Bartolo di Fredi Cini, « Adorazione dei Magi »

Bartolo di Fredi Cini (Sienne, vers 1353 – 1410)

Adorazione dei Magi (Adoration des mages), env. 1380.

Compartiment central d’un polyptyque dispersé, tempéra sur panneau, 195 x 163 cm.

Inscriptions : /

Provenance : inconnue (église de San Domenico, à Sienne ? [1]Wolfgang Loseries tente d’établir l’identité du commanditaire et l’emplacement d’origine de l’Adoration des Mages dans un article (Wolfgang Loseries, “Altarpieces of the Adoration of the Magi and the Shepherds by Bartolo di Fredi. New documentation and new evidence. », dans Bruce Boucher (dir.), The Adoration of the Magi by Bartolo di Fredi: A Masterpiece … Poursuivre)

Sienne, Pinacoteca Nazionale.

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1.

Le cortège des Rois Mages a accompli un long périple avant de parvenir jusqu’au devant de la scène pour permettre aux trois souverains de se prosterner aux pieds de l’Enfant Jésus et d’offrir les présents qu’ils ont apportés de leurs lointaines contrée. Le cortège apparaît en haut, dans l’angle supérieur droit de l’œuvre [2]note sur l’hypothèse de Patrizia Turrini, dans le lointain, et s’apprête à parcourir la totalité du chemin contenu dans l’espace figuré. Le cortège s’oriente vers la gauche afin de contourner une montagne élevée et se dirige vers une première ville dont on aperçoit la silhouette à l’horizon. Puis nous le voyons revenir dans notre direction et faire étape dans une seconde ville : c’est Sienne (fig. 1) avec sa cathédrale bicolore reconnaissable entre toutes et ses murailles crénelées de la couleur de la brique dont elles sont faites. Ils sont descendus de cheval et les voici dissertant sous la loggia où les accueille l’hôte qui va leur offrir le gîte. Le cortège quitte enfin la ville par l’une des portes percées dans les hauts murs de défense et disparaît hors du champ de l’image, avant de parvenir au premier plan où les attend la sainte famille.

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2.

Gentile da Fabriano, autre immense artiste de la Renaissance florentine, se souviendra peut-être – l’a-t-il vue ? – de l’Adoration des Mages de Bartolo lorsque, une cinquantaine d’années plus tard, il représentera le même sujet (fig. 3), en jouant lui aussi de l’espace représenté pour allonger un interminable cortège sur tout le parcours compris dans la profondeur du paysage et au delà même des limites matérielles de l’oeuvre.

3. Gentile da Fabriano, « Adoration des Mages ». Florence, Uffizi.

Chez Bartolo di Fredi, ce qui se déroule au premier plan (et qui occupe la moitié de la surface de l’œuvre) est le fait d’une foule compacte et bruyante qui vient de mettre pied à terre dans le vacarme des chevaux.

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4.

Ceux-ci, encore sous le coup de la longue chevauchée qui vient de prendre fin, manifestent la plus grande agitation ; l’un d’eux secoue furieusement la tête en hennissant tandis qu’un autre, devant nous, piétine impatiemment le sol et donne à voir un admirable profil vu de trois quart arrière, à qui une légère disproportion de la tête et du col donne l’allure d’un cheval comme on ne les rencontre que dans les contes. Les palefreniers peinent à tenir les bêtes. Dans un même mouvement, les trois rois se sont agenouillés vers la Vierge et s’apprêtent chacun à leur tour à embrasser les pieds de l’Enfant après avoir remis leurs offrandes entre les mains de Joseph. Dans la précipitation, celui de gauche a déposé son corps de chasse devenu inutile, tandis que celui qui se trouve le plus proche de l’Enfant-Jésus a, quant à lui, posé sa couronne à même le sol en marque de respect.

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5.

Comme cela arrive fréquemment dans la peinture médiévale, l’espace et le temps sont figurés, l’un sans préoccupation de réalisme (terme est d’ailleurs parfaitement anachronique dans ce contexte), l’autre, le temps, sans souci d’unité. Ce qui importe, c’est de signifier, de raconter, quitte à situer le spectateur à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment dans lequel sont reçus les rois mages lors de leur halte à Sienne ; ou encore, en représentant simultanément plusieurs épisodes d’une même narration à la fois, bien que ceux-ci soient séparés dans le temps. À ce titre, le long cortège qui se développe dans l’espace, du plus lointain jusqu’au plus proche, est particulièrement significatif ; si l’on y prête attention, on remarquera qu’outre les rois, que l’on y voit représentés deux fois, avant leur arrivée mais aussi au moment même de la rencontre avec la sainte famille, certains membres de leur escorte bénéficient du même régime (ils sont d’autant mieux identifiables qu’ils portent des coiffures particulièrement reconnaissables).

L’œuvre est unanimement considérée comme le chef-d’œuvre de Bartolo di Fredi, y compris par les historiens de l’art qui, jugeant superficielle la description de cette scène d’Epiphanie, le qualifient moins comme un grand artiste que comme un « très agréable illustrateur [3]TORRITI 1977, p. 165. ». Faut-il insister sur la splendeur et la richesse des couleurs qui déversent à profusion des rouges, des verts et des bleus les plus purs, contribuant ainsi à faire de cette scène la vision magnifique d’un irréel qui s’apparente aux songes ?

Il ne fait aucun doute que ce qui reste du retable des Mages de Bartolo et de sa prédelle aujourd’hui éparpillée (ci-dessous) constitue une œuvre à la fois monumentale et magnifique. Son style, qui peut apparaître éclectique, fusionne la simplicité dans le rendu de la forme humaine, qui s’est répandue au-delà de Florence dans le sillage de Giotto et de ses disciples, avec le linéarisme gothique, qu’une ancienne école d’historiens de l’art aurait sans doute considéré comme retardataire. La représentation des mages eux-mêmes suggère à certains égards l’enluminure d’un manuscrit gothique vue en grand.

Trois élément du polypTyque Rassemblés
6

Lors d’une exposition monographique consacrée au retable de Bartolo di Fredi [4]The Adoration of the Magi by Bartolo di Fredi : A Masterpiece Reconstructed, The Fralin Museum of Art at the University of Virginia, 2 mars – 22 mai 2012. Commissaire de l’exposition : Bruce Boucher, Director of the UVa Museum., ont été présentés deux compartiments que l’on s’accorde dorénavant à considérer comme des éléments de la prédelle dispersée. La première visée de l’exposition a été de réunir une ultime fois les deux fragments survivants de la prédelle au panneau central du retable de Bartolo. Le plus petit des fragments de la prédelle (Groupe de saints agenouillés en adoration) se trouve dans la collection de l’Université de Virginie (États-Unis), tandis que la Crucifixion avec saints en adoration, qui la jouxtait dans la configuration d’origine, se trouve au Lindenau-Museum d’Altenburg, en Allemagne. Réunies, les deux parties qui subsistent de la prédelle font de la petite foule des saints spectateurs dans laquelle se détachent plusieurs figures dominicaines, les témoins de la scène paroxystique de la Crucifixion.

7
8

Notes

Notes
1 Wolfgang Loseries tente d’établir l’identité du commanditaire et l’emplacement d’origine de l’Adoration des Mages dans un article (Wolfgang Loseries, “Altarpieces of the Adoration of the Magi and the Shepherds by Bartolo di Fredi. New documentation and new evidence. », dans Bruce Boucher (dir.), The Adoration of the Magi by Bartolo di Fredi: A Masterpiece Reconstructed, cat. exp., The Fralin Museum of Art at the University of Virginia, 2 mars – 22 mai 2012.) qui constitue le plus long des essais consacré à l’œuvre, et le plus controversé. On pensait jusqu’à présent que le retable avait été peint pour la cathédrale de Sienne, mais Loseries fait remarquer que les nombreux saints dominicains représentés dans la prédelle constituaient une forme de propagande pour l’ordre, ce qui aurait été inacceptable au sein de la cathédrale. Il conclut qu’il doit avoir été peint pour une église dominicaine, en l’occurence, celle de San Domenico, à Sienne, où il se trouvait sur l’autel des Trois Rois. Loseries identifie le commanditaire comme Angelina Cinughi et date le retable entre 1375 et 1385, remarquant que Bartolo réutilise la composition sous une forme simplifiée dans une œuvre datée de 1388. Il va plus loin et détermine que l’Adoration des bergers de Bartolo di Fredi (New-York, Cloisters) est connue pour provenir du couvent de San Domenico à San Gimignano, où Bartolo a travaillé dans d’autres occasions, et fait état de deux document : l’un permet de dater l’œuvre de 1374, l’autre fait état d’une donation par leg testamentaire d’une certaine Bilia di Ghetto, destiné à son financement. Bilia di Ghetto signe son testament en 1348, ce qui oblige l’auteur à expliquer un écart de vingt-six ans entre la dotation et l’exécution du retable. Il souligne que, bien que Bilia ait rédigé son testament en 1348, nous ne savons pas quand elle est réellement décédée. Le désordre social et politique créé par la peste noire arrivée à San Gimignano la même année et qui a tué la moitié de la population, pourrait également expliquer le report des dispositions contenues dans le testament. Si une grande partie des liens que Loseries établit entre ces documents demeure hypothétique, sa théorie globale constitue un récit très intéressant.
2 note sur l’hypothèse de Patrizia Turrini
3 TORRITI 1977, p. 165.
4 The Adoration of the Magi by Bartolo di Fredi : A Masterpiece Reconstructed, The Fralin Museum of Art at the University of Virginia, 2 mars – 22 mai 2012. Commissaire de l’exposition : Bruce Boucher, Director of the UVa Museum.