Gilio di Pietro (documenté à Sienne entre 1247 et 1261, date de sa mort)
Madonna dei Mantellini (Madone des Mantellini), v. 1260-1270.
Tempéra et or sur panneau, 78 x 49 cm.
Inscriptions (à gauche de l’auréole de la Vierge) : « MP / Θ[V] » [1]« MP ΘU » : titulature abrégée du grec Μήτηρ τοῦ Θεοῦ (« Mère du Dieu incarné »), dont seules la première et la dernière lettre de chacun des deux mots grecs sont conservées.
Provenance : Église de San Niccolò al Carmine, Sienne. [2]Au milieu du XIIIe siècle, les Carmes placèrent la Madone des Mantellini sur le maître-autel de leur église.
Sienne, Pinacoteca Nazionale.
Le ‘Maître des Santi Cosma et Damiano‘ a de longue date été considéré comme l’auteur de cette Madone. Gilio di Pietro, quant à lui, est l’auteur assuré de la plus ancienne tablette de Biccherna connue à ce jour. [3]Aujourd’hui conservée à l’Archivio di Stato de Sienne, il s’agit de la seule œuvre dont l’attribution ait été rendue possible à l’aide d’un document d’archives (Biccherna 28, e, 3v) dans lequel on apprend que le Maestro Gilio di Pietro fut rémunéré cinq sous (cinque soldi). Grâce au travail de l’historien de l’art florentin Luciano Bellosi, l’attribution de la Madone des Mantellini à Gilio di Pietro semble aujourd’hui être généralement admise, même si elle est encore parfois discutée.
On ne trouve aucune mention de cette œuvre avant 1585, date à laquelle le peintre Francesco Vanni fut chargé de créer un retable destiné à inclure l’icône en son centre. [4]L’œuvre de Francesco Vanni est encore visible dans l’église de San Niccolò al Carmine, à Sienne. Selon Henk Van Os [5]Henk W. Van Os, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function (vol. I : 1215-1344), Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990, p. 37., il s’agit de l’un des premiers exemples d’une pratique caractéristique de la Contre-Réforme consistant à réutiliser d’anciens panneaux représentant une Madone, en particulier ceux qui avaient été intensément vénérés jusque-là.
Dans son ouvrage sur Cimabue, Luciano Bellosi [6]Luciano Bellosi, Cimabue, Milano, Electa, 1998 (Trad. française A. et M. Bresson-Lucas, Arles, Actes Sud, 1998), p. 36., avec un raffinement de détails observés au plus près de l’image, écrit : “Nous sommes depuis longtemps convaincu que la plus ancienne peinture connue d’une Biccherna [7]Biccherna désigne à la fois l’Office des finances de l’ancienne République de Sienne et le registre de comptabilité publique qui portait en couverture une illustration., celle de 1258, représentant le Camerlingue don Ugo, moine de San Galgano, est l’œuvre du Maître des Santi Cosma e Damiano. Malgré le mauvais état de la peinture, son étude approfondie – comme celle que nous avons pu mener aux Archives d’État de Sienne – permet de déceler les spécificités qui la mettent en étroit rapport avec ce maître. Ainsi, l’arcade sourcilière est beaucoup plus marquée et d’une perfection telle qu’elle semble dessinée au compas. La narine est comme séparée de l’arête nasale. La tâche rouge sur la joue se nuance en un dégradé lumineux qui s’égrène en petits coups de pinceaux au-dessous de l’œil. Et surtout, on peut rapprocher ces deux filaments blancs qui descendent en courbes parallèles après avoir remonté la rondeur de l’arcade zygomatique. les deux touches de blanc qui marquent la sclérotique sont constituées de cercles concentriques où la pupille pourrait rouler. Voilà des traits caractéristiques, les deux derniers notamment, du Maître de Santi Cosma e Damiano, qui se retrouvent en partie chez le Maître de Saint Martin. Ce dernier, d’une grande sensibilité, use du procédé avec plus de discrétion. La sclérotique, au milieu de ces cercles, produit en revanche une impression peu agréable chez le Maître des Santi Cosma e Damiano.”
La description du visage de don Ugo, moine de San Galgano, s’adapte parfaitement à l’œuvre qui nous préoccupe présentement, plus particulièrement à la technique de représentation du visage de la Vierge qui pourrait être reprise mots pour mots. La technique qui, littéralement, consiste à dessiner avec la couleur, se diffuse ici sur toute la surface de l’œuvre, à travers les méandres des plis des drapés, conférant à celle-ci une forme d’abstraction qui, in fine, en se situant à mille lieux de toute recherche de réalisme, convient parfaitement à ce type de représentation.

L’attitude de la Vierge présentant l’Enfant de sa main droite est dérivée du modèle de l’odigitria, souvent rencontré à Sienne. Reste que la figure de l’Enfant Jésus, dont la physionomie est aujourd’hui perçue comme problématique, heurte généralement un regard non averti : plus proche par ses formes d’un adulte en miniature que de celles d’un jeune enfant que l’on a pris l’habitude de souhaiter voir potelé comme un angelot, affligé d’une calvitie dès l’âge le plus tendre, posant sur sa mère un regard profond et interrogateur qui conviendrait mieux à une “grande personne”, l’enfant Jésus ainsi figuré exprimait ainsi son caractère divin aux yeux du fidèle à qui l’image était destinée en cette fin de XIIIe siècle. Il nous faut poser sur cet enfant un regard libéré des pré-requis culturels qui sont les nôtres 800 ans après, afin de pouvoir comprendre le sens profond d’une représentation qui se devait de “faire voir” la nature divine de l’être tenu dans les bras de sa Mère. C’est en jouant sur des anomalies, et sur un état de ressemblance tirant aussi du côté de la dissemblance, que le caractère surnaturel de Jésus pouvait être signifié en peinture à l’époque où celle-ci était à la fois un moyen de signifier et un mode d’enseignement.
Deux anges minuscules et hors d’échelle, placés dans les angles supérieurs, les bras tendus vers Jésus et respectueusement recouverts à l’aide des bords de leur manteau pour éviter tout contact direct, semblent attendre de pouvoir s’emparer délicatement de celui qu’ils ont, quant à eux, immédiatement reconnu.
Notes
1↑ | « MP ΘU » : titulature abrégée du grec Μήτηρ τοῦ Θεοῦ (« Mère du Dieu incarné »), dont seules la première et la dernière lettre de chacun des deux mots grecs sont conservées. |
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2↑ | Au milieu du XIIIe siècle, les Carmes placèrent la Madone des Mantellini sur le maître-autel de leur église. |
3↑ | Aujourd’hui conservée à l’Archivio di Stato de Sienne, il s’agit de la seule œuvre dont l’attribution ait été rendue possible à l’aide d’un document d’archives (Biccherna 28, e, 3v) dans lequel on apprend que le Maestro Gilio di Pietro fut rémunéré cinq sous (cinque soldi). |
4↑ | L’œuvre de Francesco Vanni est encore visible dans l’église de San Niccolò al Carmine, à Sienne. |
5↑ | Henk W. Van Os, Sienese altarpieces 1215-1460. Form, content, function (vol. I : 1215-1344), Groningen, Bouma’s Boekhuis BV, 1984-1988 (2e édition, Egbert Forsten Publishing, 1988-1990, p. 37. |
6↑ | Luciano Bellosi, Cimabue, Milano, Electa, 1998 (Trad. française A. et M. Bresson-Lucas, Arles, Actes Sud, 1998), p. 36. |
7↑ | Biccherna désigne à la fois l’Office des finances de l’ancienne République de Sienne et le registre de comptabilité publique qui portait en couverture une illustration. |
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