
‘Collaboratore dell’Ambrosi’
Storia di Giovanni di Guccio da Molli (Épisode de la vie de Giovanni di Guccio da Molli), première moitié du XVe siècle.
Fresque.
Provenance : In situ.
Sienne, Eremo di Lecceto, second cloître dit Chiostro dei Beati [1]Le cloître des Bienheureux (Beati) tient son nom des fresques monochromes qui dépeignent des épisodes de la vie des bienheureux ermites de Lecceto, et en ornent les parois..
Le sujet figuré dans cette fresque, peinte dans le second cloître de l’hermitage de Lecceto par un collaborateur de Pietro di Giovanni Ambrosi demeuré anonyme, est tiré d’un ouvrage qui eut en son temps un retentissement certain, les Assempri. Rédigés au début du XVe siècle par Filippo degli Agazzari, alors prieur de l’ermitage augustinien de San Salvatore di Selva del Lago (près de Sienne), aujourd’hui Lecceto. Gli Assempri [2]Les ‘Assempri’ (*) occupent une place prépondérante dans la littérature religieuse des XIVe et XVe siècles. Il s’agit d’un recueil de soixante-deux récits qui se veulent édifiants (plusieurs bienheureux de Lecceto en sont les protagonistes) ou exemplaires (d’où leur dénomination), mais tout aussi précieux en ce qu’ils contribuent à la connaissance des coutumes et … Poursuivre sont constitués de la compilation de plusieurs récits édifiants qui présentent des différences importantes par rapport à la typologie littéraire dont ils sont les plus proches, celle de l’exemplum médiéval. Parmi ces différences, l’une des plus importantes est d’avoir été écrits pour un public hétérogène de « gens bons et dévoués ». Le récit lisible au chapitre 42, intitulé D’un jeune garçon religieux à qui Jésus-Christ apparut sous la forme d’un homme vénérable et lui montra la blessure de son côté [3]« D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato ». Le texte intégral de ce récit est lisible par le biais du lien ci-dessus., rapporte un épisode miraculeux de l’histoire d’un religieux augustin du nom de Giovanni di Guccio da Molli, que l’auteur ne pu connaître personnellement bien qu’ils aient tous deux été prieurs de Lecceto. Ce récit nous apprend comment et pour quelle raison, alors qu’il était tout jeune novice à Lecceto, Giovanni tenta de fuir l’ermitage, et en quoi son histoire édifiante peut être appréhendée comme un exemple à suivre par le lecteur avisé.

Comme souvent lorsqu’il s’agit de transposer un récit en une image fixe, l’effet de temporalité propre à la narration est traduit par la mise en scène de plusieurs instants d’un même récit dans l’espace unifié de la représentation, ici, une architecture susceptible d’évoquer tout autant un cloître qu’un réfectoire ou quelque autre partie d’un édifice monastique d’autant plus aisément identifiable qu’il fait écho à l’aspect du lieu dans lequel cette architecture est représentée. L’édifice, qui occupe les trois quarts de la longueur de l’image, est immergé dans une forêt d’une densité propre à protéger une solitude jugée indispensable à la méditation et à la prière. Ces arbres qui poussent en rangs très serrés sont probablement des chênes puisqu’il s’agit de planter le décor : nous sommes à Lecceto. L’histoire peut commencer. [4]Celle-ci commence, comme il se doit, en haut à gauche de l’image (fig. 1), à l’instar du sens de lecture de l’écrit dans la culture occidentale, facilitant ainsi la compréhension de l’image muette. Un moine – ce ne peut être que Giovanni di Guccio da Molli, puisqu’il en est le principal protagoniste – apparaît en haut à gauche (il reviendra à deux reprises, déterminant trois temps différents permettant au spectateur de reconstituer l’essentiel du schéma narratif). Alors qu’il est en train de prendre un maigre repas fait d’un petit pain dont il tient un morceau entre le pouce et l’index, Giovanni vient de s’interrompre pour observer la scène qui se déroule devant lui : un ange, visiblement habitué de ces lieux saints, s’est immiscé parmi les moines assis autour de la grande table du réfectoire, et qui ne semblent pas même avoir vu sa présence surnaturelle : seuls Giovanni et son compagnon, que l’on voit à sa gauche manifester sa surprise, semblent en être les témoins, confirmant peut-être ainsi l’adage selon lequel on voit mieux avec les yeux du cœur. Pourtant, le jeune garçon que le récit décrit comme « sage et prudent pour son âge, […] d’une humilité, d’une dévotion, d’un respect et d’une obéissance remarquables envers Dieu » éprouve une répulsion extrême pour la nourriture qui lui est offerte au couvent, et qu’il trouve immangeable. C’est là, semble-t-il, son seul défaut : « il ne pouvait manger du pain qu’il ne lavait pas […]. Lorsqu’il en mangeait, il lui fallait un bol très blanc et beau ». [5]Frà Filippo da Siena, « D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato », dans Gli Assempri. Leggende del secolo XIV, testo di lingua inedito tratto di un codice autografo della libreria Comunale di Siena (D. Carlo Francesco CARPELLINI éd.), Sienne, Gati Editore-Libraio, 1864, chap. 42, pp. 86-89. Il arriva que les autres novices, ses compagnons, le mirent en garde : « Que feras-tu quand tu seras à Sienne », dans un couvent où « la cuisine [est] mal nettoyée et mal assaisonnée » et où l’on ne trouve à manger que des petits morceaux de pain « que les femmes apportent dans leurs sacs et leurs poches, pleins de linge et de poils, et qu’elles déposent dans le coffre de l’église parmi les souris, la poussière et les lapins. Tu devras le manger, que tu le veuilles ou non. » Rentré en larme dans sa cellule, l’enfant pria : « Seigneur Dieu, tu sais que tu m’as mis dans la tête de venir te servir dans cette sainte religion. Maintenant, tu vois qu’à cause du défaut de ma nature, c’est-à-dire de ce dégoût, je ne pourrais pas persévérer, car je ne pourrais jamais manger ces aliments et ces plats lourds, et je mourrais de faim d’avance. […] C’est pourquoi, si j’étais obligé de rester là, puisque je suis profès, je devrais quitter l’ordre. Ainsi, là où je suis venu pour sauver mon âme, je la perdrais, et là où je suis venu pour vous servir, je vous desservirais. Je crois donc qu’il est préférable pour moi de quitter ce lieu comme novice que comme profès. » Ces réflexions lui firent prendre la décision de fuir les lieux sans attendre de devoir offenser Dieu en étant conduit à renoncer à des vœux plus avancés. Il quitta donc le couvent (on le voit maintenant portant son baluchon sur l’épaule, se diriger vers la forêt pour la traverser et retourner à Sienne). Pourtant, parvenu à la lisière de la forêt il fit la rencontre d’un « homme vénérable » qui lui parla avec douceur (« […] mon fils, je ne veux pas que tu fasses cela, mais va et reviens à la religion, et chaque fois que tu auras quelque chose de difficile à digérer, ou de la nourriture que tu ne peux pas manger, reviens ici ») et lui fit voir les plaies qu’il portait au côté gauche, aux mains et aux pieds, et « d’où jaillissait une clarté telle que celle du soleil ne brille pas dans les grottes ». C’est ainsi qu’ayant reconnu le Christ, « le garçon retourna aussitôt à sa cellule par le même chemin qu’il avait emprunté, en larmes et avec une telle componction de cœur que, lorsque le prieur et son maître arrivèrent, ils l’interrogèrent sur ses pleurs et lui dirent que, s’il refusait de rester au monastère, ils enverraient chercher sa famille et le renverraient. Le garçon répondit alors qu’il était plus heureux au monastère que jamais et qu’il ne voulait en aucun cas le quitter. Alors, ils le harcelèrent tant qu’il leur expliqua la raison de ses pleurs en confession, et son dégoût disparut complètement. Puis, grandissant en vertu et en sainteté, il fut nommé prieur dudit couvent. Et il raconta lui-même à maintes reprises l’exemple mentionné ci-dessus, en la personne d’un autre. Ce frère Giovanni Gucci, de toute sa vie, n’aurait jamais pu donner lieu à redire, et était véritablement un homme irréprochable. Puis, à sa mort, il révéla la vision mentionnée ci-dessus à son confesseur, qui ignorait jusqu’alors qui il était ». [6]Frà Filippo da Siena, « D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato », op. cit., pp. 88-89.
Notes
| 1↑ | Le cloître des Bienheureux (Beati) tient son nom des fresques monochromes qui dépeignent des épisodes de la vie des bienheureux ermites de Lecceto, et en ornent les parois. |
|---|---|
| 2↑ | Les ‘Assempri’ (*) occupent une place prépondérante dans la littérature religieuse des XIVe et XVe siècles. Il s’agit d’un recueil de soixante-deux récits qui se veulent édifiants (plusieurs bienheureux de Lecceto en sont les protagonistes) ou exemplaires (d’où leur dénomination), mais tout aussi précieux en ce qu’ils contribuent à la connaissance des coutumes et croyances populaires de l’époque. Les sujets en sont variés, et vont de la fiction ou du fantastique (où la morale spirituelle sert de guide contre le diable, maître du monde et corrupteur des âmes) à l’histoire (beaucoup sont consacrés à Sienne et influencés par les grands événements et autres bouleversements de son époque : la peste de 1348, la chute des Neuf, pour ne citer que deux exemples frappants). Sienne, qu’Agazzari ne manque pas de critiquer, et qu’il qualifie de repaire de vanité, d’usure et de plaisirs immodérés, est également présente dans les récits.
(*) Assempro (archaïque) : forme alternative de l’italien esempio (exemple ou, plus précisément, exemplum). |
| 3↑ | « D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato ». Le texte intégral de ce récit est lisible par le biais du lien ci-dessus. |
| 4↑ | Celle-ci commence, comme il se doit, en haut à gauche de l’image (fig. 1), à l’instar du sens de lecture de l’écrit dans la culture occidentale, facilitant ainsi la compréhension de l’image muette. |
| 5↑ | Frà Filippo da Siena, « D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato », dans Gli Assempri. Leggende del secolo XIV, testo di lingua inedito tratto di un codice autografo della libreria Comunale di Siena (D. Carlo Francesco CARPELLINI éd.), Sienne, Gati Editore-Libraio, 1864, chap. 42, pp. 86-89. |
| 6↑ | Frà Filippo da Siena, « D’un fanciullo religioso al quale apparbe Gesù Cristo in forma d’un venerabile uomo e mostrogli la piaga del costato », op. cit., pp. 88-89. |

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