Marcantonio Raimoni (d’après Raphaël), « Giudizio di Paride »

Marcantonio Raimondi (Argine [Bologne], v. 1480. – 1534), d’après Raphaël.

Giudizio di Paride (Jugement de Pâris), v. 1513-1515.

Eau-forte et burin, 295 x 443 mm.

Inscriptions : 

  • (dans une tablette visible dans l’angle inférieur gauche) : « SORDENT PRAE FORMA / INGENIVM . VIRTVS . / REGNA AVRVM » [1]« Sordent prae forma ingenium virtus regna aurum » : « L’intellect, la force [Athéna-Minerve], la royauté divine [Héra-Junon] apparaissent sans valeur par rapport à la forme [Aphrodite-Vénus]», c’est-à-dire la beauté.
  • (plus à droite, parmi les herbes) :« RAPH VRBI / INVEN / MAF » [2]« Raph. Urbi. inven. ; MAF » : « Invention de Raphaël d’Urbino » ; l’acronyme « MAF » peut être traduit sous la forme : MarcAntonio Fecit » : « Œuvre de Marcantonio ». Doit-on comprendre que Raphaël en est l’inventeur, mais que c’est Marcantoni qui l’a fait (fecit) ? Qui donc était le véritable auteur ? … Poursuivre

Provenance : (?)

Brescia, Museo di Santa Giulia. [3]Il existe évidemment de nombreux exemplaires de cette gravure célèbre, parfois avec des variantes, dans d’autres musées italiens ou ailleurs dans le monde.

La scène mythologique [4]Le sujet de l’œuvre est l’histoire du jugement de Pâris. Selon la mythologie grecque, au milieu du festin des dieux lors des noces de Pelée et Thétis auquel elle n’a pas été invitée, Éris (déesse de la discorde) jette pour se venger une pomme d’or (la « pomme de discorde » portant la mention « pour la plus belle ») comme prix … Poursuivre montre plusieurs groupes de figures articulés au sein d’un paysage naturel à l’abondante végétation : dans la saynète du premier plan, sur la gauche, le berger Pâris, derrière lequel on aperçoit Mercure, donne à Aphrodite- Vénus la pomme de la victoire qu’elle vient de remporter. La déesse est dans le même temps couronnée par la Victoire ailée qui la surplombe. Légèrement en retrait, la colérique Héra (Junon) pointe un index menaçant vers Pâris, le juge qu’elle estime fautif, tandis que Minerve, que l’on voit de dos, revêt à nouveau ses vêtements. À droite de la composition, une naïade et deux dieux fluviaux nus et armés de leurs attributs symboliques (une rame pour l’un, des roseaux pour l’autre) regardent Zeus (Jupiter) trônant dans les nuages. Au centre de l’image avance le char du Soleil précédé des Dioscures [5]Castor et Pollux, appelés Dioscures (Dióskouroi, « jeunes garçons de Zeus »), sont les fils jumeaux de Léda, épouse de Tyndare, roi de Sparte, dont Zeus tomba amoureux. Pour la séduire, il se changea en cygne. C’est pourquoi les enfants naquirent d’un œuf différent, respectivement, Castor et Clytemnestre, enfants mortels, de l’œuf … Poursuivre.

Vasari décrit un dessin [6]Ce dessin est cependant perdu. de très haute qualité, probablement réalisé, si l’on en croit l’auteur des Vite, à des fins de reproduction par le moyen de la gravure. La disposition générale de cette gravure est reprise d’un bas-relief hellénistique que Raphaël a pu voir à Rome vers 1510-1515. Il se trouve que ce bas-relief, racheté par Ferdinand de Médicis vers 1584, a été transformé à cette même date par l’ajout d’un ciel et d’un arc du Zodiaque en stuc, sous l’influence… de la gravure de Raphaël. Cette étrange rétroaction entre le modèle et sa copie servant elle-même à son tour de modèle, a été le point de départ d’une relation unique entre cette œuvre et ses reproductions.

Dans l’eau-forte, point culminant, d’un point de vue qualitatif, de la collaboration initiée entre Raphaël [7]Rien, comme le suggère Vasari, n’interdit de penser que Raphaël ait exécuté ce dessin dans le but de sa reproduction par la gravure, inaugurant ainsi une pratique très fructueuse de diffusion de ses propres modèles par le biais de cette technique., le dessinateur, et Raimondi, le graveur, celui-ci atteint le sommet du classicisme, réussissant à rendre des effets picturaux inégalés grâce à un fond velouté qu’il obtient par grainage de la plaque, retravaillée et lissée ensuite dans les zones destinées à rester blanches, et capable d’offrir une large gamme de gris plus ou moins foncés. Du point de vue de la composition, de nombreux éléments se retrouvent dans les œuvres antérieures de Raphaël, datant d’environ 1513-1515.

La scène dessinée, ainsi que le révèle la gravure qu’en a fait Raimondi, traduisait à merveille la capacité de Raphaël à travailler à partir de sources différentes aussi bien dans le style que dans la composition, avec une liberté et un pouvoir d’interprétation absolument nouveaux dans les premières années du Cinquecento. Le succès immédiat de ce chef-d’œuvre graphique dont, selon les mots de Vasari, « tout Rome fut stupéfait » (« stupì tutta Roma » [8]Voici ce que dit Vasari de cette gravure : A peine arrivé à Rome, Marcantoni « grava sur cuivre un magnifique carton de Raphaël, représentant une Lucrèce se donnant à la mort ; à quoi il réussit si bien, avec tant de diligence et une si belle manière, que certains de ses amis l’ayant aussitôt rapporté à Raphaël, celui-ci se disposa à publier sous forme de gravures … Poursuivre, a favorisé à son tour nombre de copies et d’interprétations au cours des siècles suivants [9]Voir Edouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe., ce qui en fait l’une des images imprimées les plus célèbres du XVIe siècle.

A l’iconographie courante du Jugement de Pâris (et probablement sous l’influence du bas-relief hellénistique), Raphaël ajoute ici deux groupes de trois figures. Sur le côté droit, une nymphe quelque peu androgyne nous regarde, assise auprès de deux dieux-fleuves. Sur le côté gauche, une autre nymphe nous tourne le dos. Curieusement, ce sont ces deux groupes qui ont, dans les siècles suivants, le plus intéressé les très nombreux artistes qui se sont inspirés de cette gravure, comme autant de parerga [10]« […] les figures qui nous occupent participeraient ainsi, à strictement parler, de la nature des ornements, ou parerga, au sens kantien : savoir ’ce qui ne fait pas partie intégrante de la représentation torale de l’objet, mais n’est qu’une addition extérieure qui augmente la satisfaction du goût’ ». La citation est extraite de Kant, Critique du jugement, 1ère … Poursuivre. Pourquoi un tel succès ? Selon Hubert Damisch [11]Hubert Damisch, Le jugement de Pâris. op.cit., p. 160., la véritable invention du dessin raphaëlien est l’ajout de ces groupes, ainsi que de la théophanie qui envahit le ciel. Le fait que ce dessin préparatoire, qui a servi pour la gravure, n’ait donné lieu à aucune peinture de Raphaël (contrairement à beaucoup d’autres dessins de ce type) fait de cette estampe une proposition ouverte, une question posée à la peinture et à l’art, un travail de l’inconscient, quelque chose d’intermédiaire entre le fantasme, le mythe, la fable, l’image et l’allégorie [12]Hubert Damisch, Le jugement de Pâris, op. cit., p. 76..

Notes

Notes
1 « Sordent prae forma ingenium virtus regna aurum » : « L’intellect, la force [Athéna-Minerve], la royauté divine [Héra-Junon] apparaissent sans valeur par rapport à la forme [Aphrodite-Vénus]», c’est-à-dire la beauté.
2 « Raph. Urbi. inven. ; MAF » : « Invention de Raphaël d’Urbino » ; l’acronyme « MAF » peut être traduit sous la forme : MarcAntonio Fecit » : « Œuvre de Marcantonio ». Doit-on comprendre que Raphaël en est l’inventeur, mais que c’est Marcantoni qui l’a fait (fecit) ? Qui donc était le véritable auteur ? Dans l’atelier de Raphaël, entre les fonctions de conception et d’exécution, la distinction n’était pas nécessairement toujours évidente.
3 Il existe évidemment de nombreux exemplaires de cette gravure célèbre, parfois avec des variantes, dans d’autres musées italiens ou ailleurs dans le monde.
4 Le sujet de l’œuvre est l’histoire du jugement de Pâris. Selon la mythologie grecque, au milieu du festin des dieux lors des noces de Pelée et Thétis auquel elle n’a pas été invitée, Éris (déesse de la discorde) jette pour se venger une pomme d’or (la « pomme de discorde » portant la mention « pour la plus belle ») comme prix destiné à la plus belle des déesses de l’Olympe. Une dispute s’ensuit entre Héra, Athéna et Aphrodite, qui revendiquent toutes trois le fruit. Alors qu’il garde ses troupeaux de moutons, Pâris (le prince troyen qu’il est a été recueilli enfant par un berger mais s’est fait reconnaître comme fils de Priam une fois devenu adulte) voit apparaître devant lui les trois déesses. Celle-ci lui demandent de choisir à qui doit être remise la pomme d’or. Pâris opte pour Aphrodite, qui lui a promis l’amour de la plus belle femme du monde. L’enlèvement d’Hélène, femme de Ménélas, par Pâris déclenchera la guerre de Troie.
5 Castor et Pollux, appelés Dioscures (Dióskouroi, « jeunes garçons de Zeus »), sont les fils jumeaux de Léda, épouse de Tyndare, roi de Sparte, dont Zeus tomba amoureux. Pour la séduire, il se changea en cygne. C’est pourquoi les enfants naquirent d’un œuf différent, respectivement, Castor et Clytemnestre, enfants mortels, de l’œuf fécondé par Tyndare et Pollux et Hélène, enfants divins, de l’œuf fécondé par Zeus.
6 Ce dessin est cependant perdu.
7 Rien, comme le suggère Vasari, n’interdit de penser que Raphaël ait exécuté ce dessin dans le but de sa reproduction par la gravure, inaugurant ainsi une pratique très fructueuse de diffusion de ses propres modèles par le biais de cette technique.
8 Voici ce que dit Vasari de cette gravure : A peine arrivé à Rome, Marcantoni « grava sur cuivre un magnifique carton de Raphaël, représentant une Lucrèce se donnant à la mort ; à quoi il réussit si bien, avec tant de diligence et une si belle manière, que certains de ses amis l’ayant aussitôt rapporté à Raphaël, celui-ci se disposa à publier sous forme de gravures quelques dessins de ses propres choses : et parmi ceux-ci, un dessin qu’il avait fait auparavant du jugement de Pâris, dans lequel, par caprice [per capriccio], il avait représenté le char du soleil, les nymphes des bois, celles des sources et celles des fleuves, avec des vases, des rames, et d’autres belles fantaisies à l’entour ; en ayant ainsi été décidé [e così risoluto], Marcantonio grava l’ensemble de telle façon que tout Rome en fut stupéfait ». Selon ce récit, la gravure aurait été réalisée vers 1510-11.

Dans un autre passage, Vasari explique que c’est Raphaël lui-même qui, influencé par les succès de Dürer, aurait poussé Marcantoni à multiplier les gravures, afin de répondre à une demande qui dépassait ses possibilités. Dans cette hypothèse, il faudrait plutôt dater la gravure de 1515-16.

9 Voir Edouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe.
10 « […] les figures qui nous occupent participeraient ainsi, à strictement parler, de la nature des ornements, ou parerga, au sens kantien : savoir ’ce qui ne fait pas partie intégrante de la représentation torale de l’objet, mais n’est qu’une addition extérieure qui augmente la satisfaction du goût’ ». La citation est extraite de Kant, Critique du jugement, 1ère section, livre 1, paragr. 14. Hubert Damisch, Le jugement de Pâris. Paris, Flammarion (Collection Idées et Recherche), 1992, p. 161.
11 Hubert Damisch, Le jugement de Pâris. op.cit., p. 160.
12 Hubert Damisch, Le jugement de Pâris, op. cit., p. 76.

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