Cristoforo di Bindoccio (Sienne, documenté de 1361 à 1407) et Meo di Pero (Sienne, documenté de 1370 à 1407), attr.
Pompeo (Pompée), vers 1350-1375.
Fresque
Inscriptions :
- presque toutes les inscriptions, en particulier la principale, habituellement lisible en haut de la corniche, ont disparu ; il ne subsiste, dans l’image, que les quatre lettres : “[…]PEIO”
Provenance : In situ.
Asciano, Museo Civico Archeologico e d’Arte Sacra, Palazzo Corboli, Sala di Aristotele.
Au bout d’un temps d’observation, on finit par distinguer nettement une barque dont les rames semblent immobiles, signe que l’esquif est à l’arrêt. À l’avant, apparaît la silhouette massive d’un homme agenouillé en prière, tandis qu’un second personnage, derrière lui, s’apprête à lui trancher la tête. Les quatre lettres ((“[POM]PEIO”) encore lisibles au-dessus de cette tête permettent de restituer le nom de la victime et confirment que nous sommes face la scène de l’assassinat du grand Pompée, l’adversaire malheureux de César.
Peu après la bataille de Pharsale qui l’a opposé à César, au cours de laquelle ses troupes ont été mises en déroute malgré leur supériorité en nombre, Pompée a fait le choix de se retirer auprès du pharaon égyptien Ptolémée III, son protégé. Cependant, Ptolémée, imaginant ainsi plaire à César, organise son assassinat. À son arrivée en Égypte le 28 septembre 48 av. J.-C., alors qu’il approche de la plage de Péluse, il constate que son comité d’accueil se résume à une simple barque. Bien que soupçonnant un traquenard, Pompée monte dans la barque égyptienne et atteint le rivage. C’est le moment choisi pour l’exécution. L’un des deux égyptiens qui l’ont accompagné (il s’appelle Septimius) tire son glaive du fourreau et transperce Pompée par derrière, tandis que le second, Achillas sort son poignard et le frappe plusieurs fois. Les centurions de Pompée sont neutralisés. Le sort est joué. Pas tout-à-fait cependant. Plutarque [1] écrit que Pompée s’effondre et couvre son visage de sa toge en poussant un gémissement. Achillas le décapite ensuite et jette le corps sans tête sur le rivage. Les soldats égyptiens s’empressent de saisir le cadavre et arrachent ses vêtements. L’un des plus grands généraux de Rome restera sur ce morceau de plage, sans sépulture, pendant plusieurs jours.
Quoi d’étonnant à ce qu’en 1642, le grand Corneille s’empare d’une telle épopée pour écrire sa tragédie intitulée La mort de Pompée ? Prenons garde cependant de ne pas risquer un contresens en célébrant avec Corneille un héros qui, ici comme à Sienne (Anticappella du Palazzo Pubblico), est envisagé, à l’inverse, comme l’anti héros parfait, à l’instar de César, tous deux ayant préféré se détourner de l’intérêt commun en faisant le choix de privilégier leur destin personnel.
[1] La mort de Pompée fait l’objet d’une narration détaillée dans la Vie que Plutarque lui consacre : “
LXXVII. […] Théodote déploya son talent et toutes les ressources de sa dialectique pour établir que ni l’une, ni l’autre conduite n’était sûre ; accueillir Pompée, c’était se faire de César un ennemi, et de Pompée lui-même un maître ; le repousser, c’était s’aliéner les deux rivaux ; car Pompée leur en voudrait de l’avoir chassé, et César de l’avoir soustrait à sa vengeance. Le mieux était donc d’aller chercher Pompée pour le faire disparaître ; de la sorte on ferait plaisir à César et l’on n’aurait plus à craindre Pompée. Il ajouta, dit-on, en souriant : « Un mort ne mord pas ! »
LXXVIII. Ayant ratifié cet avis, le conseil chargea Achillas de l’exécution. Il prit avec lui un certain Septimius et un autre Romain, Salvius, qui avaient autrefois servi sous Pompée, l’un comme officier supérieur, l’autre, comme centurion, ainsi que trois ou quatre esclaves. Il joignit en barque, avec cette escorte, le vaisseau de Pompée, où se trouvaient avoir pris place les plus illustres des compagnons du grand homme, qui voulaient savoir ce qui se passerait. Voyant que la réception n’était ni royale, ni brillante, ni conforme aux espoirs de Théophane, et qu’au contraire un petit nombre d’hommes abordaient la galère sur un bateau de pêche, ils jugèrent cette négligence suspecte, et engagèrent Pompée à virer de bord pour gagner la haute mer, tant qu’on était encore hors de la portée des traits. Mais pendant ce temps la barque s’approchait ; et Septimius prit les devants pour se lever et saluer Pompée, en latin, du titre d’Impérator. Achillas lui rendit le même hommage en grec et l’invita à passer dans la barque, car il y avait, dit-il, beaucoup de vase, et la mer ensablée n’avait pas assez de profondeur pour porter son vaisseau. En même temps on voyait des vaisseaux de la flotte royale qui s’armaient, et la grève se couvrait de soldats, en sorte que, même si Pompée changeait d’avis, il ne pouvait évidemment plus fuir et qu’en outre sa défiance elle-même risquait de donner un prétexte au crime de ses assassins. Il embrassa donc Cornélie, qui, par avance, déplorait sa fin, et donna l’ordre de s’embarquer avec lui à deux centurions, à l’un de ses affranchis, Philippe, et à un esclave du nom de Scythès. Comme Achillas, de la barque, lui tendait déjà la main, il se retourna vers sa femme et son fils et leur dit ces vers iambiques de Sophocle :
Quiconque va trouver un tyran, est déjà son esclave, même s’il est venu libre.
LXXIX. Ce furent les dernières paroles qu’il dit aux siens ; puis il passa dans la barque. Il y avait une assez grande distance de sa galère à la côte ; et comme aucun mot aimable ne lui venait de ses compagnons de route, il jeta un regard sur Septimius et lui dit : « N’as-tu pas été mon camarade à l’armée ? Je crois bien te reconnaître ! » L’autre ne répondit que par un signe de tête, sans rien ajouter ni lui donner aucune marque de déférence. Un grand silence se fit pour la seconde fois, et Pompée, qui tenait, écrit de sa main sur un petit rouleau, le texte grec du discours qu’il comptait adresser à Ptolémée, se mit à le relire. Comme ils approchaient de la terre, Cornélie qui, dans une extrême angoisse, observait de la galère, avec ses amis, ce qui allait arriver, commençait à se rassurer en voyant beaucoup d’officiers du Roi accourir au débarquement, comme pour faire à son mari un accueil honorable. Mais au moment où Pompée prenait la main de Philippe pour se lever plus facilement, Septimius le premier lui passa, par derrière, son épée au travers du corps ; aussitôt après, Salvius et enfin Achillas dégainèrent, Et Pompée, ramenant des deux mains sa toge sur son visage, sans rien dire ni faire d’indigne de lui, poussa seulement un soupir et subit leurs coups avec fermeté. Il avait vécu cinquante-neuf ans et il mourut le lendemain du jour anniversaire de sa naissance.
LXXX. A la vue de ce meurtre, Cornélie et ses compagnons poussèrent des cris de désespoir qui parvinrent jusqu’à la côte, puis ils levèrent les ancres et s’enfuirent à toute vitesse. Un vent favorable les prit en poupe et leur permit de se dérober aux Égyptiens, qui, voulant d’abord les poursuivre, durent y renoncer. Les assassins coupèrent la tête à Pompée, et, jetant le corps nu hors de la barque, ils l’abandonnèrent à ceux qui seraient curieux d’un pareil spectacle. Philippe resta à côté, jusqu’au moment où tout le monde fut rassasié de cette vue ; puis il lava le corps dans l’eau de la mer et l’enveloppa de sa propre tunique de dessous, n’ayant rien d’autre à sa disposition. A force de regarder sur le rivage, il finit par trouver les débris d’une petite barque de pêche, bien vieux, mais suffisants pour fournir le bûcher indispensable à un cadavre nu et qui n’était pas même entier. Comme il les ramassait et les amoncelait, survint un Romain déjà vieux, qui, étant encore jeune, avait fait ses premières armes sous Pompée : « Qui donc es-tu, l’ami, lui demanda-t-il, pour songer à ensevelir le grand Pompée ? » — Son affranchi », répondit Philippe. — Mais tu n’auras pas seul cet honneur, reprit le Romain, laisse-moi participer à l’acte de piété dont l’occasion m’est offerte. Ainsi je n’aurai pas à me plaindre en tout de mon éloignement du pays natal, puisqu’en revanche de bien des amertumes il m’aura du moins valu la chance de toucher et d’ensevelir de mes propres mains le plus grand des généraux romains ! » Telles furent les funérailles de Pompée. Le lendemain Lucius Lentulus, qui ignorait les faits accomplis et arrivait de Chypre, vit, en côtoyant le rivage, un bûcher dressé pour un mort, et debout auprès Philippe, dont il ne distinguait pas encore les traits « Quel est donc, s’écria-t-il, celui qui, ayant accompli sa destinée, trouve ici le repos ? » Au bout d’un moment, il reprit en soupirant : « C’est peut-être toi, Pompée le Grand ! » Il ne tarda pas à descendre à terre, où il fut arrêté et tué. Telle fut la fin de Pompée.
Peu après César, arrivant en Égypte, trouva le pays tout infecté de la souillure d’un si grand sacrilège. Il se détourna du scélérat qui lui présentait la tête de Pompée ; mais il accepta le cachet de son rival et se prit à pleurer ; l’empreinte du cachet représentait un lion armé. Il fit mourir Achillas et Pothin ; le Roi lui-même, vaincu dans un combat près du fleuve, disparut. Le sophiste Théodote échappa à la justice de César ; car, ayant fui l’Égypte, il vagabondait humilié et haï, mais Marcus Brutus, quand il eut le dessus après avoir tué César, le découvrit en Asie, et, après lui avoir infligé tous les outrages possibles, le tua. Quant aux restes de Pompée, on les remit à Cornélie qui les fit inhumer dans sa terre d’Albe.” Plutarque (Vie de Pompée, LXXVII-LXXX).
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