
Domenico Beccafumi (Valdibiena [Montaperti], entre 1484 et 1486 – Sienne, 1551)
Il sacrificio di Codro re di Atene (Le sacrifice de Codros, roi d’Athènes), entre 1529 et 1535.
Fresque de la voûte de la salle du Consistoire.
Inscriptions :
- (dans le cartouche sous la fresque) : « CODRVS REX ATHENIENSIVM » [1] Valère Maxime, V, 6
Provenance : In situ.
Sienne, Palazzo Pubblico, Sala del Concistoro.
Selon Ligurgue, orateur et homme politique athénien (v. 390 av. J.-C., – v. 324 av. J.-C.), l’action se déroule alors que les Péloponnésiens frappés par la famine ont marché sur Athènes. Ils ont d’abord sollicité l’oracle de Delphes qui leur a promis la victoire à condition de ne pas tuer Codros, le roi des Athéniens, au cours de la bataille. Mais le Delphien Cleomantis révèle l’oracle aux Athéniens. Codros décide alors de s’habiller en mendiant, sort de la ville et fait mine de collecter du bois sec. Deux soldats du camp adverse le surprennent ; il frappe frappe l’un d’eux avec sa faucille ; celui succombe sur le coup. Le second réagit vivement et tue Codros à son tour. C’est alors que les Athéniens envoient un messager chez les Péloponnésiens, afin de réclamer le corps de leur roi pour l’enterrer dignement. Les ennemis rendent le corps et, comprenant que l’oracle se réalise, quittent l’Attique. Ligurgue achève son récit en précisant la paix revenue, Athènes offre à Cléomantis de Delphes l’hébergement à perpétuité au Prytanée pour lui et pour ses descendants [2].
Comment, au sein d’une image unique, rendre compte de la succession, dans la durée, des divers incidents survenus au cours de cet épisode complexe et dramatique ? La réponse donnée par Beccafumi constitue un splendide exemple des procédés par lesquels un peintre parvient à rendre compte aussi bien de la temporalité d’un même événement que de ses différents épisodes, grâce aux seuls moyens plastiques dont il dispose pour servir le propos. Ici, ces moyens sont nombreux : ils impliquent à la fois l’étendue du support pictural, la succession des plans dans la profondeur simulée par la perspective, et la répétition, à pas moins de trois reprises, du personnage principal. À ces moyens particuliers, vient nécessairement s’ajouter le rôle du spectateur, lui-même en mouvement et inscrit dans la temporalité : directement sollicité, c’est lui qui, par le déplacement attentif de son regard, déchiffre les indices visuels et reconstitue la succession temporelle des épisodes décrits sur la surface plane du support.
Au premier plan de l’œuvre, Codros est représenté deux fois. Sur la gauche, on le voit encore en armes et la main appuyée sur son sceptre. Le regard dans le vague, il écoute Cléomantis lui révéler la sentence de l’oracle. Au centre, Codros vient de se dépouiller de sa cuirasse et de ses armes pour endosser la bure d’un pauvre bûcheron. C’est l’occasion idéale que saisit Beccafumi pour figurer un nu masculin ‘à l’antique’ dans toute la beauté que lui confère sa noblesse. L’attitude royale du modèle révèle la pause étudiée qui a précédé dans l’atelier. Inspiré par les plus hautes pensées, il tourne cette fois-ci son regard vers les cieux. On distingue parfaitement, au second plan sur la gauche, le fagot de bois et la serpe, compléments nécessaires au déguisement destiné à dissimuler la véritable identité du héros qui s’apprête à rejoindre son destin.
Dans l’angle droit, les personnages que l’on voit représentés ont un rôle de témoin qui n’est pas sans ajouter de l’emphase à la scène. Nous retrouverons ces témoins dans chacune des huit scènes figurées dans la frise. L’un d’eux, assis, se tourne vers le spectateur qui se trouve ainsi directement pris à témoin, à l’instar des autres personnages représentés dans l’œuvre pour y jouer un rôle identique. Que deviendrait l’épopée sans une mise en scène et des spectateurs ?
L’arrière-plan sert moins de décor à ce qui précède que de complément à la narration proprement dite. Sur la droite, Codros apparaît pour la troisième et dernière fois. À la manière d’un épilogue, voici l’instant fatal où il tombe terrassé par la lance d’un cavalier ennemi. Près du corps du roi, on distingue encore une fois, à terre, le fagot de bois, utile complément venu parachever l’illusion du pauvre glaneur, comme s’il s’agissait d’éviter tout éventuel malentendu quant à l’identité du héros qui vient de succomber à ses blessures, représentées elles aussi de manière insistante.
A l’arrière plan, sur la gauche, le temple d’Apollon, où se rendait l’oracle de Delphes, a été confondu à dessein avec la célèbre Tholos ronde, le temple d’Héra. On y distingue parfaitement, entre les colonnes, la foule des fidèles, la statue de la déesse, au centre de la rotonde et, à droite, la silhouette d’un prêtre. Ainsi, ce même bâtiment vient-il parachever la description minutieuse du contexte de la narration, confondant intentionnellement le temple de l’oracle de Delphes et le Prytanée d’Athènes auquel Ligurgue écrit que Cléomantis est promis.
Derrière la figure centrale du roi, l’image de l’édifice ruiné et de l’arbre mort couvert de lierre pourrait bien être lue, en contrepoint de l’histoire, comme le symbole d’une monarchie parvenue à son terme avec la mort de Codros.
[1] « Codros, roi des Athéniens ». Au Moyen Âge, l’histoire de Codros est généralement mise en parallèle avec celle d’Éléazar, le frère de Judas Maccabée, qui combattit courageusement contre Antiochus Eupator, et périt sous un éléphant qu’il venait d’éventrer en s’efforçant de faire le prince prisonnier (1 Macchabées, 2 et 6).
[2] « Sous le règne de Codrus, les Péloponnésiens, se voyant forcés par la disette d’abandonner leur pays, résolurent de marcher en armes contre notre ville, d’en chasser nos ancêtres, et de se partager le territoire de l’Attique. Et d’abord ils envoyèrent à Delphes consulter l’oracle et demander au dieu s’ils parviendraient à s’emparer d’Athènes. Le dieu leur ayant répondu qu’ils prendraient la ville s’ils ne tuaient pas Codrus, roi des Athéniens, ils dirigèrent leur armée sur Athènes. Cependant Cléomantis, un des habitants de Delphes, informé de la réponse de l’oracle, en donna secrètement avis aux Athéniens ; tant nos ancêtres, comme vous voyez, surent dans tous les temps se concilier la bienveillance même des étrangers ! Mais, lorsque les Péloponnésiens eurent envahi l’Attique, que firent nos ancêtres, citoyens ? Ils ne se hâtèrent pas de fuir à d’abandonner le pays, comme Léocrate ; ils ne livrèrent pas aux ennemis la terre qui les avait nourris et les objets de leur culte ; mais, quoique en petit nombre, ils se laissèrent assiéger et enfermer, endurant les plus cruelles souffrances pour leur patrie. Et telle était la générosité de ceux qui régnaient alors, Athéniens, qu’ils aimaient mieux mourir pour le salut de leurs sujets, que de vivre en changeant de pays. Aussi dit-on que Codrus, ayant averti les Athéniens de faire attention à eux-mêmes quand il aurait perdu la vie, se couvrit des haillons de la misère, afin de pouvoir tromper les ennemis, et, ayant franchi secrètement les portes, s’en alla ramasser du bois sec en avant de la ville. Cependant, deux soldats du camp s’étant avancés vers lui pour l’interroger sur ce qui se passait dans Athènes, il en tua un avec sa faux, et l’étendit à ses pieds. Alors, l’autre, enflammé de colère contre Codrus, et croyant que ce n’était qu’un mendiant, tira son épée et tua le roi. Après cet événement, les Athéniens, envoyant un héraut vers les ennemis, leur firent demander le corps de Codrus pour lui donner la sépulture, leur déclarant la vérité tout entière. Les Péloponnésiens le rendirent en effet ; mais, reconnaissant qu’ils ne pouvaient plus se rendre maîtres du pays, ils se retirèrent. Cependant la ville accorda à Cléomantis de Delphes et à ses descendants, pour toujours, le droit d’être nourris dans le Prytanée ». Lycurgue, Plaidoyer contre Léocrate, 84-87 (http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/lycurgue/leocrate.htm, consulté le 12.01.2021).
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