Duccio di Buoninsegna, “Prière au Jardin”

Repères 17 et 18 : “Prière au Jardin” et “Arrestation du Christ“.

Duccio di Buoninsegna (Sienne, vers 1260 – vers 1318/19)

Orazione nell’orto (Prière au Jardin des oliviers)

Compartiment du revers de la Maestà, tempéra sur panneaux, 51 x 77 cm.

Provenance : Cathédrale de Santa Maria Assunta, Sienne.

Sienne, Museo dell’Opera del Duomo.

Nous voici parvenu devant l’une des trois scènes cruciales de la Passion du Christ, que Duccio magnifie en lui donnant, à l’instar des deux autres que sont l’Arrestation et la Crucifixion, une largeur sensiblement supérieure à celle de l’ensemble des autres panneaux du polyptyque, c’est-à-dire une importance accrue. C’est le moment où, après en avoir manifesté l’intention, le Christ s’est rendu, accompagné de ses disciples, au Jardin de Gethsemani pour y prier avant de subir la longue agonie qu’il sait lui être promise.

Tous les éléments de la narration rapportée par les trois évangiles synoptiques sont rassemblés dans l’image ; un regard mobile de la part du spectateur permet une sorte de lecture – non linéaire – des divers moments qui composent la représentation. Suivant l’ordre de la narration, nous assistons d’abord, à gauche, à la recommandation faite par Jésus à Pierre, Jean et Jacques le mineur, de demeurer à distance et de veiller sur lui (“mon âme, leur a-t-il confié, est triste jusqu’à la mort”). Puis après s’être éloigné d’eux “environ d’un jet de pierre, et s’étant mis à genoux”, il entre en prière ; c’est le moment du drame le plus intense, celui où, éprouvant les affres de la mort, “étant en agonie, il [pria] plus instamment ; et il lui vint une sueur comme des grumeaux de sang, qui tombaient sur la terre” [1] ; il prononce alors les sublimes paroles : “Mon Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi. Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux” [2] ;  C’est alors qu’apparut l’ange venu du ciel pour le réconforter, ainsi que nous l’apprend Luc (Lc 22, 42). Et nous pouvons à notre tour constater également la présence de l’ange, dans l’angle supérieur droit de l’œuvre.

En même temps que nous continuons à balayer la scène du regard, Jésus revient vers ses disciples qu’il trouve endormis, contrairement aux recommandations qu’il leur a prodiguées, et leur en fait le reproche : “[…] Ainsi vous n’avez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation; car l’esprit est prompt, mais la chair est faible.” [3] Après quoi, il “s’éloigne une seconde fois”, “[fait] la même prière”, qu’il achève dans des termes bouleversants, qui signent son acceptation : “Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe passe loin de moi sans que je la boive, que ta volonté soit faite.” [4]

Revenant enfin vers ses compagnons qu’il trouve une nouvelle fois endormis, il conclut la scène en des termes qui annoncent celle qui va suivre : “Levez-vous, allons ; voici, celui qui me livre s’approche.” [5] Dans un instant, Judas l’embrassera pour le désigner aux sbires.

Outre l’intelligence de la mise en scène visuelle élaborée par Duccio, on appréciera celle avec laquelle il transpose la représentation d’un paysage dans l’œuvre selon un principe que Cennino Cennini transcrira, à son tour, sous la forme d’un conseil écrit, un siècle plus tard, dans son Traité de l’Art : “Si tu veux acquérir un bon style pour les montagnes et qu’elles paraissent naturelles, prends de grandes pierres ayant l’aspect de rochers et non polies ; et reproduis-les, d’après nature, en mettant les lumières et l’ombre, comme ton système te le permet”. [6] Dans ce paysage de montagne aride, six arbres ponctuent l’espace et contribuent à le singulariser. Il s’agit de permettre au spectateur de reconnaître les lieux lorsqu’il assistera à la scène dramatique de l’Arrestation dans le panneau suivant.

[1] Luc (Lc 22, 44).

[2] Mt 26, 39. Marc (Mc 14, 36) rapporte ces mêmes paroles dans des termes très proches : “Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.” Jean dit la même chose dans une forme un peu différente : “Père, si tu voulais éloigner cette coupe de moi ! toutefois, que ma volonté ne se fasse point, mais la tienne.”

[3] Matthieu (Mt 26, 40-41).

[4] Matthieu (Mt 26, 42).

[5] Marc (Mc 14, 42).

[6] Cennino Cennini, Il Libro dell’Arte (éd. C. Déroche), p. 180 : “La manière de reproduire une montagne d’après nature.”