Anonyme du XVe s., « Retable de Boulbon. La Trinité avec le Christ de douleur, debout dans le tombeau, et saint Agricol lui présentant un donateur »

Anonyme du XVe s. (École de Provence)

Retable de Boulbon. La Trinité avec le Christ de douleur, debout dans le tombeau, et saint Agricol lui présentant un donateur, milieu du XVe siècle (1440 – 1460)

Huile sur bois, transposé sur toile, 1,72 m x 2,28 m.

Inscriptions :

  • (paroles prononcées par le donateur agenouillé) : « Salvator mundi miserere nobis » [1]« Salvator mundi miserere nobis » (« Sauveur du monde, ait pitié de nous »). « […] les mots prononcés par le chanoine sont ceux des classiques ex-voto ». (N. REYNAUD, « À propos du “Retable de Boulbon” », Revue du Louvre, 34, 1984, p. 103). Est-ce vraiment le début d’une « prière traditionnelle » ?
  • (paroles prononcées par le saint évêque) « hoec est fides nostra » [2]Yoshiaki Nishino, dans le cadre de son interprétation johannique du Retable de Boulbon, veut y lire une citation abrégée de 1 Jn 5, 4 : Hoec est victoria qua vincit mundum, fides nostra (« parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde ; et la victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi »), et une allusion à la victoire du Credo des Latins à … Poursuivre
  • (à droite de la tête du même saint évêque) : « St. / AGRICOL » [3]Agricol ou Agricola (Avignon, entre 627 et 630 – 700) : saint, évêque d’Avignon de 660 à sa mort.
  • (dans le titulus, au-dessus de la tête du Christ) : « I.N.R.I. » [4]Voir : I.N.R.I.

Provenance : Sans doute commandé pour l’église Saint-Agricol d’Avignon par le chanoine Jean de Montagnac et transféré au XVIe siècle à l’église Saint-Marcellin de Boulbon; acquis de la fabrique de l’église de Boulbon et donné au Louvre par le Comité de l’exposition des Primitifs français, 1904.

Paris, musée du Louvre.

« La Trinité apparaît dans le Retable de Boulbon d’une manière il est vrai aussi indiscutable qu’insolite […]. Un peu plus haut que la tête de l’évêque, dans une lucarne ouverte dans le mur et dont le cadre descend sous la traverse de la croix, une tête nimbée (d’un nimbe crucifère), vue de trois quarts, celle d’un homme âgé, à la chevelure grisonnante abondante, au visage osseux, « au nez puissant et aux grands yeux » : elle n’est donc pas sans parenté morphologique avec celle du Christ. Elle est peinte à une échelle légèrement supérieure à celle de l’évêque et du chanoine ; son modelé et sa position de trois quarts donnent l’impression que sa tête est plus grosse que celle du Christ, qu’il fixe des yeux. Le visage est impassible mais grave. De sa bouche, que l’on pourrait croire fermée et qui, à l’examen des clichés à la loupe, se révèle à peine entrouverte (deux taches claires pourraient être des dents), part un faisceau divergent de douze rayons, comme il en part neuf de la bouche légèrement entrouverte du Christ. Ces rayons se croisent très exactement à hauteur de la poitrine de la colombe du Saint-Esprit. Celle-ci a la tête ornée d’un nimbe crucifère. Ses ailes semblent fixées à ces rayons et inscrites dans le losange qu’ils dessinent — en réalité, on doit comprendre, je crois, que leurs extrémités sont cachées par la chevelure de Dieu le Père et la barbe du Christ. Située ainsi entre les bouches du Père et du Fils (comme dans le Couronnement de la Vierge de Quarton à Villeneuve, et dans celui de Saint-Siffrein de Carpentras), elle constitue un exemple, parmi beaucoup d’autres, de colombe « utroquiste », tracée de manière à signifier la procession de l’Esprit « du Père et du Fils », a Patre Filioque. » [5]François BOESPFLUG (dir.), La Trinité dans l’art d’Occident (1400-1460). Sept chefs-d’œuvre de la peinture, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, pp. 151-170. Notes de l’auteur. La suite du texte n’est pas moins intéressante : « L’originalité de cette peinture, qui est de ce point de vue sans équivalent, est de parvenir à suggérer que la colombe, qui … Poursuivre [6]Voir : « Querelle du Filioque. »

Notes

Notes
1 « Salvator mundi miserere nobis » (« Sauveur du monde, ait pitié de nous »). « […] les mots prononcés par le chanoine sont ceux des classiques ex-voto ». (N. REYNAUD, « À propos du “Retable de Boulbon” », Revue du Louvre, 34, 1984, p. 103). Est-ce vraiment le début d’une « prière traditionnelle » ?
2 Yoshiaki Nishino, dans le cadre de son interprétation johannique du Retable de Boulbon, veut y lire une citation abrégée de 1 Jn 5, 4 : Hoec est victoria qua vincit mundum, fides nostra (« parce que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde ; et la victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi »), et une allusion à la victoire du Credo des Latins à travers le monde. Y. NISHINO, « The Boulbon Altarpiece and its Iconographical Programme », Art History, 10/1, mars 1987, p. 14.
3 Agricol ou Agricola (Avignon, entre 627 et 630 – 700) : saint, évêque d’Avignon de 660 à sa mort.
4 Voir : I.N.R.I.
5 François BOESPFLUG (dir.), La Trinité dans l’art d’Occident (1400-1460). Sept chefs-d’œuvre de la peinture, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2006, pp. 151-170. Notes de l’auteur. La suite du texte n’est pas moins intéressante : « L’originalité de cette peinture, qui est de ce point de vue sans équivalent, est de parvenir à suggérer que la colombe, qui symbolise entre autres l’amour commun du Père et du Fils, les relie « par-dessus » la croix qui les sépare ou, en d’autres termes, que la croix n’a pas rompu le lien qui les unissait. De fait, si l’on connaît beaucoup d’autres images de la Trinité où le Christ en Homme de douleurs représente la deuxième Personne, il est très peu d’images du Christ de Pitié à mi-corps dans la cuve funéraire qui aient pour ainsi dire convoqué l’image du Père et celle de l’Esprit. Les trois qui me sont connues, toutes du XVe siècle, mais antérieures au Retable de Boulbon, se distinguent de lui par la présence d’assistants (Vierge et saint Jean, anges), et aussi par une figuration du Père beaucoup plus conventionnelle. La figure du Père, ici, sans être de plain-pied et au contact du corps du Christ, ne se réduit pas au simple buste à petite échelle ; elle délaisse également les symboles traditionnels de la mandorle et des ourlets de ciel, et adopte comme mode de présentation celui d’un visage légèrement surdimensionné, placé à la fenêtre (Erwin Panofsky cite le Retable de Boulbon en exemple de la force conquérante du Christ de Pitié qui, non content de pénétrer les images de la Trinité […], s’annexe aussi les symboles des deux autres Personnes (Erwin PANOFSKY, “Imago Pietatis”, ein Beitrag zur Typengeschichte des Schmerzensmann und der “Maria Mediatrix”. (trad. fr. dans Peinture et dévotion en Europe du nord à la fin du Moyen Âge, Paris, Flammarion (Coll. Idées et recherches), 1997, p. 20 et note 40).

Celle-ci lui fait un cadre où le visage du Père paraît à l’étroit. Le recours à la fenêtre comme dispositif symbolique de présentation de Dieu dans une scène d’histoire a déjà un long passé dans l’art occidental et apparaît notamment depuis un demi-siècle dans la peinture de certains sujets comme l’Annonciation ou des scènes d’obsèques – telle miniature montre l’âme d’un dominicain hissée par un ange vers Dieu le Père apparaissant dans une lucarne. C’est en revanche sa seule utilisation connue en pareil contexte. Que signifie-telle plus précisément ? Pourquoi avoir logé le portrait de Dieu le Père derrière un mur, dans une lucarne (Sixten Ringbom a proposé d’y déchiffrer une allusion au Cantique des Cantiques : « Mon Bien-aimé est semblable à une gazelle, à un jeune faon ; voilà qu’il se tient derrière notre mur ; il guette par la fenêtre, il épie par le treillis » (Ct 2, 9) ; S. RINGBOM, Icon to Narrative : The Rise of the Dramatic Close-up in Fifteenth-Century Devotional Painting, Doornspijk, Davaco, 1984, p. 42. Mais habituellement, c’est le Fils, et non le Père, qui est qualifié de Bien-Aimé) ? Il faut avouer que cette question n’a pas encore reçu de réponse convaincante. En règle générale, l’apparition dans le cadre d’une lucarne vaut comme dispositif ménageant à la fois l’invisibilité du Père et le besoin de figurer sa présence, ou son omniscience, qui ont la vertu de « trouer » le mur séparant le temps de l’éternité. Mais c’est surtout l’Esprit, ici, qui assure le lien entre l’invisibilité de Dieu et la Passion du Fils, au su et au vu de tous. »

6 Voir : « Querelle du Filioque. »