‘Maître de l’Observance’ (peintre ou groupe de peintres actif durant le second quart du XVe siècle, auquel est attribué un corpus d’œuvres réunies en 1942 par Alberto Graziani [1]Alberto Graziani, « Il Maestro dell’Osservanza (1942) », dans Propozioni, II, 1948, pp. 75-87 (réédité dans Proporzioni. Scritti e Lettere di Alberto Graziani, a cura di T. Graziani Longhi, 2 vol., Bologne, 1993. à partir de caractéristiques stylistiques communes ou approchantes)
Die Messe des Heiligen Antonius Abbas (La Messe de Saint Antoine Abbé), v. 1430-1436.
Tempéra, argent et or sur panneau, 76 x 59,3 cm.
Provenance : Collection de Sir Coutts Lindsay, Angleterre. [2]L’image était considérée comme l’œuvre de Benozzo Gozzoli lorsqu’elle se trouvait dans la collection de Sir Coutts Lindsay en Angleterre. Elle a été identifiée par Langton Douglas comme une scène de Sassetta de la Vie de Saint François, et vendue à Berlin en 1910 (Schottmüller 1910, p. 148). L’objet a été correctement identifié par Waterhouse (1931, p. 108), … Poursuivre
Berlin, Staatlische Museum, Gemäldegalerie.
A l’intérieur d’une église dont la ressemblance avec la cathédrale de Sienne a été maintes fois soulignée [3]Schottmüller, 1910, p. 147 ; Waterhouse 1931, p. 108 ; John Pope-Hennessy, 1939, p. 73 ; Cesare Brandi, 1949, p. 83 ; Enzo Carli, 1957, p. 104), mais ce n’est qu’en 1984 que le caractère d’exactitude de la vue a été établi (« The church interior closely reflects Siena cathedral; view from the north aisle of the choir, past the side of the high altar, towards the rear wall of the … Poursuivre, un élégant jeune homme vêtu à la mode de son temps et portant l’auréole des saints assiste à la messe. Le prêtre, qui officie accompagné d’un enfant de chœur, tourné le dos à l’assistance et s’est penché pour lire le texte inscrit sur l’épais volume ouvert devant lui sur l’autel. Sur la droite, à l’arrière-plan, on distingue la silhouette plus frêle d’un adolescent agenouillé en prière. Lui aussi est auréolé. Sa ressemblance avec le jeune homme qui se tient debout face à l’autel est frappante : à l’évidence, le peintre leur a donné à tous les deux un vêtement identique et de même couleur brune afin d’assurer au spectateur la possibilité d’identifier non pas deux personnages mais un seul et même acteur principal représenté dans deux temporalités distinctes. Ce personnage principal, le futur saint Antoine, est représenté deux fois, à deux époques différentes de la narration : d’abord enfant, priant à genoux à l’arrière-plan, puis jeune homme, écoutant debout l’Évangile lu par le prêtre que l’on voit de dos, penché sur le volume posé sur l’autel.
À en croire le récit d’Athanase d’Alexandrie, la piété de saint Antoine a été grande dès son plus jeune âge. [4]« […] ses parents étaient nobles et possédaient une fortune assez considérable ; comme ils étaient chrétiens, ils l’élevèrent chrétiennement. Dès sa plus tendre enfance, il demeura avec ses parents, ne connaissant qu’eux et la maison paternelle ; lorsqu’il fut plus avancé en âge, il ne voulut pas étudier les belles-lettres pour ne pas avoir de communications … Poursuivre Comme le résume Domenico Cavalca dans une adaptation populaire du texte d’Athanase datant du quatorzième siècle, « aussi bien à la maison qu’à l’église avec son père et sa mère, [Antoine] pratiquait la prière et remerciait Dieu de tout son cœur et son amour. » [5]Domenico Cavalca, Vite dei santi padri (v. 1330), chapitre I. « Traduction des Vitae Patrum, les Vite dei santi constituent « le recueil de la plus ancienne littérature monastique orientale, formé autour du noyau de la Vie d’Antoine, des biographies de saint Jérôme et des “dictons” des Pères du désert. Le livre constituait un modèle de comportement pour … Poursuivre C’est le sujet même de la scène que l’on peut voir à l’arrière-plan : l’enfant est représenté agenouillé devant le maître-autel de l’église.
Au premier plan, le saint apparaît une seconde fois. La scène se passe vingt six mois après la mort de ses parents, alors qu’Antoine a dorénavant atteint l’âge de dix-huit ans. Tandis qu’il s’est rendu à l’église, il est saisi par les paroles prononcées lors de la lecture de l’Évangile selon Matthieu : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu as, donne aux pauvres et suis-moi. » [6]« Si vis perfectus esse, vende quæ habes, da pauperibus et sequere me. » Mt 19, 21, Ayant entendu ces mots « comme s’ils étaient dits par Dieu, non par un homme, et s’imaginant que Dieu les lui adressait spécialement, [Antoine] reçut ce commandement droit au cœur. » [7]Domenico Cavalca, op. cit., chapitre I. Athanase, plus disert, écrit que, « après la mort de ses parents, [Antoine] resta seul avec une sœur en bas-âge ; il avait alors dix-huit à vingt ans et se chargea lui-même du soin de gouverner sa maison et d’élever sa sœur. Six mois ne s’étaient pas encore écoulés après la mort de son père et de sa mère, lorsqu’un jour, se rendant … Poursuivre
Saint Antoine se tient dans la chapelle de Saint Ansano, à gauche du maître-autel. Au-delà se trouve le chœur et l’énorme fenêtre circulaire de l’abside. Au XVe siècle, la chapelle de saint Ansano était l’une des plus vénérées de la ville. Elle contenait la célèbre Pala di Sant’Ansano peinte par Simone Martini et Lippo Memmi (maintenant aux Offices, Florence), à laquelle saint Bernardin faisait allusion dans l’un de ses sermons en des termes qui impliquent la familiarité de son auditoire avec elle. Les piliers rayés, avec leurs chapiteaux feuillagés et leurs blocs d’imposte allongés, les trois marches séparant le chœur de la nef, la corniche massive de l’abside et la position post-1375 du maître-autel, occupé par la Maestà de Duccio, sont décrits simplement mais efficacement.
Une vue topographique de ce type employée comme décor d’un récit religieux est très inhabituelle dans la peinture italienne à cette date : le parallèle le plus proche est peut-être le Christ Healing a Lunatic and Judas Receiving Thirty Pieces of Silver (Christ guérissant le garçon lunatique et Judas recevant trente deniers) de Francesco d’Antonio dans la collection John G. Johnson du Philadelphia Museum of Art, qui offre une vision quelque peu fantaisiste de l’intérieur de la cathédrale de Florence (Shell 1965, pp. 465-69). Ce n’est pas avant 1483 que la cathédrale de Sienne a été représentée avec plus de précision et d’audace : elle a servi de décor à un événement contemporain, sur une couverture de biccherna réalisée, semble-t-il, par un maître de la perspective, Pietro Orioli. Dans la scène de Saint Antoine à la messe, il semble que l’artiste ait commencé par poser un schéma en perspective selon un système approximatif à un seul point de fuite, courant en Toscane au milieu des années 1430 – celui adopté par Sassetta dans la prédelle de la Madone de la neige de 1430-32. L’examen de l’image à la lumière infrarouge montre que les carreaux du sol étaient à l’origine posés de sorte qu’ils reculaient vers une zone située au niveau de l’épaule gauche du prêtre.
Les fuyantes ont été déterminées à partir d’un point situé le long du bord droit du panneau, à la hauteur de la quatrième bande noire de la colonne. Cependant, cette construction n’a été utilisée que comme guide général pour peindre la scène, et ni le motif géométrique qui orne le sol ni les divers détails architecturaux ne s’y conforment. Il en résulte un décalage entre l’ambition de la structure en perspective et les résultats obtenus. Le Maître de l’Osservanza crée une impression d’espace non par l’application rigoureuse d’une théorie de la vision, mais par l’accumulation de détails finement observés, et il évite notamment les vues audacieuses du retable de l’Arte della Lana de Sassetta.
Un certain nombre de changements significatifs dans la composition est documentés par le biais des incisions visibles dans la préparation du gesso. La chapelle devait être encadrée d’une entrée voûtée semblable à celle de la miniature de Fitzwilliam, tandis que l’autel devait être orné d’un polyptyque gothique (de l’Annonciation ?). Dans les deux cas, une solution plus simple a été adoptée, par laquelle les motifs clés gagnent par leur isolement : les motifs délicats d’argent émaillé du vitrail sont joués contre le mur stérile, et la tête du prêtre est vue de profil perdu contre la croix d’autel dorée. L’effet de ces détails est de suggérer une expérience remémorée avec une clarté de vision, et raffinée par une utilisation essentiellement irréelle et exquise de la couleur.
Notes
1↑ | Alberto Graziani, « Il Maestro dell’Osservanza (1942) », dans Propozioni, II, 1948, pp. 75-87 (réédité dans Proporzioni. Scritti e Lettere di Alberto Graziani, a cura di T. Graziani Longhi, 2 vol., Bologne, 1993. |
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2↑ | L’image était considérée comme l’œuvre de Benozzo Gozzoli lorsqu’elle se trouvait dans la collection de Sir Coutts Lindsay en Angleterre. Elle a été identifiée par Langton Douglas comme une scène de Sassetta de la Vie de Saint François, et vendue à Berlin en 1910 (Schottmüller 1910, p. 148). L’objet a été correctement identifié par Waterhouse (1931, p. 108), qui l’a également mise en relation avec les autres panneaux de la série. |
3↑ | Schottmüller, 1910, p. 147 ; Waterhouse 1931, p. 108 ; John Pope-Hennessy, 1939, p. 73 ; Cesare Brandi, 1949, p. 83 ; Enzo Carli, 1957, p. 104), mais ce n’est qu’en 1984 que le caractère d’exactitude de la vue a été établi (« The church interior closely reflects Siena cathedral; view from the north aisle of the choir, past the side of the high altar, towards the rear wall of the choir with the round window. One of the side pinnacles of the Maestà is visible. » Kees van der Ploeg, Art, Architecture, and Liturgy : Siena Cathedral in the Middle Ages, Groningen, Egbert Forsten, 1993, p. 147). |
4↑ | « […] ses parents étaient nobles et possédaient une fortune assez considérable ; comme ils étaient chrétiens, ils l’élevèrent chrétiennement. Dès sa plus tendre enfance, il demeura avec ses parents, ne connaissant qu’eux et la maison paternelle ; lorsqu’il fut plus avancé en âge, il ne voulut pas étudier les belles-lettres pour ne pas avoir de communications avec les autres enfants ; tout son désir était, comme il est dit de Jacob, d’habiter en homme simple dans sa maison (Gn 25, 27). Il allait cependant avec ses parents dans le temple du Seigneur. On ne voyait point en lui la négligence d’un enfant, et il ne devint pas méprisant et orgueilleux en grandissant, mais il était soumis à ses parents, attentif à la lecture des livres saints, et conservant dans son cœur les utiles leçons qu’il y trouvait. Quoique né dans une assez grande opulence, il n’importunait pas ses parents pour avoir une nourriture variée et somptueuse, il ne recherchait point les plaisirs de la table, mais, content de ce qu’il trouvait, il ne demandait rien de plus. » Saint Athanase, Vie de saint Antoine (traduction littérale du texte grec par Charles de Rémondange), Mâcon, Imprimerie d’Émile Protat, 1874. Pour une édition récente : Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine (G. J. M. Bartelink éd.), Paris, Les éditions du Cerf, 1994, pp. 369-371. |
5↑ | Domenico Cavalca, Vite dei santi padri (v. 1330), chapitre I. « Traduction des Vitae Patrum, les Vite dei santi constituent « le recueil de la plus ancienne littérature monastique orientale, formé autour du noyau de la Vie d’Antoine, des biographies de saint Jérôme et des “dictons” des Pères du désert. Le livre constituait un modèle de comportement pour les religieux et surtout pour les laïcs, hommes et femmes, principalement regroupés en confréries ou dans d’autres mouvements de pénitence ; mais il a par la suite attiré l’attention des esprits religieux les plus exigeants entre le XIIIe et le XVe siècle, impliquant même l’aristocratie des cours Visconti et Aragonaise à l’époque humaniste. A la fascination narrative des « histoires du désert » s’ajoutait une sorte d’intériorisation de l’ermitage, l’idée que le désert et la “vie angélique” devaient être interprétés comme une réalité de la conscience. Les histoires d’ermites orientaux sont une partie importante de l’imaginaire italien, comme le confirment les variations narratives des grands écrivains (de Pétrarque à Boccace en passant par le Tasse), l’utilisation “exemplaire” très fréquente dans la prédication, les innombrables interprétations d’artistes (des enlumineurs aux peintres de Thébaïdes jusqu’à l’extraordinaire fresquiste du célèbre mur des “Anacoreti” au cimetière de Pise). Les Vies, immédiatement réécrites en vernaculaire florentin, connurent à ce titre un énorme succès jusqu’au milieu du XIXe siècle, date à laquelle elles furent publiées pour la dernière fois en entier par Sorio et Racheli (Lloyd di Trieste, 1858). » Abstract de l’édition, par Carlo Delcorno, des Vite dei santi Padri de Domenico Cavalca, Florence, Edizioni del Galluzzo per la Fondazione Ezio Francheschini, Archivio Romanzo, 15, 2009. » |
6↑ | « Si vis perfectus esse, vende quæ habes, da pauperibus et sequere me. » Mt 19, 21, |
7↑ | Domenico Cavalca, op. cit., chapitre I. Athanase, plus disert, écrit que, « après la mort de ses parents, [Antoine] resta seul avec une sœur en bas-âge ; il avait alors dix-huit à vingt ans et se chargea lui-même du soin de gouverner sa maison et d’élever sa sœur. Six mois ne s’étaient pas encore écoulés après la mort de son père et de sa mère, lorsqu’un jour, se rendant à l’église suivant sa coutume, il méditait le long du chemin et repassait dans son esprit comment les apôtres avaient tout abandonné pour suivre le Sauveur (Mt 19, 27), et comment ceux dont il est parlé dans les Actes, vendant ce qu’ils possédaient, le portaient aux pieds des apôtres pour le distribuer aux indigents (Ac 4, 34-35), et quelle grande espérance leur est réservée dans les cieux. En faisant ces réflexions, il entra dans l’église ; on lisait en ce moment l’Évangile, et il entendit le Seigneur qui disait au riche : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ; alors viens, suis-moi, et tu auras un trésor dans les cieux. (Mt 19, 20-21.) » Saint Athanase, op. cit. ; pour une édition récente du texte : Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine (G. J. M. Bartelink éd.), Paris, Les éditions du Cerf, 1994, pp. 369-371. |
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