
Ambrogio Lorenzetti (Sienne, né vers 1290 – documenté de 1319 à 1348)
Allegorie del Buon e del Cattivo Governo e loro Effetti in Città e in Campagna (Allégories du Bon et du Mauvais Gouvernement et leurs Effets dans la Ville et dans la Campagne), 1338-1339.
Fresque [1]Le terme de fresque est à prendre ici dans son acception la plus large (et abusive) de vaste peinture murale. En effet, Lorenzetti n’a pas peint son cycle selon la technique de la fresque (a buon fresco), mais selon la technique de la détrempe (a tempera). Pour être précis, le cycle visible aujourd’hui est peint a tempera, avec de nombreuses retouches réalisées à fresque … Poursuivre, 200 x 3650 cm.
Inscriptions :
- (sous la fresque de l’Allégorie du Bon Gouvernement) : « AMBROSIUS . LAURENTII . DESENIS . HIC PINXIT . UTRINQVE[…] » [2]« Ambrogio de Lorenzo de Sienne a peint ici de part et d’autre […] » (signature de l’artiste).
- Les autres inscriptions, cartels et cartouches sont retranscrits dans les articles détaillant les différentes parties du cycle.
Provenance : In situ.
Sienne, Palazzo Pubblico, Sala dei Nove.

« Nel palagio di Siena è dipinto di sua mano la pace e la guerra, evvi quello s’appartiene alla pace e come le mercatanzie vanno con grandissima sicurtà, e come le lasciano ne’ boschi, e come ei tornano per esse. E le storsioni si fanno nella guerra stanno perfettamente. » [3]Lorenzo Ghiberti, I Commentari (v. 1452-1455), éd. Ottavio Morisani, Naples, Ricciardi, 1948 (« Commentario secondo »).
Le cycle du Bon et du Mauvais Gouvernement
Les Neuf ont commandé la décoration de la salle dans laquelle ils tenaient leurs réunions à Ambrogio Lorenzetti. Le peintre y a travaillé (en attestent divers documents, notamment des paiements) entre février 1338 et mai 1339. Quinze mois pour réaliser 70 m2 de fresque suppose un travail régulier et intense, en dépit de l’aide conséquente que pouvait apporter l’atelier. Le programme était forcément imposé et contraignant, comme on le comprend pour une œuvre placée dans un endroit aussi stratégique.
Bien avant que Ghiberti, au milieu du XVeme siècle, ait qualifié Lorenzetti de « savant peintre, homme d’une grande intelligence » et, un siècle plus tard, Vasari de « gentiluomo e filosofo », Ambrogio avait de son vivant la réputation d’être un artiste mental et intellectuel qui réfléchissait à des solutions innovantes pour représenter des concepts difficiles à saisir (l’Annonciation de Montesiepi en est un autre exemple spectaculaire).
Malgré cela, il est fort probable qu’il ait été conseillé par des érudits, juristes et philosophes de sa connaissance, pour construire la cohérence de l’ensemble et élaborer avec ce cycle le premier programme iconographique essentiellement politique et profane, avec pour objectif d’éduquer les foules et de rappeler aux puissants leurs obligations.
Le programme iconographique
Que s’agit-il de représenter dans cette salle où siège le gouvernement de Sienne et où passent ambassadeurs et requérants ? Il s’agit de montrer sur quels principes vertueux doit s’appuyer un bon gouvernement et les conséquences, politiques et sociales, des actions d’un gouvernement qui œuvre pour le bien commun de tous.
A n’en pas douter, la chose est plus facile à formuler avec des mots qu’à représenter sur une surface plane ! Comme ses prédécesseurs et ses contemporains, selon une pratique consacrée à Sienne, Lorenzetti intègre l’écriture dans l’image. Les inscriptions, cartels et cartouches sont nombreux. Dans le même temps, il veille à ce que les illettrés qui seront amenés à traverser cette salle puissent en comprendre le sens, grâce à de nombreux symboles concrets et explicites qu’il utilise toujours à bon escient et avec un sens poétique (qui est une autre caractéristique de la peinture siennoise de cette époque) toujours sensible et émouvant.
Pour comprendre le sens de cette commande, il faut se replacer dans le contexte du Moyen Âge, période au cours de laquelle les populations avaient en permanence à l’esprit la fragilité de la condition humaine à travers trois fléaux : la guerre (entre communes et factions rivales), la maladie (la peste principalement qui faisait régulièrement des ravages), la famine due aux mauvaises récoltes (notamment en 1328), les trois fléaux étant d’ailleurs souvent liés.
Sienne était en proie à une autre appréhension dont l’avènement pouvait remettre en cause tout l’édifice du régime en place : c’est que les principes qui sous-tendaient le bon fonctionnement de la République puissent voler en éclat et qu’un tyran prenne le pouvoir et renverse l’équilibre fragile du fonctionnement des institutions. La bataille rangée entre les Salimbeni et les Tolomei en 1315, la révolte des bouchers et des notaires de 1318 contre le gouvernement, la menace que le condottiere gibelin Castruccio Castracani prenne le pouvoir en 1328 (menace évitée de justesse par sa mort soudaine), avaient constitué autant de coups de semonce.
Si on garde en tête ces éléments, le cycle apparaît d’une lisibilité immédiate. Il l’était pour tous (les dirigeants, les citoyens, y compris les illettrés), au Trecento et dans les siècles qui ont suivi. Un analphabète comprenait parfaitement les symboles utilisés par le peintre. De plus, il entendait souvent parler des peintures de la Salle des Neuf. Par exemple, il est arrivé que tel discours de Saint Bernardin de Sienne sur la place du Campo y renvoie, un siècle après leur création.
La structure générale du cycle se lit comme suit :
- sur un mur de 200 x 700 cm, au nord, figure une allégorie, celle du Bon Gouvernement. Elle contient de nombreuses figures allégoriques dont il va s’agir de dévoiler le sens et surtout la logique d’interactions entre elles
- un mur de 200 x 1440 cm, à l’est, sur lequel figurent les effets bénéfiques de l’action du gouvernement (les Neuf) dans la ville et dans la campagne. Les nombreuses scènes qu’on y voit sont des scènes de la vie réelle et la plupart du temps sont immédiatement intelligibles
- un mur de 200 x 1440 cm, à l’ouest, négatif des deux précédents, représente ce qu’est capable de produire un gouvernement qui ne respecte pas les principes de justice. On y voit, comme pour le Bon Gouvernement, une allégorie et des effets désastreux dans la ville et dans la campagne.
Répartion des fresques sur les trois parois
- Mur Nord :
- Mur Est :
- Mur Ouest :
Chacune des trois parois est ornée d’une frise qui court horizontalement sur les bords inférieurs et supérieurs des fresques. Ces frises incluent trente médaillons quadrilobés qui accompagnent et renforcent le sens des scènes peintes au registre principal.
Principaux ouvrages consultés
- DOUGLAS, Robert Langton, Histoire politique et sociale de la République de Sienne. Sienne, 1902 et 1926.
- DONATO, Maria Monica, « Il Pittore del Buon Governo », dans Chiara Frugoni (dir.), Pietro e Ambrogio Lorenzetti. Florence, Le Lettere, 2010.
- BOUCHERON, Patrick, Conjurer la Peur, Sienne 1338. Paris, Seuil, 2013.
- BAGNOLI, Alessandro, BARTALINI, Roberto, SEIDEL, Max (dir.), Ambrogio Lorenzetti (cat. d’exp.). Cinisello Balsamo (Milan), Silvana Editoriale, 2017.
Notes
1↑ | Le terme de fresque est à prendre ici dans son acception la plus large (et abusive) de vaste peinture murale. En effet, Lorenzetti n’a pas peint son cycle selon la technique de la fresque (a buon fresco), mais selon la technique de la détrempe (a tempera). Pour être précis, le cycle visible aujourd’hui est peint a tempera, avec de nombreuses retouches réalisées à fresque lors des diverses restaurations, notamment celle de 1492 (voir Patrick Boucheron). |
---|---|
2↑ | « Ambrogio de Lorenzo de Sienne a peint ici de part et d’autre […] » (signature de l’artiste). |
3↑ | Lorenzo Ghiberti, I Commentari (v. 1452-1455), éd. Ottavio Morisani, Naples, Ricciardi, 1948 (« Commentario secondo »). |
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.