‘Maître de l’Observance’, « Le songe de Joseph »

Maître de l’Observance’ (peintre ou groupe de peintres actif durant le second quart du XVe siècle)

Le songe de Joseph, v. 1435.

Tempéra et or sur panneau, 16,3 x 12,7 cm (surface peinte : 14 x 10,5 cm).

Provenance : Don des Amis du Louvre en 2021. [1]L’acquisition par les Amis du Louvre a été rendue possible grâce au mécénat de Michel David-Weill et avec l’aide de la galerie Sarti (Paris), en mémoire de Michel Laclotte qui fut non seulement directeur du Musée du Louvre à l’époque de l’agrandissement qui, sous François Mitterand, l’a métamorphosé, mais un amant et un grand spécialiste de l’art siennois. La provenance … Poursuivre

Paris, Musée du Louvre.

Récemment entré au Louvre après avoir quitté Paris au début du XXe siècle, peu après la vente de la collection de peintures réunies par Félix Ravaisson-Mollien [2]Félix Ravaisson-Mollien, élève de Victor Cousin, compte parmi les grands philosophes du XIXe siècle. Il devint en 1870 conservateur des antiques au musée du Louvre. On lui doit la redécouverte d’œuvres majeures. Le philosophe a par ailleurs rassemblé une intéressante collection de peintures de diverses écoles., ce tout petit panneau est exceptionnel à plusieurs titres. Il en va ainsi, en particulier, de la rareté du sujet, traité ici en tant que scène à part entière [3]Exceptionnellement, ce songe de Joseph, qui en eut plusieurs, n’est pas traité ici comme un épisode annexe de la Nativité ou de la Fuite en Égypte, comme c’est le cas habituellement., comme de ses dimensions inhabituellement petites, à l’intérieur desquelles le ‘Maître de l’Observance[4]Après avoir été attribuée au peintre Alessio Baldovinetti (Florence, 1427- 1499), l’œuvre est dorénavant rendue au mystérieux peintre siennois anonyme. Keith Christiansen, alors conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York, a identifié le sujet du tableau en 1988, lors de l’exposition « Painting in Renaissance Siena. 1420-1500 », dont il fut l’un … Poursuivre parvient à déployer les savoirs d’un peintre raffiné mis au service d’une narration empreinte de la plus pure poésie.

N’était l’ange, Joseph est seul. Accroupi au sol, il s’est assoupi dans une attitude pensive, la tête appuyée sur une main. Depuis qu’il a appris que Marie attend la naissance d’un enfant miraculeux, Joseph, qui a été neuf mois loin d’elle, est en proie au doute. Le voici qui songe. Un ange tout rose et diaphane, aussi léger que l’air, aussi délicat que peut l’être un papillon (auquel il emprunte aussi la silhouette), s’est approché de lui et esquisse de la main un geste doucement protecteur au-dessus de sa tête. C’est la seconde fois qu’apparaît l’ange venu rendre visite à Joseph dans son sommeil incertain. [5]La première apparition de l’ange a eu lieu peu avant la Nativité. Il s’agissait alors rassurer Joseph et de mettre un terme au doute qui s’était emparé de lui après la mystérieuse fécondation de Marie survenue par l’opération du Saint-Esprit. L’index qu’il pointe vers le bas exprime l’urgence avec laquelle il invite le saint à fuir sans délai la fureur d’Hérode et le massacre des Innocents qu’il vient d’ordonner.

Comme souvent dans l’œuvre du Maître siennois, le paysage se réduit à un strict minimum d’indices propres à décrire le contexte de la narration. Ici, seuls deux rochers, dont les accidents sont révélés par la lumière, définissent un paysage. Le plus proche des deux est percé d’une grotte dans laquelle le regard parvient à se glisser. Bien que la plus grande partie de cette grotte soit située au-delà des bords de l’image, c’est-à-dire hors du champ de vision, on parvient à reconnaître, posé au sol, un bât destiné au transport des charges à dos d’âne et, surtout, l’extrémité d’un berceau dans lequel il est possible de deviner, grâce au lange immaculé qui serre fermement les jambes d’un nourrisson, la présence de l’Enfant endormi. Confronté à l’étroitesse du format de l’image, le peintre ose l’extraordinaire : il déplace hors-champ l’Enfant-Jésus, sans le dissimuler tout à fait, et, par ce stratagème, maintient Joseph dans l’irrémédiable solitude de son rêve. [6]On notera que ce cadrage proprement révolutionnaire ne doit rien à l’action barbare d’une scie : le ciel doré, orné de losanges abstraits, est fait du même métal que les bandes de séparation travaillées au poinçon qui encadrent l’image. Rien de fortuit, rien qui ne découle d’un choix de l’artiste. Ce faisant, il situe la scène à la fois dans l’espace et dans le temps : nous sommes à Bethléem, peu avant le départ de la Sainte Famille en Égypte.

Un autre panneau du même peintre, figurant la Fuite en Égypte (actuellement dans une collection particulière), d’un format presque identique et au décor poinçonné comparable, a pu être identifié et associé au présent Songe de Joseph par Laurence B. Kanter et Keith Christiansen. Ce dernier a proposé d’y voir deux éléments appartenant à un même retable, placés à l’origine en applique au niveau de la prédelle, peut-être sous des pilastres ou des colonnettes. [7]« Given the vertical grain of the wood, it is conceivable that the picture was the projecting element of a predella, beneath a colonette or pilaster. » Keith CHRISTIANSEN, Laurence B. KANTER, Carl Brandon STREHLKE, Painting in Renaissance. Siena (catalogue d’exposition), New-York, The Metropolitan Museum of Art, 1988, pp. 123-124. De son côté, Wolfgang Loseries suggère que les deux œuvres pourraient toutes deux provenir d’un même panneau de grand format, aujourd’hui démembré, figurant à l’origine un saint (un saint évêque ?) dont les bordures du vêtement liturgique auraient été richement ornés d’orfrois. [8]L’orfroi est une scène historiée réalisée en broderie de fils d’or et d’argent, de soie et parfois de lin et de laine. Il est destiné à orner les vêtements liturgiques comme la chape, la chasuble, la dalmatique ou la tunique afin de participer au caractère sacré de la vêture religieuse. Il joue un rôle également didactique par la représentation de saints, martyres ou évêques, … Poursuivre Cette hypothèse passionnante a le double mérite de se fonder sur une observation très minutieuse d’un détail à la fois presque insignifiant et particulièrement significatif ; et par ricochet, d’éclairer le regard porté sur l’œuvre : alors que les deux bandes dorées et ouvragées qui encadrent verticalement la figure du saint ne sont pas parallèles, le support fictif sur lequel apparaît la figure de Joseph révèle ainsi un léger mouvement ondulant, à la manière du lourd et précieux tissu brodé d’une chape épiscopale qui, peut-être, fut comparable en richesse à celle portée par Saint Nicolas de Bari, tel qu’il est figuré dans le Polyptyque Quaratesi peint par Gentile da Fabriano.

Gentile da Fabriano, « Polyptyque Quaratesi ». Florence, Gallerie degli Uffizi (détail des orfrois ornant la chape de Nicolas de Bari : Nativité, Adoration des mages, Fuite en Égypte, Massacre des Innocents).
Gentile da Fabriano, « Polyptyque Quaratesi ». Florence, Gallerie degli Uffizi (détail des orfrois ornant la chape de Nicolas de Bari : Massacre des Innocents, Présentation au temple, Baptême du Christ).

Notes

Notes
1 L’acquisition par les Amis du Louvre a été rendue possible grâce au mécénat de Michel David-Weill et avec l’aide de la galerie Sarti (Paris), en mémoire de Michel Laclotte qui fut non seulement directeur du Musée du Louvre à l’époque de l’agrandissement qui, sous François Mitterand, l’a métamorphosé, mais un amant et un grand spécialiste de l’art siennois. La provenance ancienne du panneau est inconnue. On n’en trouve la première mention que dans un catalogue datant de novembre 1903, celui de la vente après décès des peintures rassemblées dans la collection de Félix Ravaisson-Mollien.
2 Félix Ravaisson-Mollien, élève de Victor Cousin, compte parmi les grands philosophes du XIXe siècle. Il devint en 1870 conservateur des antiques au musée du Louvre. On lui doit la redécouverte d’œuvres majeures. Le philosophe a par ailleurs rassemblé une intéressante collection de peintures de diverses écoles.
3 Exceptionnellement, ce songe de Joseph, qui en eut plusieurs, n’est pas traité ici comme un épisode annexe de la Nativité ou de la Fuite en Égypte, comme c’est le cas habituellement.
4 Après avoir été attribuée au peintre Alessio Baldovinetti (Florence, 1427- 1499), l’œuvre est dorénavant rendue au mystérieux peintre siennois anonyme. Keith Christiansen, alors conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York, a identifié le sujet du tableau en 1988, lors de l’exposition « Painting in Renaissance Siena. 1420-1500 », dont il fut l’un des commissaires.
5 La première apparition de l’ange a eu lieu peu avant la Nativité. Il s’agissait alors rassurer Joseph et de mettre un terme au doute qui s’était emparé de lui après la mystérieuse fécondation de Marie survenue par l’opération du Saint-Esprit.
6 On notera que ce cadrage proprement révolutionnaire ne doit rien à l’action barbare d’une scie : le ciel doré, orné de losanges abstraits, est fait du même métal que les bandes de séparation travaillées au poinçon qui encadrent l’image. Rien de fortuit, rien qui ne découle d’un choix de l’artiste.
7 « Given the vertical grain of the wood, it is conceivable that the picture was the projecting element of a predella, beneath a colonette or pilaster. » Keith CHRISTIANSEN, Laurence B. KANTER, Carl Brandon STREHLKE, Painting in Renaissance. Siena (catalogue d’exposition), New-York, The Metropolitan Museum of Art, 1988, pp. 123-124.
8 L’orfroi est une scène historiée réalisée en broderie de fils d’or et d’argent, de soie et parfois de lin et de laine. Il est destiné à orner les vêtements liturgiques comme la chape, la chasuble, la dalmatique ou la tunique afin de participer au caractère sacré de la vêture religieuse. Il joue un rôle également didactique par la représentation de saints, martyres ou évêques, composant un véritable programme iconographique à plusieurs personnages ou saynètes. Les orfrois sont agencés en registres verticaux, comme sur la chape portée par le Nicolas de Bari figuré dans le Polyptyque Quaratesi peint par Gentile da Fabriano. Ils étaient réalisés par des brodeurs et certains ateliers européens s’en sont fait une spécialité depuis le XIIIe siècle.

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