Lando di Pietro, « Testa di Crocifisso »

Lando di Pietro (Sienne, 1311 – 1340)

Testa di Crocifisso (Tête de Jésus Crucifié), 1338.

Bois de noyer sculpté polychrome, h. 32 cm.

Provenance : maître-autel de la basilique de l’Observance.

Sienne, Musée Aurelio Castelli.

Le 23 janvier 1944, un violent bombardement allié frappa la périphérie de la ville de Sienne : pour le patrimoine artistique, la perte la plus importante fut celle de la Basilique de l’Osservanza, dont seule une partie des maçonneries porteuses résistèrent à l’effondrement. Sur le maître-autel de l’église de San Bernardino se trouvait un beau crucifix en bois – dont l’auteur et l’époque étaient jusqu’alors inconnus. L’œuvre fut littéralement pulvérisée.
Parmi les décombres, on retrouva quelques fragments du genou et du bras gauche du Christ, ainsi qu’une partie importante de sa tête. A cette occasion, on découvrit également un petit rouleau de parchemin attaché dans la cavité du fragment du genou et un rouleau d’un peu plus grandes dimensions caché dans le vide du bois de la tête du Christ. Il s’agit dans les deux cas de textes autographes de Lando di Pietro, auteur de l’ouvrage. À la suite d’une longue prière, témoignage de sa dévotion personnelle [1]Le fait n’est exceptionnel en pareil contexte. Plusieurs artistes siennois ont laissé, sous des formes variées, ce type de prière. Voir, par exemple, la signature que Duccio di Buoninsegna a inscrite sur le polyptyque de la Maestà. dont la forme révèle un mysticisme passionné [2]Ce mysticisme a été jugé digne des Meditationes vitae Christi écrites par un franciscain de San Gimignano, Giovanni de’ Cambi, au cours de la seconde moitié du Duecento. Voir Giorgio PETROCCHI, Scrittori religiosi del Duecento, Florence, Sansoni, 1974., l’artiste, surtout connu en tant qu’orfèvre et architecte, indique la date de création du Crucifix : janvier 1337 (1338 selon le calendrier grégorien [3]À Sienne, le passage d’une année à l’autre avait eu lieu le 25 mars, jour de célébration de l’Annonciation.) :

Domene dio fece scolpire questa croce in questo
legno alando pieri da siena asimilitudine del
vero ihu xpo per dare memoria ala gente
de la passione di yesu xpo figliolo di Dio
et dela beata virgine maria, adunqua
tu vera croce santa di yhu expo filio
di dio rende el detto lando a dio.
O beata virgine maria madre di yhu xpo
figlolo di dio. prega la santa croce
del tuo figliolo che renda eldetto lando
adio.
O iohanni evangelista discepolo amato da
yhu figlolo di dio, prega la santa
croce di yhu xpo figluolo di dio che renda
el detto lando adio.
O iohanni bactista che rendesti testimonio
a yhu xpo figluolo di dio prega la santa
croce di you xpo figluolo di dio che renda
el detto lando adio.
O Maddalena amatrice di yhu xpo figluolo
di dio prega la santa croce che renda el detto
lando adio.
tucti e santi et sante pregate di yhu xpo figliolo
di dio che abbia misericordia del detto
lando et di tutta sua famiglia. che li faccia salvi et guardili da le mani
del nimicho di dio. Yesus – yesus – yesus – xps filius dei
vivi abbi misericor di tucto el omana generatione.
Amen

Anno Domini / MCCCXXXVII / di gennaio / fu compiuta / questa fi / gura a si / militudine / di yhu xpo / crocifisso / figluolo di / dio vivo et / vero. Et / lui dovend / o adorare / et non que / sto legno.

« Le Seigneur Dieu a fait tailler cette croix
dans ce bois à Lando di Pietro, de Sienne,
à la ressemblance du vrai Jésus-Christ afin de rendre
au peuple le souvenir de la passion de Jésus [4]Alessandro Bagnoli souligne l’intérêt de ce texte en ce qu’il révèle la conscience de la portée religieuse et sociale de l’activité du sculpteur, lequel dit avoir exécuté le Crucifix pour « rendre au peuple le souvenir de la passion du Christ ». Voir Alessandro Bagnoli, Scultura dipinta. Maestri del legname e pittori a Siena 1250-1450 (cat. d’exp., … Poursuivre
Christ fils de Dieu et de la Sainte Vierge
Marie. Donc toi, vraie sainte croix de Jésus
Christ fils de Dieu, rend ledit Lando à
Dieu. Ô bienheureuse Vierge Marie, mère de Jésus
Christ fils de Dieu, prie la sainte croix de
ton fils qu’elle rende ledit Lando à Dieu.
Ô Jean l’évangéliste, disciple aimé de Jésus
Christ fils de Dieu, prie la sainte croix de Jésus
Christ fils de Dieu qu’elle rende ledit Lando à
Dieu. Ô Jean-Baptiste, qui a rendu témoignage à Jésus-Christ
fils de Dieu, prie la sainte croix de Jésus
Christ fils de Dieu qu’elle rende ledit Lando
à Dieu. Ô Madeleine, amante de Jésus-Christ,
fils de Dieu, priez la sainte croix pour qu’elle rende
ledit Lando à Dieu. Tous les saints hommes et femmes
priez Jésus Christ, fils de Dieu, pour qu’il ait
miséricorde dudit Lando, et de toute sa
famille, qui leur assure la sécurité et les protège
des mains de l’ennemi de Dieu. Jésus, Jésus, Jésus
Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de tous les hommes. Amen
L’année du Seigneur 1337, en janvier, fut achevée cette figure à l’image de Jésus Christ crucifié, fils vivant et véritable de Dieu. Et il faut l’adorer lui, et non ce bois. »

1
2
3 [5]Vico Consorti (Grosseto, 1902 – 1979), Calco della testa del Crocifisso di Lando di Pietro, 1949. Gesso.

Alessandro Bagnoli apporte de précieuses indications stylistiques et techniques qui soulignent le caractère exceptionnel de cette œuvre : « Malgré son état fragmentaire, cette tête révèle encore sa qualité exceptionnelle et sa technique d’exécution tout à fait inhabituelle. Le sculpteur ne l’a pas créée à partir d’un seul bloc de bois, mais l’a littéralement fabriquée en juxtaposant avec des chevilles et de la colle diverses pièces déjà partiellement ébauchées, et en sculptant finalement chaque petit détail avec la précision et la clarté typiques de l’orfèvre expert dans le maniement du burin, grâce, également, à l’extrême dureté du noyer.
Dans le fragment du genou, les traces de joints, renforcés par de la colle et du parchemin, suggèrent que la figure fut le résultat d’un assemblage complexe qui s’est brisé et dont les parties se sont dispersées parmi les décombres de l’église. Cette technique de construction du Crucifix conduit à penser que la date de janvier 1338 indique la phase initiale des travaux plutôt que celle de l’achèvement.
Les deux fragments des membres donnent une idée des dimensions presque grandeur nature du Crucifix, et leur naturel accentué est une indication des intentions stylistiques de Lando. Le modelé du visage, doux, insaisissable et comme flou [6]Le lourd moulage de gesso (fig. 3) placé à proximité, s’il gomme les effets d’éclatement des parties du visage, ne parvient pas à traduire, du fait même de sa matérialité, le caractère diaphane de cet extraordinaire visage., rend très bien la détente musculaire de l’instant qui suit la mort. Un frisson vital caractérise en revanche les cheveux qui bougent en douces ondulations et les poils hérissés de la barbe qui envahissent les joues, échappant à la disposition symétrique en mèches bouclées. » [7]Alessandro BAGNOLI, op. cit., p. 66.

On pourrait reprendre les mots de Bagnoli pour décrire un autre visage du Christ à l’instant de sa mort auquel celui-ci semble s’apparenter, tout aussi doux et insaisissable, peint par Ambrogio Lorenzetti dans le grand Crucifix de l’église siennoise du Carmine moins de dix ans plus tôt : même type de visage effilé d’une masculinité délicate, aux paupières presque closes sous des arcades sourcilières fermement dessinées, au long nez fin et aux pommettes très saillantes [8]Voir Ambrogio Lorenzetti, Crucifix. Sienne, Pinacoteca Nazionale.. « Le modelé du visage, doux, insaisissable et comme flou, rend très bien la détente musculaire de l’instant qui suit la mort. Un frisson vital caractérise en revanche les cheveux qui bougent en douces ondulations et les poils hérissés de la barbe qui envahissent les joues, échappant à la disposition symétrique en mèches bouclées. »

Notes

Notes
1 Le fait n’est exceptionnel en pareil contexte. Plusieurs artistes siennois ont laissé, sous des formes variées, ce type de prière. Voir, par exemple, la signature que Duccio di Buoninsegna a inscrite sur le polyptyque de la Maestà.
2 Ce mysticisme a été jugé digne des Meditationes vitae Christi écrites par un franciscain de San Gimignano, Giovanni de’ Cambi, au cours de la seconde moitié du Duecento. Voir Giorgio PETROCCHI, Scrittori religiosi del Duecento, Florence, Sansoni, 1974.
3 À Sienne, le passage d’une année à l’autre avait eu lieu le 25 mars, jour de célébration de l’Annonciation.
4 Alessandro Bagnoli souligne l’intérêt de ce texte en ce qu’il révèle la conscience de la portée religieuse et sociale de l’activité du sculpteur, lequel dit avoir exécuté le Crucifix pour « rendre au peuple le souvenir de la passion du Christ ». Voir Alessandro Bagnoli, Scultura dipinta. Maestri del legname e pittori a Siena 1250-1450 (cat. d’exp., Sienne, Pinacoteca Nazionale, 16 juillet-31 décembre 1987), Florence, Centro Di, 1987, p. 65.
5 Vico Consorti (Grosseto, 1902 – 1979), Calco della testa del Crocifisso di Lando di Pietro, 1949. Gesso.
6 Le lourd moulage de gesso (fig. 3) placé à proximité, s’il gomme les effets d’éclatement des parties du visage, ne parvient pas à traduire, du fait même de sa matérialité, le caractère diaphane de cet extraordinaire visage.
7 Alessandro BAGNOLI, op. cit., p. 66.
8 Voir Ambrogio Lorenzetti, Crucifix. Sienne, Pinacoteca Nazionale.

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