Lorenzo Lotto, « Natività »

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Lorenzo Lotto (Venise, v. 1480 – Loretto, v. 1556)

Natività (Nativité), v. 1527-1528.

Huile sur bois, 45 x 56 cm.

Sienne, Complesso Museale di Santa Maria della Scala (dépôt de la Pinacoteca Nazionale).

Dans l’Evangile du Pseudo-Matthieu, on apprend que l’heure de la mise au monde de Jésus étant venue, Joseph, selon la coutume, a fait venir deux sages-femmes. L’une est nommée Zébel, l’autre Salomé. Zébel examine Marie la première ; constatant sa virginité, elle s’écrie, selon la forme rapportée par les textes : « La vierge a enfanté et après l’enfantement continue d’être vierge ! ». Salomé, incrédule, veut à son tour avoir la preuve du miracle : son poing se paralyse et se dessèche aussitôt. Un ange lui apparaît alors, qui lui fait toucher l’enfant. La guérison de Salomé est aussi immédiate que sa foi est nouvellement acquise.

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Nous sommes face à l’instant du miracle. Marie et Salomé, penchées au-dessus d’un grand bassin de cuivre, procèdent au bain de l’enfant. Le motif iconographique trouve son origine dans la peinture byzantine [1]Cet épisode disparaît dans la peinture du Quattrocento, alors que la narration de la Nativité insiste dorénavant sur le caractère miraculeux de cette naissance, en mettant en avant à la fois l’absence des douleurs liées à l’enfantement et l’inutilité du bain traditionnel face à la perfection du nouveau-né.. Il permet de représenter l’enfant entièrement nu et de le donner ainsi à voir véritablement incarné, dans une humanité faite de chair et de sang, non sans faire en sorte d’exhiber la preuve que l’enfant est de sexe masculin. Lotto pousse encore le souci du détail jusqu’à faire apparaître, image rarissime en peinture, le cordon ombilical qui n’a pas encore été sectionné.

Lorenzo Lotto met l’accent sur un certain nombre d’autres détails, selon une mécanique qui, tout en constituant le principe même selon lequel une œuvre est en mesure de signifier, détermine toutes les composantes de l’iconographie de la scène. Il s’agit de donner à voir au spectateur, proche de l’œuvre du fait de son petit format, un ensemble d’éléments qui, tous, participent à la narration visuelle. En se pliant à notre tour au principe d’une observation soutenue, on remarquera que :

  • Joseph a tout vu du petit miracle qui vient d’être relaté ; le regard encore rivé sur la main de Salomé, il exprime d’un geste ample sa surprise
  • Marie, elle aussi, mais sans le laisser paraître comme le fait son époux, regarde en coin cette main qui vient de se figer
  • Salomé, empêchée de remplir sa tâche par la situation dans laquelle elle se trouve, regarde fixement Marie demeurée impassible

Les détails se rapportant aux aspects domestiques de la scène ne manquent pas, et l’on sait qu’elle est, au regard des peintres, l’utilité d’y insister dans le contexte particulier de la représentation d’une scène religieuse. En inscrivant cette scène dans un milieu évocateur de la vie quotidienne, ils lui confèrent aussi une réalité particulière. Une foule de détails jouent ici ce rôle :

  • parmi les ustensiles que l’on rencontre dans tout intérieur, on voit au premier plan le lange prêt à servir pour enserrer le nouveau-né comme une momie, selon une croyance qui, récemment encore, considérait que la croissance de celui-ci était améliorée par ce moyen (ce n’est plus l’avis de la médecine récente …)
  • au fond de la pièce plongée dans l’obscurité de la nuit, une sage femme (il s’agit probablement de Zehel, compagne de Salomé) soulève un linge devant l’âtre afin d’en accélérer le séchage, à moins qu’il ne s’agisse de le réchauffer avant de l’utiliser pour essuyer l’enfant à sa sortie du bain
  • dans cet intérieur modeste, les outils que l’on voit suspendus évoquent à leur tour le labeur quotidien de leur propriétaire ; sur sa gauche, Salomé a déposé le lourd broc qui lui a probablement servi à remplir d’eau le bassin où l’enfant prend son premier bain

Dans la pénombre environnante, une lumière d’origine divine trouve sa source dans la figure même de l’enfant, et éclaire toute la scène, selon un mode de signification symbolique dont on trouve une occurrence dans les rayons qui émanent de la tête du Christ en formant la figure de la Croix.

Notes

Notes
1 Cet épisode disparaît dans la peinture du Quattrocento, alors que la narration de la Nativité insiste dorénavant sur le caractère miraculeux de cette naissance, en mettant en avant à la fois l’absence des douleurs liées à l’enfantement et l’inutilité du bain traditionnel face à la perfection du nouveau-né.