Source écrite de l’épisode du Doute de Joseph

La question du doute de Joseph prend sa source dans l’Évangile selon Matthieu, lors du retour de Marie de chez sa cousine Élisabeth après la Visitation :

« […] avant qu’ils eussent mené vie commune, elle [Marie] se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. Alors qu’il avait formé ce dessein, voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : ‘Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint’. » (Mt 1, 18‑20).

Le seul des trois autres évangiles racontant la naissance du Christ [1]Dans les Évangiles de Jean et de Marc, la narration ne commence qu’après la naissance de Jésus., celui de Luc, omet quant à lui de mentionner cet épisode particulier.

C’est donc vers les sources apocryphes, ces livres « tombé[s] dans le domaine des connaissances courantes » [2]Paul Zumthor, Histoire littéraire de la France médiévale, VIeXIVe siècles, Paris, PUF, 1954, p. 99., qu’il faut se tourner pour trouver les informations nécessaires aux peintres.

Les Apocryphes

En tentant d’assouvir la soif de connaissances des chrétiens au sujet de la personne du Christ, les apocryphes se sont chargé de « broder » sur la source néo-testamentaire (notamment à propos de l’enfance du Christ, qui y est peu traitée) et, chemin faisant, ont donné naissance à l’épisode du doute de Joseph.

Évangile du pseudo-Matthieu, chapitres X et XI :

« Pendant que cela [l’Annonciation] se passait, Joseph était à Capharnaüm occupé à son travail, car il était charpentier, et il y demeura neuf mois. Rentré donc dans sa maison, il trouva Marie enceinte et se mit à trembler de tous ses membres, et pris d’angoisse il s’écria et dit : ‘Seigneur, Seigneur, reçois mon esprit, car il vaut mieux pour moi mourir que vivre !’ Et les jeunes filles qui étaient avec Marie lui dirent : ‘Nous, nous savons qu’aucun homme ne l’a jamais touchée. Nous savons que l’intégrité et la virginité sont restées sans cesse immaculées en elle. Elle est restée toujours en Dieu, toujours en prière. Chaque jour, un ange du Seigneur parle avec elle, chaque jour elle reçoit sa nourriture de la main de l’ange. Comment peut-il se faire que quelque péché soit en elle? Vraiment, si tu veux que nous te dévoilions nos soupçons, personne ne l’a rendue enceinte si ce n’est l’ange de Dieu.’

Joseph leur dit : ‘Pourquoi tâchez-vous de me tromper afin que je croie qu’un ange de Dieu l’a rendue enceinte ? Il est possible que n’importe qui se soit fait passer pour un ange et l’ait séduite’. Et ayant dit cela il pleurait et disait ‘De quel front irai-je au Temple de Dieu ? De quel visage regarderai-je les prêtres de Dieu ? Que ferai-je ?’ Et disant cela, il songeait à se cacher et à la répudier. »

Il prit donc la décision de se lever de nuit et de s’enfuir. Mais voilà, cette nuit même un ange du Seigneur lui apparut dans son sommeil, disant : ‘Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie comme épouse, car ce qui est dans son sein vient de l’Esprit saint. Elle enfantera un fils qui sera appelé Jésus, car il délivrera son peuple de ses péchés.’ Quand Joseph se leva au réveil, il rendit grâces à son Dieu, et parla à Marie et aux jeunes filles qui étaient avec elle, et il raconta sa vision. Et il fit amende honorable en disant à Marie : ‘J’ai péché, car je t’ai soupçonnée’. » Selon le texte de l’Évangile du pseudo-Matthieu, le doute de Joseph aurait donc pris fin avant la naissance du Christ. 

L’EXÉGÈSE 

« Plusieurs exégètes », écrit Simon Gabay [3]Simon GABAY, « Le Doute de Joseph devant le miracle de la Conception (Matthieu, i, 18-20) », QueRevue pluridisciplinaire d’études médiévales, 23, 2012, pp. 85-103., « considèrent que Joseph a légitimement pu croire la Vierge victime d’un viol. Parmi eux, Justin dans son Dialogus cum Tryphone [4]Justin De Naplouse, Dialogus cum Tryphone Judaeo, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « Patrologia Graeca Cursus Completus », 6, 78, 3, col. 657. , Jean Chrysostome dans In Matthaeum [5]Jean Chrysostome, In Matthaeum homiliae, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « PG », 58, Hom. 4, 7, col. 48., et surtout Augustin dans son cinquante-et-unième sermon : « Étranger à cette conception, il en concluait quelle était adultère. » [6]« Quia enim de illo gravidam non esse sciebat, iam velut consequenter adulteram existimabat » (Augustin D’Hippone, Sermones ad populum. Classis I. De scripturis, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « Patrologia Latina Cursus Completus », 38, Sermo 51, 6, 9, col. 338bc. Selon le récit du Pseudo-Augustin, le doute ne porte que sur la décision à prendre par Joseph qui, troublé [7]« […] secumque aestuabat disputans et dicens : quid faciam ? Prodo aut taceo ? » (« Ces pensées l’agitent tour à tour et se confondent dans son esprit : Que ferai-je ? Dois-je faire connaître son crime ou me taire ? », Pseudo-Augustin (Attribué à Augustin), Sermones suppositi. Classis III. De sanctis, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « PL », … Poursuivre, hésite sur ce qu’il doit faire :

« Si je dévoile sa faute, je proteste contre l’adultère, mais je m’expose au reproche de cruauté, car je sais que d’après la loi de Moïse elle doit être lapidée. Si je garde le silence, je me rends complice du mal, et je fais alliance avec les adultères » [8]« Si prodidero, adulterio non consentio, sed vitium crudelitatis incurro quia secundum Moysi sententiam lapidandam eam esse cognosco. Si tacuero, malo consentio et cum adulteris portionem meam pono. » Pseudo-Augustin (Attribué à Augustin), op. cit.

Notes

Notes
1 Dans les Évangiles de Jean et de Marc, la narration ne commence qu’après la naissance de Jésus.
2 Paul Zumthor, Histoire littéraire de la France médiévale, VIeXIVe siècles, Paris, PUF, 1954, p. 99.
3 Simon GABAY, « Le Doute de Joseph devant le miracle de la Conception (Matthieu, i, 18-20) », QueRevue pluridisciplinaire d’études médiévales, 23, 2012, pp. 85-103.
4 Justin De Naplouse, Dialogus cum Tryphone Judaeo, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « Patrologia Graeca Cursus Completus », 6, 78, 3, col. 657. 
5 Jean Chrysostome, In Matthaeum homiliae, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « PG », 58, Hom. 4, 7, col. 48.
6 « Quia enim de illo gravidam non esse sciebat, iam velut consequenter adulteram existimabat » (Augustin D’Hippone, Sermones ad populum. Classis I. De scripturis, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « Patrologia Latina Cursus Completus », 38, Sermo 51, 6, 9, col. 338bc.
7 « […] secumque aestuabat disputans et dicens : quid faciam ? Prodo aut taceo ? » (« Ces pensées l’agitent tour à tour et se confondent dans son esprit : Que ferai-je ? Dois-je faire connaître son crime ou me taire ? », Pseudo-Augustin (Attribué à Augustin), Sermones suppositi. Classis III. De sanctis, Jacques-Paul Migne (éd.), Petit‑Montrouge, « PL », 39, Sermo 195, 4, col. 2108. 
8 « Si prodidero, adulterio non consentio, sed vitium crudelitatis incurro quia secundum Moysi sententiam lapidandam eam esse cognosco. Si tacuero, malo consentio et cum adulteris portionem meam pono. » Pseudo-Augustin (Attribué à Augustin), op. cit.