
Lippo Vanni (Sienne, actif entre 1340 et 1375)
Annunciazione (Annonciation), v. 1360-1370.
Fresque.
Inscriptions :
- (dans le phylactère de l’archange) : « [S]P[IRITU]S S[AN]C[TU]S SUP[ER]VENIET I[N] TE ET VIRT[US] ALTI/S[S]IM[I] OBU[M]/BRA/BIT TIBI » [1]Spiritus sanctus superveniet in te et Altissimi obumbrabit tibi (« L’Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre »). Évangile de Luc (Lc 1, 32)..
- (dans le phylactère de la Vierge) : « ECCE ANCILLA D[OMI]NI FIAT » [2][…] ecce ancilla Domini : fiat [mihi secundum verbum tuum et discessit ab illa angelus] (« […] voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. Alors l’ange la quitta ».). Évangile de Luc (Lc 1, 38)..
Provenance : In situ.
Santa Colomba (Monteriggioni), Eremo di San Leonardo al Lago.
Le format du support mural est rendu complexe par l’architecture et, en particulier, par la présence d’une ouverture destinée à faire entrer la lumière dans le chœur de l’édifice, qui sépare la paroi en deux parties égales. Créant un fort effet de contrejour, la lumière qui provient de cette fenêtre a pour effet d’aveugler quelque peu le spectateur qui regarde dans cette direction, pas assez, malgré tout, pour l’empêcher de percevoir l’événement figuré dans la pénombre où ont été renvoyées les images peintes. Les principaux protagonistes de l’Annonciation sont là, distribués de part et d’autre de l’ouverture : c’est l’instant du colloque entre l’ange et la Vierge au cours duquel doit s’opérer le mystère de l’Incarnation, le plus grand des mystères divins si l’on se place d’un point de vue chrétien.
Représenter un aussi grand mystère que celui-ci est un défi qu’ont relevé, avec plus ou moins de génie, des générations de peintres, et il est impossible, devant cette œuvre, de ne pas avoir présent à l’esprit le coup de maître absolu réalisé par Ambrogio Lorenzetti avec l’Annonciation peinte dans la chapelle de Montesiepi une quarantaine d’années plus tôt. Comme à Montesiepi, l’Annonciation occupe ici la place d’honneur, « conformément à la tradition siennoise, la première à avoir dédié des retables exclusivement à ce sujet [3]CARLI 1969, p. 9. ». Plusieurs variantes significatives distinguent pourtant les deux œuvres, sur le plan iconographique comme d’un point de vue sémantique. L’archange, tout d’abord : même s’il plie insensiblement les genoux, il est représenté en pied, un phylactère à la main sur lequel figure, non pas les paroles de salut plus habituelles dans ce contexte (absentes chez Ambrogio) mais la réponse faite aux interrogations formulées par la Vierge un instant plus tôt [4]Marie vient d’interroger Gabriel : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d`homme ? ». Évangile de Luc (Lc 1, 34).. Autant dire que l’entretien est déjà bien avancé, contrairement à ce que les mouvements du manteau de l’ange, encore agités par on ne sait quel voyage, laissent entendre.
Une même contradiction, qui n’est, ici également, qu’apparente, se voit dans la figure de Marie. Ni assise, ni vraiment debout, elle est encore en mouvement entre ces deux positions. Surprise par l’arrivée de l’ange, est vient de se lever brusquement et son mouvement n’est pas achevé. Alors qu’elle s’aide de la main gauche appuyée sur le pupitre, la droite, qu’elle pose sur sa poitrine, accompagne les paroles d’acceptation qu’elle prononce : « ecce ancilla Domini : fiat … ». Comme si le temps était privé de durée, ou comme si cette durée se confondait dans un même instant, les deux figures se situent à la fois au début et à la fin d’un entretien au cours duquel des propos auront été échangés et un mystère se sera accompli, selon deux temporalités pourtant inconciliables. Un troisième personnage intervient dans cette contraction temporelle étrange et garante de l’accomplissement sous nos yeux, d’un mystère que la foi seule rend concevable. Le geste de Dieu en direction de la Vierge vient conclure l’accomplissement d’un événement dont le caractère inconcevable est le propre du mystère. Sans doute l’effet d’éblouissement dû à la lumière qui frappe les yeux du spectateur n’est-il pas fortuit dans pareil contexte. Au contraire, ce relatif aveuglement est, d’une certaine manière, la meilleure image possible d’un événement miraculeux impossible à représenter.

Le rôle que joue la fenêtre (qui a fait l’objet de nombreux commentaires, parfois contradictoires, depuis une cinquantaine d’années [5]Voir, notamment : Eve Borsook, « The frescoes at San Leonardo al Lago », Burlington Magazine / Ed. Benedict Nicolson, 98, Londres, 1956, pp. 351-358 ; Enzo Carli, Lippo Vanni a San Leonardo al Lago. Firenze, Adam, 1969 ; Daniel Arasse, « La logique d’Ambrogio Lorenzetti », dans L’Annonciation italienne : une histoire de perspective. Paris, … Poursuivre) ne s’arrête pas là. Bien au contraire, cette fenêtre prend une part essentielle dans la tentative exceptionnelle – rappelons que vous sommes dans les années 1360-1370 ! – de représenter en perspective les lieux dans lesquels interagissent les acteurs de la scène : représentation, nous l’avons vu, étroitement liée à la réalité de la structure de la paroi peinte, dont l’étendue est interrompue au centre par la présence de la fenêtre, et plus encore, par l’image de l’architecture fictive qui apparaît dans l’embrasure de cette dernière, ajoutant un effet de réalité par l’articulation des deux espaces où se tiennent respectivement Gabriel et Marie, comme si ces espaces soigneusement construits selon une perspective encore empirique communiquaient entre eux grâce aux ouvertures simulées. Si cette utilisation de la surface de l’embrasure à des fins figuratives n’est pas nouvelle dans la peinture siennoise [6]Nous avons déjà noté l’usage qu’Ambrogio Lorenzetti, le premier, en a fait dans l’Annonciation de la Rotonde de Montesiepi., elle présente à San Leonardo un développement plus explicite encore (peut-être même trop explicite), qu’Enzo Carli qualifie, à raison, de « tour de force » compte tenu d’un contexte historique qui anticipe de plusieurs décennies l’« invention » de la perspective à Florence, et à propos duquel Daniel Arasse, à raison également, évoque a contrario une perte considérable de sens au regard de l’idée fulgurante qu’il prête à Ambrogio dans la passionnante analyse qu’il donne de l’œuvre [7]Daniel Arasse, « La logique d’Ambrogio Lorenzetti », op. cit., pp. 59-92.. Si Lippo n’a sans doute pas entièrement compris la portée du projet d’Ambrogio, il n’en demeure pas moins qu’il parvient cependant à développer, grâce aux moyens dont il se dote pour figurer un espace illusionniste, l’effet d’une spatialité, certes encore tâtonnante [8]On ne saurait trop insister sur le fait que cinquante années séparent l’œuvre des découvertes du début du XVe siècle en matière de représentation de l’espace et que les siennois font ici œuvre de précurseurs. (les lignes du fuite convergent imparfaitement), mais particulièrement adaptée à la narration de l’événement mystérieux. Cette narration trouve sa conclusion avec l’apparition, dans un tondo qui ne se plie aucunement aux exigences de la perspective [9]Faut-il s’étonner que les lois régissant l’image de la divinité soit pas identiques à celles qui permettent de figurer l’humanité dans la réalité prosaïque qui l’environne ?, de la figure en buste de l’Éternel que l’on voit adressant en direction de Marie une minuscule colombe d’or [10]Seul un petit fragment de cette colombe, dont l’or est noirci par le temps, est encore visible., image de l’Esprit-Saint évoqué par Luc dans l’Évangile dont il est l’auteur, et qui est aussi la source de l’iconographie de cette image.
Notes
1↑ | Spiritus sanctus superveniet in te et Altissimi obumbrabit tibi (« L’Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre »). Évangile de Luc (Lc 1, 32). |
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2↑ | […] ecce ancilla Domini : fiat [mihi secundum verbum tuum et discessit ab illa angelus] (« […] voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. Alors l’ange la quitta ».). Évangile de Luc (Lc 1, 38). |
3↑ | CARLI 1969, p. 9. |
4↑ | Marie vient d’interroger Gabriel : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d`homme ? ». Évangile de Luc (Lc 1, 34). |
5↑ | Voir, notamment : Eve Borsook, « The frescoes at San Leonardo al Lago », Burlington Magazine / Ed. Benedict Nicolson, 98, Londres, 1956, pp. 351-358 ; Enzo Carli, Lippo Vanni a San Leonardo al Lago. Firenze, Adam, 1969 ; Daniel Arasse, « La logique d’Ambrogio Lorenzetti », dans L’Annonciation italienne : une histoire de perspective. Paris, Hazan, 1999, pp. 59-92. |
6↑ | Nous avons déjà noté l’usage qu’Ambrogio Lorenzetti, le premier, en a fait dans l’Annonciation de la Rotonde de Montesiepi. |
7↑ | Daniel Arasse, « La logique d’Ambrogio Lorenzetti », op. cit., pp. 59-92. |
8↑ | On ne saurait trop insister sur le fait que cinquante années séparent l’œuvre des découvertes du début du XVe siècle en matière de représentation de l’espace et que les siennois font ici œuvre de précurseurs. |
9↑ | Faut-il s’étonner que les lois régissant l’image de la divinité soit pas identiques à celles qui permettent de figurer l’humanité dans la réalité prosaïque qui l’environne ? |
10↑ | Seul un petit fragment de cette colombe, dont l’or est noirci par le temps, est encore visible. |
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