Maestro senese della fine del XII secolo, “Crocifisso”

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Maestro senese della fine del XII secolo (Maître siennois de la fin du XIIe siècle)

Crocifisso (Croix peinte), fin du XIIe siècle.

Tempera sur panneaux, 177 x 118 cm.

Inscriptions :

  • (dans le titulus) : « [IESV]S NASARENVS / REX IVDEORV[M] » [1]

Provenance : Église de San Pietro in Villore (in Vincoli), San Giovanni d’Asso (Montalcino).

Pienza, Museo diocesano (Palazzo Borgia).

Découvert en 1926 dans l’église de San Pietro in Villore (San Giovanni d’Asso) par Frederick Mason Perkins, cette belle et rare croix peinte a été conservée jusqu’en 1998 à la Pinacothèque Nationale de Sienne, date à laquelle elle a fait l’objet d’un dépôt à Pienza, à l’occasion de l’ouverture du nouveau Musée diocésain.

Jésus est représenté selon le type, encore fréquent en cette fin du XIIe siècle, du Christus Triumphans, c’est-à-dire triomphant sur la mort, en l’absence de tout signe ou de toute allusion à une quelconque souffrance. Il se tient parfaitement droit, debout en appui sur un suppedaneum dont la forme inhabituelle est celle d’un hexagone, les pieds légèrement écartés. « Il est représenté vivant, avec des yeux ronds aux grandes pupilles, le corps érigé droit, la musculature schématique et les carnations peintes d’une seule couleur, sans aucune modulation due à l’ombre et à la lumière, avec deux uniques tâches rosées posées au milieu des joues [2] ». Les yeux grands ouverts, Jésus regarde droit vers le spectateur devenu témoin de sa victoire. Selon l’iconographie du Christus Triumphans au XIIe s., aucune plaie ni aucune trace de sang n’est visible à première vue sur son corps demeuré inaltéré. Une tradition tenace veut que le soin apporté au traitement des trois mèches de cheveux tombant sur chacune de ses épaules soient une allusion à la Trinité avec laquelle il fait corps.

Dans la cimaise, apparaissent deux anges en demi-buste volant dans les airs. Ils présentent dans un clipeus l’image du rédempteur bénissant, tenant un livre dans la main gauche. Cette composition est généralement interprétée comme la représentation symbolique de l’Ascension. Deux autres figures angéliques, compagnons du Christ dans sa gloire, apparaissent aux extrémités des bras de la croix.

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Les tabelloni qui flanquent le Christ sont occupés par quatre personnages représentés debout deux à deux. Aucune trace de chagrin n’apparaît dans toute leur physionomie. Au contraire, un imperceptible sourire vient éclairer leurs visages d’une éclatante jeunesse (comme si cette jeunesse était faite pour durer toute l’éternité), aux traits d’une beauté régulière, et dont les contours ont été tracés d’une main qui n’a pas hésité. L’aisance du dessinateur transparaît dans toutes les parties dessinées de l’œuvre. Évoquant lui aussi la croix peinte de Porziano, Adolfo Venturi écrivait, au début du XXe s., un commentaire qui pourrait à nouveau s’appliquer ici : « […] elle semble avoir été exécutée par un calligraphe aux yeux de celui qui en observe les contours ainsi que la rigueur avec laquelle sont formées les gouttes de sang qui tombent des trous ronds des mains [3] ».

La droite du Christ, place d’honneur, est occupée par une jeune femme voilée de blanc dans laquelle on s’attendrait à reconnaître la Vierge Marie. Cependant, si le blanc est exceptionnellement la couleur du manteau de la Vierge lors de son Assomption, celui-ci est habituellement bleu par-dessus une robe elle-même rouge, selon l’iconographie qui permet de l’identifier dans toutes les autres situations. Il nous faut regarder plus à gauche, à l’arrière de cette première silhouette, afin de reconnaître la figure de Marie, la tête recouverte de son voile traditionnellement bleu sur lequel, de surcroît, on distingue nettement, au niveau de son front, l’étoile qui la désigne comme Stella Maris, l’étoile de la mer, titre parmi les plus anciens conférés à la Mère de Jésus.

Devant elle, la femme voilée de blanc que nous venons d’apercevoir soulève un calice. Observons qu’elle ne tient pas la coupe à mains nues mais enveloppée dans un tissu précieux, ainsi qu’il convenait de procéder pour manipuler les reliques les plus vénérées. La jeune femme s’apprête à recueillir le sang du Christ qui s’échappe d’une plaie si minuscule (elle est à peine visible sur le flanc du Christ) qu’elle échappe au premier regard. Le personnage de Marie Cléophas est d’une grande rareté dans l’iconographie des croix peintes. On la rencontre au même emplacement et dans la même attitude dans le Crucifix décrit par Venturi (fig. ci-dessous). Peint par un artiste ombrien anonyme à l’époque romane, il comporte des inscriptions qui révèlent au spectateur les noms des personnages figurés aux côtés du Christ.

Pittore romanico umbro, “Crocifisso“. Assise, Basilique de San Francesco.

La comparaison entre les deux croix peintes, qui permet d’identifier également des ressemblances stylistiques, conduit à une seconde évidence : la jeune femme qui recueille le sang du Christ représente, non pas une figure symbolique de l’Église, mais “Marie, mère de Jacques”, également appelée Marie Cléophas dans les Évangiles.

Sur le flanc droit du Christ, on reconnaît, plus traditionnellement, les figures de Jean l’Évangéliste et, vêtue de rouge, Marie Madeleine. Quelques figures devenues presque illisibles peuplaient le pied de la croix, comme cela était souvent le cas.

Outre son allure romane encore teintée d’influences byzantines, la principale caractéristique du Crucifix de San Pietro in Villore est liée à l’utilisation de couleurs claires et transparentes, avec une insistance particulière sur les notes d’un bleu azur, et un langage plastique donnant une part prépondérante aux tracés linéaires dignes d’un calligraphe, toutes caractéristiques que l’on retrouve à la même époque, dans d’autres œuvres du ‘Maestro di Tressa’. Depuis Perkins, les historiens de l’art ont souligné à leur tour l’étroite correspondance qui existe également entre notre croix peinte et celle provenant de l’abbaye de Sant’Antimo, aujourd’hui conservée au Museo Civico e Diocesano d’Arte sacra de Montalcino). Toute deux pourraient être de la main d’un même peintre anonyme actuellement identifié sous le nom de ‘Maître de San Pietro in Villore‘, actif en Toscane méridionale au cours du dernier quart du XIIe siècle.

[1] « Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs ».

[2] Ce commentaire du critique Umberto GNOLI décrivant le Crucifix chantourné de l’église du Château de Porziano, près d’Assise, dorénavant conservé dans la Basilique de San Francesco : “Il Cristo è rappresentato vivo, con gli occhi tondi dalle grandi pupille, il corpo eretto, la muscolatura schematica, e le carni dipinte ad una sola tinta, senza chiaroscuro, con due pomelli rossastri solo nelle gote. Ai lati del Cristo sono le sante donne e S. Giovanni, figure esili, lunghe, con piccole teste. A Spoleto nel XII e XIII secolo sembra esistesse una scuola di pittori che si dedicarono sopratutto a dipingere Crocifissi sagomati”. Umberto GNOLI, L’arte umbra alla Mostra di Perugia. Bergamo, 1908, pp. 25-26.

[3] « A questo Crocefisso [Croce di Alberto Sotio nel Duomo di Spoleto] può associarsi quello già nella chiesa di Porziano (comune di Gualdo), ora nella sagrestia di San Francesco in Assisi: sembra eseguito da un calligrafo, a chi ne osservi i contorni e persino i ghirigori che formano le gocce di sangue cadenti dai fori tondi delle mani. Di qua e di là della tabella, le Marie e Giovanni; in alto, due angeli che tengono un clipeo in cui era forse l’imagine del Redentore ascendente ai cieli » (« On peut associer ce Crucifix [la croix d’Alberto Sotio de Spolète] à celui qui était anciennement dans l’église de Porziano (commune de Gualdo), maintenant dans la sacristie de San Francesco à Assise ; elle semble avoir été exécutée par un calligraphe aux yeux de celui qui en observe les contours ainsi que la rigueur avec laquelle sont formées les gouttes de sang qui tombent des trous ronds des mains. De part et d’autre de la table [le tabellone], les saintes Marie et Jean ; en haut, deux anges qui tiennent un clipeus dans lequel se trouvait peut-être l’image du Christ montant dans les cieux »). Adolfo VENTURI, Storia dell’arte italiana, V, “La pittura del Trecento e le sue origini”. Milano 1907, p. 3.

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