Pietro Lorenzetti, “Polittico di San Giusto”

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Pietro Lorenzetti
(connu à Sienne de 1305 à 1345) et atelier ?

Polittico di San Giusto (Polyptyque de San Giusto), 1332 (daté et signé)

Tempéra sur panneaux, 124 x 175 cm. au total.

Inscriptions : sous les saints représentés figurent leurs prénoms, dans l’ordre : « SC JULIANA », le nom PETRUS n’est plus lisible, « PAULUS », « SC IUSTUS »

Provenance : Église de San Giusto, Sienne.

Sienne, Pinacoteca Nazionale.

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Le compartiment central est, une nouvelle fois, occupé par la figure de la Vierge, vue debout à mi-corps, portant Jésus dans les bras. Celui-ci gigote dans les bras de sa Mère, et porte la main vers la bouche, attitude dont le sens demeure à déchiffrer (est-il en train de manger un morceau du fruit qu’il tient dans l’autre main ?). Marie porte sur lui un regard inquiet. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des éléments iconographiques vise, une fois encore, à évoquer la Passion qui est le devenir personnel de l’Enfant, connu de lui, comme il l’est de sa Mère ainsi que de tous les personnages présents dans l’œuvre.

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Les saints qui figurent dans les panneaux latéraux jouent leur partition, laquelle n’appartient pas au même registre dans les quatre cas. Les apôtres Pierre et Paul [1] encadrent (fig. 2 et 3) la scène principale, comme il se doit. Observant tous les deux le groupe central, il leur revient d’occuper les places les plus rapprochées de celui-ci, comme s’il s’agissait d’établir une proximité hiérarchique leur permettant d’être les témoins privilégiés de la scène, aux meilleures places pourrait-on dire. Il importe de rappeler ici que la représentation des saints dans l’ensemble d’un retable ne tient généralement aucun compte de la temporalité “historique” des différents personnages représentés ensemble, dans un temps devenu commun. Les temps, le présent parfois, et le passé – plus ou moins lointain – se mêlent non pas indifféremment mais pour rendre visible dans une même actualité, par le biais de sa seule image, une réunion historiquement impossible mais apte à déclencher une réflexion ou pour mieux dire, une méditation dont le sujet est toujours – et nécessairement – lié à la présence centrale d’un Enfant divin venu pour accomplir par son sacrifice la Rédemption de l’humanité. La position relative des saints Pierre et Paul, dont les figures sont orientées vers la scène centrale qu’ils regardent eux aussi, explicite le sens de leur présence : comme le spectateur, mais douées d’une connaissance qui provient du rôle d’acteur qu’ils ont eux-mêmes joué, ils regardent ; de fait, dans une distorsion du temps qui ne peut advenir qu’en peinture, ils sont tout à la fois les témoins d’un événement à venir et des observateurs de la scène présente sous leurs yeux comme elle l’est sous les nôtres. Parce qu’ils regardent ce que nous mêmes regardons, Pierre et Paul nous mettent en situation de concevoir ce même événement dramatique dont les conditions de réalisation viennent d’être créées par la naissance de l’Enfant divin.

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La figure (fig. 4) de Juliana (ou Giuliana), que l’on identifie grâce au rameau de lys qu’elle tient à la main, constitue le portrait le plus splendide des saints de ce retable. Outre l’évanescente beauté de son visage d’un ovale parfait [2], son regard grave et intériorisé, objet d’une indicible émotion, c’est la splendeur de l’incroyable chromatisme de son vêtement qui subjugue. Cette flaque de jaunes d’or soulignée de noir et ces rouges vermillon éclatants, jouent de contrastes d’une beauté intemporelle, presque fauviste si l’anachronisme d’un tel qualificatif n’était pas excessif.

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La présence de saint Giusto [3], Patron de la ville de Trieste et co-Patron de celle de Volterra, s’explique par le fait que le polyptyque était destiné à l’autel principal de l’église du même nom, à Sienne.

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Les huit figures de saints (apôtres et prophètes) du registre supérieur sont attribués à l’atelier de Pietro. On reconnaît notamment (fig. 8, à droite) l’apôtre Barthélémy au coutelas, instrument de son martyre, qu’il brandit de la main droite.

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Au sommet du retable, une Annonciation (fig. 10), admirable elle aussi, aux bleus aériens, jouant parfaitement de sa position par un point de vue du bas vers le haut que l’on nomme, en Italie, da sotto in sù [4], semble rivaliser avec celle peinte par Pietro sur le polyptyque d’Arezzo (actuellement – octobre 2018 – en restauration, voir fig. 11 ci-dessous). Il s’agit là de l’un des chefs-d’œuvre de perspective conçus au cours de la première moitié du XIVe siècle : « la totale intégration de la charpente du polyptyque, la parfaite vision en sotto in sù, la détermination géométrique de la petite pièce où advient l’effrayant événement entièrement construite par la couleur, la capacité de suggérer une autre pièce dans laquelle sont restés un pied et la pointe de l’aile de l’archange […], déterminent un lieu en même temps que le caractère praticable de ce lieu tellement cohérent […] sur une si petite surface, la somme des recherches sur l’espace et la tridimensionnalité que le peintre avait conduite sur l’ensemble de sa déjà longue activité. » [5]

Il reste à signaler une présence essentielle et pourtant invisible, ou presque, tout au sommet de l’édifice. La voyez-vous ? Une figure apparaît, difficilement visible, dans le médaillon qui somme l’Annonciation. Seul se détache sur une auréole dorée le contour de sa tête : il s’agit de Dieu lui-même qui, participant directement à l’événement mystérieux de l’Incarnation, régit aussi, par sa position dominante au sommet du polyptyque, l’ensemble de la représentation (peut-être devrait-on parler au pluriel des représentations) peinte(s).

Si l’influence du maître idéal de Lorenzetti que fut Duccio di Buoninsegna est perceptible à travers l’élégance de l’ensemble, il n’y a pas lieu de douter que la leçon de Giotto, dont il a eu l’occasion d’admirer les fresques d’Assise, n’a pas été oubliée. C’est est fini, ici, du statisme et de la frontalité des figures peintes. Dorénavant, celles-ci se meuvent plus librement dans l’espace et optent pour des attitudes où un certain mouvement s’affirme, des attitudes plus fluides, vues le plus souvent de trois quarts et donc aptes à se mouvoir l’espace disponible de la représentation.

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[1] Chacun d’eux porte le symbole distinctif grâce auquel il est infailliblement reconnaissable : Pierre, à gauche, porte deux clés surdimensionnées et Paul, une longue épée, si longue que la taille du compartiment ne suffit pas à la contenir.

[2] Carlo Volpe considérait cet ovale parfait comme le début du chemin qui conduirait rien moins qu’à Piero della Francesca. (Carlo Volpe, Proposte per il problema di Pietro Lorenzetti, in « Paragone », 23, II, pp. 13-26).

[3] Giusto (Juste) est le co-patron, avec Clément de Volterra, de cette même ville. Voir « Iconographie des principaux saints ».

[4] Littéralement : « de bas en haut ».

[5] BECCHIS 2012, p. 132.

[6] Pietro Lorenzetti, Polittico della pieve di Arezzo.

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