Bartolo di Fredi (Sienne, v. 1330 – Massa, 1410)
Trionfo di Sant’Agostino sugli eretici (Triomphe de saint Augustin sur les hérétiques), 1384-1388.
Fresque.
Inscriptions :
- (phylactère de l’hérétique allongé à gauche) : «
- (phylactère de l’hérétique allongé à droite) : «
Provenance : In situ.
Montalcino, Abside de l’église de Sant’Agostino.
La scène révèle nécessairement un caractère complexe aux yeux d’un spectateur non averti ou indifférent au contexte historique et religieux de l’époque de son exécution. Ici, Bartolo di Fredi exploite cependant une iconographie consolidée, répétée à diverses reprises au cours du XIIIe siècle. Saint Augustin, représenté trônant avec un livre ouvert sur les genoux, désigne de la main des pages ouvertes sur lesquelles les écritures sont devenues aujourd’hui illisibles. À ses pieds, allongés dans deux directions opposées, gisent deux silhouettes d’hommes dont la tenue vestimentaire, selon un procédé typiquement médiéval, signale l’origine orientale : il s’agit de deux hérétiques symboliquement vaincus par la doctrine défendue par le saint. Les rouleaux d’écritures qu’ils serrent encore dans leurs mains sont également difficilement déchiffrables. Ces divers éléments ont donné à penser que l’iconographie de la scène pourrait être dérivée d’une autre fresque de grand format à la gloire de Thomas d’Aquin, autre Docteur de l’Église, peinte à la même époque par le florentin Andrea di Bonaiuto [1]Andrea di Bonaiuto ou Andrea Bonaiuti ou Andrea da Firenze (Florence, actif entre 1343 et 1377) : peintre. Son chef-d’œuvre est, à Florence, le cycle de fresques peint vers 1365 dans la salle capitulaire du couvent de Santa Maria Novella, appelée aujourd’hui Cappellone degli Spagnoli, cycle commandé comme œuvre de propagande idéologique dominicaine. sur la paroi de gauche de la Chapelle des Espagnols (fig. ci-dessous) à Santa Maria Novella (Florence). [2]Le format immense et l’appareil spectaculaire déployé à Florence ne dissimule pas l’identité commune de l’iconographie qui préside à chacune des deux scènes.

Dans l’église de Montalcino, debout aux côtés d’Augustin, se trouvent deux figures féminines, deux personnifications, la Théologie, d’une part, et la Philosophie, d’autre part. La première, accompagnée de l’aigle qui constitue son attribut iconographique, tourne son regard vers la Révélation symbolisée par un ange. La seconde est personnifiée par Bartolo di Fredi comme une femme dont les pieds sont sur terre et la tête dans le ciel, telle que le philosophe Boèce l’a conçue dans son De Consolatione philosophiae [3]La Consolation de Philosophie (lat. : De consolatione philosophiae) est un dialogue philosophique écrit par Boèce vers 524. Appartenant au genre littéraire de la consolation, il s’agit de l’une des premières grandes œuvres du Moyen Âge.. Dans le cas présent, il se peut que Bartolo ait exploité une représentation similaire illustrant un livre de Bartolomeo de’ Bartoli [4]Ce livre est dédié par l’auteur à Bruzio, fils de Luchino Visconti, nom francisé sous la forme de Lucien Visconti (Luchino Visconti [v. 1287 ou 1292 – Milan, 1349] : condottiere qui fut co-seigneur de Milan de 1339 à 1349 avec son frère Giovanni (Jean)., intitulé Canzone delle Virtù e delle Scienze (Cantique des Vertus et des Sciences [5]Le Cantique des Vertus et des Sciences est composé de deux parties écrites en rimes vulgaires. La première partie, composée de dix strophes, contient la description des Vertus. L’auteur, dans la première strophe, déclare son intention de décrire les filles de la Discrétion, mère des Vertus, et celles de la Docilité, mère des Sciences. La deuxième strophe comprend une invocation … Poursuivre). Le peintre peut cependant introduire quelques variantes, puisque, dans le cas présent, Augustin n’est plus à la fois l’évêque, le Docteur de l’Église et le fondateur de l’Ordre augustinien, mais seulement le théologien, véritable malleus haereticorum [6]Malleus haereticorum : le « marteau des hérétiques ». Surnom donné à Antoine de Padoue, au siècle, Fernando de Bulhoes, pourfendeur des mouvements qui se sont fait jour au cours du tumultueux XIIIe s., et que l’Église sur le point de se désagréger marqua du sceau infâme de l’hérésie.) engagé dans la défense de la « vérité » chrétienne.
Autour du trône augustinien apparaissent d’autres personnages nimbés de l’auréole des saints, lesquels, en se référant à une scène presque identique [7]Voir : Benedetto di Bindo, Trionfo di Sant’Agostino sugli eretici, peint dans la sacristie de la Cathédrale de Sienne. dans laquelle leurs noms sont inscrits, peuvent être identifiés comme étant les figures de Grégoire le Grand, Simplicianus, Prospero et Paolino, à gauche, et Ambroise, Remi de Reims, Bernard de Clairveau et Volusiano, à droite. Tous ces personnages ont en commun le fait d’avoir été évêques et d’avoir travaillé contre les hérésies.
Tel est bien le sujet qui est représenté dans l’œuvre. Celui-ci est étroitement articulé avec l’histoire d’une époque : entre le début du XIIe et celui du XIVe siècle, une vague d’hérésies populaires émergea dans la Chrétienté latine avant de décliner jusqu’à une extinction quasi complète. Ces hérésies « demeurèrent minoritaires et le plus souvent marginales, écrit Julien Théry [8]Julien Théry, « Les hérésies, du XIIe au début du XIVe siècle », dans Marie-Madeleine de Cevins et Jean-Michel Matz (dir.), Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449). Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, pp. 373-386.. Mais elles étaient des mouvements qui impliquaient une partie de la population laïque adonnée à des pratiques religieuses dissidentes” et “des mouvements qui impliquaient une partie de la population laïque adonnée à des pratiques religieuses dissidentes”, contrairement aux “rares ‘hérésies’ du haut Moyen Âge, après l’affirmation du christianisme catholique en Occident, [qui] n’avaient porté que sur des points de doctrine. […] Deux changements structurels expliquent le nouveau phénomène. D’une part, l’apparition à la faveur de la croissance économique de strates sociales intermédiaires, petite noblesse et, surtout, artisans et commerçants majoritairement urbains. D’autre part, la transformation de l’Église, à partir de la réforme grégorienne, en une institution radicalement séparée du reste de la société et dotée de pouvoirs considérables. Une partie importante du laïcat disposait désormais de ressources suffisantes pour s’occuper de religion ; elle se trouvait pourtant reléguée dans une situation de minorité et de passivité spirituelles, en raison du monopole absolu des clercs sur la médiation entre les hommes et Dieu. Outre cette frustration, certains groupes subissaient durement dans leur condition matérielle les effets de la nouvelle puissance ecclésiastique. Les trois régions de la Chrétienté où l’hérésie se manifesta le plus intensément – la Rhénanie, l’Italie centro- septentrionale et le Languedoc – étaient caractérisées par l’importance des temporels ecclésiastiques et par l’émiettement des pouvoirs séculiers. D’où une emprise de la théocratie plus forte qu’ailleurs. Dans ces régions, l’autorité des archevêques, évêques ou abbés était d’autant plus pesante et contestée qu’elle s’exerçait d’abord sous forme de domination politique. »
C’est bien une sorte de manifeste militant visant à consolider les positions de l’Église à travers l’un de ses défenseurs les plus autorisés, qu’il nous est donné de regarder par le biais du rébus qui vient d’être déchiffré. Reste, très détériorée, la fresque. Comme l’ensemble de celles qui demeurent encore lisibles sur les parois de l’abside de Sant’Agostino, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle dut être. Lacunaire et privée de consistance (l’essentiel de la pellicule de pigments colorés est perdu), elle semble avoir été exécutée en grisaille et apparaît dorénavant diaphane.
Notes
1↑ | Andrea di Bonaiuto ou Andrea Bonaiuti ou Andrea da Firenze (Florence, actif entre 1343 et 1377) : peintre. Son chef-d’œuvre est, à Florence, le cycle de fresques peint vers 1365 dans la salle capitulaire du couvent de Santa Maria Novella, appelée aujourd’hui Cappellone degli Spagnoli, cycle commandé comme œuvre de propagande idéologique dominicaine. |
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2↑ | Le format immense et l’appareil spectaculaire déployé à Florence ne dissimule pas l’identité commune de l’iconographie qui préside à chacune des deux scènes. |
3↑ | La Consolation de Philosophie (lat. : De consolatione philosophiae) est un dialogue philosophique écrit par Boèce vers 524. Appartenant au genre littéraire de la consolation, il s’agit de l’une des premières grandes œuvres du Moyen Âge. |
4↑ | Ce livre est dédié par l’auteur à Bruzio, fils de Luchino Visconti, nom francisé sous la forme de Lucien Visconti (Luchino Visconti [v. 1287 ou 1292 – Milan, 1349] : condottiere qui fut co-seigneur de Milan de 1339 à 1349 avec son frère Giovanni (Jean). |
5↑ | Le Cantique des Vertus et des Sciences est composé de deux parties écrites en rimes vulgaires. La première partie, composée de dix strophes, contient la description des Vertus. L’auteur, dans la première strophe, déclare son intention de décrire les filles de la Discrétion, mère des Vertus, et celles de la Docilité, mère des Sciences. La deuxième strophe comprend une invocation à Saint Augustin, dont œuvres déterminent les rubriques latines en charge de chaque stance du cantique. Les huit suivantes sont consacrées à la Théologie, la Prudence, la Force, la Tempérance, la Justice, la Foi, l’Espérance, la Charité. La première partie se termine par un adieu, précédé, dans le code du Musée Condé, d’un résumé sous la forme d’un arbre généalogique.
Les huit strophes de la deuxième partie décrivent les Sciences, c’est-à-dire la Philosophie, la Grammaire, la Dialectique, la Rhétorique, l’Arithmétique, la Géométrie, la Musique et l’Astrologie. Cette deuxième partie est également conclue par un adieu. Dans un codex enluminé conservé au Musée Condé (Chantilly), chacune des pages consacrées aux Vertus et aux Sciences est divisée en trois parties : dans la partie supérieure, est transcrite la définition de la Vertu ou de la Science extraite des œuvres de saint Augustin ; au milieu, figure la représentation de la Vertu ou de la Science traduite à l’aide de couleurs aquarellées ; dans la partie inférieure, enfin, on peut lire la stance dédiée à la Vertu ou à la Science elle-même. (Voir la reproduction intégrale de l’ouvrage dans Léon Dorez (a cura di), La Canzone delle Virtù e delle Scienze di Bartolomeo de’ Bartoli da Bologna. Bergamo, 1904). |
6↑ | Malleus haereticorum : le « marteau des hérétiques ». Surnom donné à Antoine de Padoue, au siècle, Fernando de Bulhoes, pourfendeur des mouvements qui se sont fait jour au cours du tumultueux XIIIe s., et que l’Église sur le point de se désagréger marqua du sceau infâme de l’hérésie. |
7↑ | Voir : Benedetto di Bindo, Trionfo di Sant’Agostino sugli eretici, peint dans la sacristie de la Cathédrale de Sienne. |
8↑ | Julien Théry, « Les hérésies, du XIIe au début du XIVe siècle », dans Marie-Madeleine de Cevins et Jean-Michel Matz (dir.), Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449). Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, pp. 373-386. |
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