Duccio di Buoninsegna, « Dernière Cène » 

Reconstitution du revers de la « Maestà » d’après John White, reprise dans (repère 14)
Repères 13, 14.
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Duccio di Buoninsegna (Sienne, vers 1260 – vers 1318/19)

Ultima Cena (Dernière Cène)

Compartiment du revers de la Maestà, tempéra sur panneaux, 50 x 53 cm.

Provenance : Cathédrale de Santa Maria Assunta, Sienne.

Sienne, Museo dell’Opera del Duomo.

La scène – célébrissime – de la Dernière Cène du Christ avec ses apôtres de son vivant [1]Un autre repas aura lieu quelques jours après, entre les mêmes personnages, mais cette fois-ci, le Christ sera ressuscité. ici représentée montre l’un des premiers exemples de mise en place à Sienne d’un système de perspective fondé de manière plus ou moins empirique (nous nous situons  presque 120 ans avant les travaux de Brunelleschi et Masaccio, et 130 avant les premiers écrits d’Alberti) mais d’une extrême efficacité visuelle. Le plan semble en effet se creuser grâce à la convergence des poutres du plafond et à l’orientation des murs. Cependant, le plateau de la table sur laquelle est placée la nourriture partagée par les convives semble se redresser parallèlement au plan du support de l’œuvre, créant une situation perturbante : il semble que le contenu de la table soit sur le point de se redresser vers l’avant. Ce qui nous semble être une maladresse est au contraire la marque d’une réflexion qui, si elle met à mal l’effet de profondeur recherché, permet au peintre de nous “faire voir” les ustensiles et surtout, les mets partagés : on notera en particulier le plat (les apôtres du premier plan semblent s’écarter pour qu’il soit possible de l’observer) sur lequel est dressé un agneau rôti, animal dont la portée symbolique n’a nullement besoin d’être rappelée. Sur la nappe immaculée, typiquement siennoise avec ses bordures brodées de noir, sont également disposés des bols ainsi que les verres qui serviront à partager le vin, tout comme les petits pains destinés à être mangés (dans un moment, le Christ expliquera à tous la portée mystique de cet acte au cours duquel il instituera l’Eucharistie, selon la tradition religieuse).

Conformément aux évangiles, Jean, l’apôtre aimé s’est endormi à côté de Jésus tandis que celui-ci est en train de prendre la parole pour annoncer que l’un des convives va le trahir (c’est-à-dire le dénoncer au grand prêtre Caïphe et à ses sbires). Le traître Judas Iscariote est présent au premier rang, le second en partant de la gauche. Nous le reconnaîtrons à différentes reprises par la suite grâce à son vêtement composé d’un manteau orange porté sur une robe verte. La gestuelle des différents apôtres traduit la nature de leurs sentiments respectifs : l’interrogation ou la surprise, sinon la stupéfaction devant une telle annonce, la dénégation des uns (Pierre, à la droite du Christ, semble dire de la main : “Cela ne peut être moi !”, lui qui dans quelques heures à peine accomplira la prédiction christique du triple reniement), ou encore le doute des autres (l’apôtre placé en haut, tout-à-fait sur la droite, l’index contre le menton). Quant à celui qui se trouve à gauche du précédent, n’est-ce pas un geste de dénonciation qu’il esquisse en pointant son index vers Judas ? Lequel semble d’ailleurs en train de rejeter cette accusation d’un geste de la main.

Imaginons maintenant que la table soit représentée perpendiculairement au plan du support, les figures du premier plan risqueraient d’occulter celles que nous venons d’examiner et de dissimuler entièrement celle de Jean, ce qui a dû paraître impensable à Duccio, du moins aime-t-on le penser. On notera que Judas ne porte pas d’auréole mais que les apôtres assis sur le même rang que lui n’en sont pas davantage dotés. Selon toute vraisemblance, cette anomalie iconographique résulte du choix empirique de renoncer à les mettre en place autour du crâne de ceux des apôtres installés au premier plan qui la méritent, ceci afin de préserver une visibilité parfaite des éléments disposés sur la table. Ce que l’espace représenté semble avoir de maladroit est, en fait, le fruit de l’élaboration d’une solution visant à montrer ce qui doit être vu, quitte à sacrifier un réalisme dont la seule évocation constituerait un parfait anachronisme et, à coup sûr, la parfaite incompréhension de la manière médiévale de raconter des histoires par le visible.

Notes

Notes
1 Un autre repas aura lieu quelques jours après, entre les mêmes personnages, mais cette fois-ci, le Christ sera ressuscité.