Le corps athlétique du Christ, tendu comme un arc bandé et prêt à rompre, pèse de tout son poids. Il est porté à la force des bras, les reins posés sur le genou droit, par Joseph d’Arimathie, “membre honoré du grand conseil” [1], qui a demandé il y a quelques heures à Pilate, et a obtenu de lui, l’autorisation d’ensevelir celui qu’il considère comme le fils de Dieu. Marie s’est hissée sur l’échelle, à première vue pour aider à soutenir son fils mort. Un troisième personnage, nommé Nicodème, membre lui aussi du conseil et “chef des Juifs” [2], un genou en terre au pied de la croix, est affairé à extraire à l’aide de tenailles le dernier clou qui maintient encore le corps du Christ attaché au bois du suppedaneum. [3] Le détail est d’une précision chirurgicale : son cruel réalisme vise sans doute à accroître, si cela est possible, la compassion qu’éprouve le spectateur de la scène. Légèrement en arrière, Jean, ainsi que les trois femmes (les trois Marie), pleurent la mort du Christ (parmi elles, Marie-Madeleine, bien que celle-ci soit traditionnellement représentée sans voile puisqu’elle n’est pas mariée, est probablement celle des femmes qui baise la main du Christ). A droite, légèrement en arrière, une quatrième femme porte une main contre sa poitrine et l’autre à son visage, un visage dont les traits sont déformés de souffrance à la vue de ce lugubre spectacle.
Selon une tradition issue des textes canoniques et qui ne se démentira pas au cours des siècles suivants, l’auteur de la fresque situe explicitement la scène sur la colline du Calvaire [4] en plaçant dans les fractures de la roche, parmi quelques os, un crâne dont la colline, lieu habituel des exécutions, tire son nom.
La Descente (ou déposition) de la croix occupe, à tous égards, une place à part dans l’iconographie de la « crypte ». Nous avons déjà vu à quel point le programme « décoratif », si l’on peut le qualifier ainsi, a été pensé en fonction non seulement du lieu dont sont ornés les murs mais encore pour servir à des fins de type pédagogique, voire démonstratif. De par son emplacement tout d’abord : située dans l’axe de symétrie du local, face à l’entrée principale, la Descente de croix relègue sur sa gauche l’acmé du moment de la Crucifixion que l’on s’attendrait davantage à trouver à un emplacement privilégié, au centre, celui vers lequel se concentrent tous les points de vue. En second lieu, la mise en scène donne à la Vierge un rôle de premier plan auquel nous ne sommes pas accoutumés. C’est l’une des singularités les plus remarquables de cette œuvre, qui tient précisément à l’iconographie très inhabituelle de Marie : au lieu de se tenir au pied de la croix en s’abandonnant à son chagrin, comme elle est le plus souvent représentée, celle-ci s’est hissée sur le second barreau de l’échelle appuyée contre le montant vertical de l’instrument de supplice afin d’aider, semble-t-il à première vue, à soutenir le corps de son fils que deux autres personnages déjà mentionnés s’efforcent de déposer à terre. Marie se tient là dans un équilibre précaire, en suspension, raide comme cri de douleur et comme un point d’exclamation ; dans cette position, prenant l’ascendant sur les autres personnages qui peuplent la scène, elle attire tous les regards et, d’une certaine manière, joue ainsi le premier rôle. En troisième lieu, un rapide décompte fait apparaître que Marie figure pour la neuvième fois (sur un total de dix) dans un cycle pourtant dédié à la vie du Christ et de manière plus particulière, à sa Passion. C’est dans le moment pathétique où la vie terrestre du Christ vient de prendre fin qu’elle assume sous nos yeux un rôle central. Comme s’il s’agissait de lui confier la charge de porter chaque fidèle (ou chaque spectateur) venu contempler l’image à redoubler de compassion au spectacle d’un drame aussi grand. Cette place et ce rôle prépondérants faits à Marie ne peuvent cependant surprendre dans le contexte d’une église dédiée à la Vierge de l’Assomption.
Les études conduites autours des fresques à l’occasion de leur découverte, puis de leur restauration, ont conduit à effectuer un rapprochement entre la Descente de croix, d’une part, et, d’autre part, un poème en octosyllabe dédié à la Passion, composé vers 1364 par le poète siennois Niccolò di Mino, dit ‘Il Cicerchia’ [5]. Marilena Caciorgna a souligné combien quelques uns des vers de ce poème “semblent constituer une ekphrasis [6] de la Descente de croix [peinte dans la “crypte”], dans laquelle Marie se hisse sur une échelle pour soutenir dans ses bras le corps inerte du Christ [7].” Voici ces vers ; dans une langue médiévale sans détour et un peu rugueuse, ils évoquent mieux que tout autre commentaire la scène que nous avons sous les yeux :
‘El santo capo e ‘l busto ‘n vèr la terra / Le saint chef et le buste vers la terre
era ‘nclinato, e la madre si lancia : / était incliné, et la mère se lance
su per la scala e ‘l suo figliuol afera : / sur l’échelle et se saisit de son fils :
la piaga bacia c’ha sopra la pancia, / elle baise la plaie qu’il a au-dessus du ventre,
si forte co’ le braccia ‘l chiude e serra, / si fort, elle l’entoure et le serre avec les bras,
e ‘l viso acosta a quella santa guancia / et approche son visage de cette sainte joue
dicendo – Omè, o dolce figliuol mio, / en disant – Hélas, ô mon doux enfant,
morto t’ho ‘n braccio, dolorosa io ! / je te tiens mort dans mes bras, que de douleur !
Note pour ne pas conclure :
On peut difficilement ne pas suivre Alessandro Bagoli lorsqu’il suggère que, de toutes les figurations de la crypte, la Descente de croix “est celle qui stupéfie le plus.” Ajoutant que des recherches doivent être encore conduites pour parvenir à des conclusions plus étayées, il observe, et nous avec lui, que “l’élaboration picturale sur fond compact et le naturalisme des visages apparaissent comme les résultats les plus modernes présents dans tout le cycle, si bien qu’ils semblent anticiper quelques aspects des plus anciens essais de Duccio dans les premières années [mille deux cent] quatre vingt. [8]”
Que dire de la comparaison avec la Déposition de Dietisalvi di Speme (fig. 1), sinon qu’elle pourrait être le modèle de la fresque peinte dans la « crypte » ?
1
La présence dans la « crypte » d’énormes panneaux reproduisant à des fins pédagogiques des œuvres sur le même thème peintes par Duccio montre les liens de parenté entre la Descente de croix de la « crypte » et celle peinte sur l’un des panneaux du revers de la Maestà reproduit ci-dessous :
2
[1] Selon l’Évangile de Marc (Mc 15, 43). Luc, (Lc 23, 50) confirme que Joseph d’Arimathie est “membre du conseil, homme bon et juste.”
[2] Selon l’Évangile de Jean (Jn 3.1) : “[…] il y avait parmi les pharisiens un homme du nom de Nicodème, un chef des Juifs […]”.
[3] Ou Golgotha, en grec ancien, le “mont du crâne”.
[4] Le suppedaneum était une sorte de cale de bois fixée au bas de la croix, à la hauteur des pieds du condamné, qui, par un raffinement de cruauté accrue, prolongeait le supplice du crucifiement en permettant au crucifié qui s’épuisait et s’asphyxiait de respirer un peu ; les bourreaux pouvaient aussi réduire la durée de l’agonie en brisant les jambes du supplicié. On peut lire que Pilate ordonna à Longin de percer le flan du Christ avec sa lance afin d’abréger son agonie. Voir : Éliane et Régis Burnet, Pour décoder un tableau religieux. Paris, Cerf,
[5] La “Cicerchia” est un légume issu d’une plante similaire au pois-chiche, cultivée depuis des siècles, qui trouve en Sicile un habitat de prédilection.
[6] Ekphrasis (du grec : phrazô [ϕράζω], faire comprendre, expliquer, et ek [ἐκ], jusqu’au bout) : mise en phrases qui épuise son objet, le mot désigne terminologiquement les descriptions, minutieuses et complètes, qu’on donne des œuvres d’art.
[7] CACIORGNA, Marilena, Virginis Templum. Siena, Cattedrale, Cripta, Battistero. Livorno, Opera della Metropolitana-Sillabe, 2013.
[8] Alesandro Bagnoli, “Prime osservazioni …”, in GUERRINI 2003, p. 126.
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