
Domenico Ghirlandaio (Florence, 1448 – 1494)
Esequie di Santa Fina (Funérailles de sainte Fine), 1477-1478.
Fresque.
Inscriptions :
Provenance : In situ.
San Gimignano, Collégiale, Chapelle de Santa Fina.
Par son caractère très inhabituel, le cadre de la cérémonie funèbre laisse présager quelque événement particulier d’où le surnaturel ne sera pas absent. La jeune défunte dont la présence envahit tout le premier plan repose-t-elle bien sur le lit funéraire richement décoré où elle a été déposée ? Sa tête ne semble pas peser sur l’oreiller qui a été placé là, et l’on jurerai que son corps entier, raidi par la maladie, flotte en lévitation au-dessus de l’épais tissu de brocart qui recouvre le lit. La jeune femme, du nom de Fina, est une sainte. L’auréole qui la couronne n’est, somme toute, que la confirmation d’une évidence qui a saisi le spectateur depuis le début, celle de l’intrusion du surnaturel dans la réalité figurée.
L’espace dans lequel se déroule l’événement semble lui aussi indéterminé, hésitant entre deux hypothèses sans se résoudre à faire un choix : inscrit dans un intérieur où la préciosité des marbres et des matériaux colorés rivalise avec la délicatesse du travail ornemental, le lieu se déploie, d’autre part, dans un extérieur largement ouvert sur le panorama grandiose de la ville de San Gimignano. Un exèdre, structure architecturale semi-circulaire, délimite frontalement l’espace sans parvenir à le fermer tout-à-fait, et protège un autel chargé des instruments nécessaires à la célébration du culte, rappelant qu’une liturgie s’accomplit sous nos yeux. Les piliers aux délicates cannelures, les chapiteaux finement sculptés selon un ordre composite soutiennent un entablement d’une extrême préciosité, sur lequel repose à son tour un demi-dôme dont la couleur bleue se fait l’écho de la voûte céleste qui domine l’espace environnant. Tout concourt à exprimer le principe d’une église sans, pourtant, restreindre la scène à l’intérieur du périmètre restreint de celle-ci, comme si l’espace tout entier était revêtu du même caractère ecclésial. Plus encore, peut-être, que l’édifice en lui-même, c’est son style parfaitement nouveau que semble mettre en valeur la renaissance de ses formes architecturales.
Dans le silence de cet espace où tout est immobile, et l’atmosphère comme raréfiée à force de transparence, nous allons pourtant être les témoins de trois micro événements qui sont aussi trois nouveaux miracles [1] rapportés par la légende de Fina. Isolée sur l’axe de symétrie, au centre de l’œuvre et à l’arrière de la jeune sainte dont on célèbre les funérailles, se trouve une vieille femme qui ne peut aucunement échapper au regard : c’est l’infirmière de Fina. Elle s’appelle Beldia. Nous l’avons déjà rencontrée au chevet de la sainte. Beldia est paralysée. La voici qui s’agenouille au moment où la main de Fina vient de se déplacer pour toucher la sienne, provoquant l’événement de sa guérison instantanée. Premier miracle. [2] Aux pieds de Fina pleure un jeune garçon. À son tour, il a embrassé le pied de la sainte et vient de retrouver la vue. Second miracle. A l’instant de la mort de Fina, dit encore la légende, les cloches des tours de San Gimignano ont sonné grâce à l’intervention des anges. Et de fait, minuscule dans le lointain, une figure angélique vêtue d’une longue robe de couleur rouge brun volète encore au sommet de l’une des tours de la cité. Il faut un peu scruter l’horizon pour parvenir à le voir. Troisième miracle. [3]
Aucun de ces miracles n’a échappé au jeune homme présent aux pieds de la défunte, derrière l’enfant qui vient de guérir de sa cécité. Cela est si vrai que le geste que nous lui voyons faire n’est rien d’autre que celui d’un décompte particulièrement méticuleux des événements miraculeux à peine survenus. De proche en proche, les regards se croisent, venant confirmer que rien n’a échappé aux témoins de la scène, qu’une apparente impassibilité n’empêche nullement d’observer avec intérêt la situation.
Le réalisme du paysage urbain est tel que l’on peut aisément reconnaître, à l’opposé, la Torre Grossa, la plus haute tour de la ville aujourd’hui encore. Parmi les participants qui forment un cercle autour du corps de la jeune défunte, chacun a un rôle à jouer autour du prêtre, un évêque, qui officie. Certains se distinguent par leur caractère fortement individualisé, par l’expression plus appuyée de leur visage et de leurs attitudes. Fruit d’une observation attentive, ce sont les portraits d’individus issus de la vie réelle dans sa quotidienneté. Le plus probable est qu’il s’agisse des donateurs auquel Ghirlandaio rend ici le tribut qui leur est dû. A moins qu’il ne s’agisse d’autoportraits de l’artiste et de ses principaux collaborateurs, une forme de signature à laquelle Ghirlandaio aura recours à d’autres reprises.
[1] Les premiers miracles survenus à la mort de la jeune fille sont racontés dans la scène peinte sur la paroi située en face.
[2] L’auteur de la première biographie de la sainte rend compte de l’événement dans les termes suivants : « La femme qui était au service de la sainte jeune fille, Monna Beldì, dont nous avons déjà parlé, avait une main estropiée de telle sorte qu’elle ne pourrait plus l’utiliser ; pour cette raison, alors qu’elle se tenait à proximité de la dépouille, dans l’église principale, elle pria sincèrement le Seigneur pour qu’il guérisse sa main, par l’intercession de la vierge Fina, et voici : la sainte Fina, qui gisait sur le lit funéraire, leva le bras comme si elle était encore en vie, et, saisissant la femme qui avait été à son service, toucha les doigts de la main de Monna Beldì l’un après l’autre, et celle-ci fut délivrée de son affliction. Toute la multitude fut frappée d’étonnement à la vue d’une si grande merveille, et rendit grâce au Seigneur Tout Puissant ». Giovanni del Coppo, Vita e morte di Sancta Fina da San Gimignano. E miracoli fatti dopo quella in diverse persone (trad. anglaise : The Legend of the Holy Fina, Virgin of San Gimignano : now first translated from the Trecento Italian of Fra Giovanni di Coppo, with introduction and notes by M. Mansfield. New-York – Londres, Chatto and Windus, 1908, p. 22.
[3] Au moment du trépas de Fina, les cloches de la ville se mirent à sonner sans que quiconque soit intervenu pour les actionner, raconte le dominicain Giovanni del Coppo, auteur de la première biographie de la sainte, écrite au XIVe siècle et traduite du latin par Jacopo Manducci en 1575 sous le titre Vita e morte di Sancta Fina da San Gimignano. E miracoli fatti dopo quella in diverse persone. Soucieux de contribuer par ce moyen à l’élaboration de la légende de la sainte, l’auteur se charge d’embellir une réalité historique sans aucun doute plus prosaïque.