Sano di Pietro, “Cinq scènes de la vie de saint Jérôme”

Sano di Pietro (Sienne, 1405 – 1481)

Cinq scènes de la vie de saint Jérôme.

Prédelle du Polittico dei Gesuati ou Polittico del Beato Colombini (Polytyque des Jésuates ou Polyptyque du Bienheureux Colombini), 1444 (daté et signé).

Cinq compartiments, tempéra et or sur panneau (dimensions indiquées ci-dessous).

Provenance : Couvent des Gesuati di San Girolamo, Sienne.

Paris, Musée du Louvre.

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  • Saint Jérôme rêve qu’il est flagellé sur ordre du Christ, 23 x 35 cm.

Cette vision est rapportée par Jérôme lui-même (Ep. ad Eustochiam [1]« […] Malheureux que j’étais ! avant de lire Cicéron, je me livrais au jeûne. Je veillais souvent des nuits entières, je versais des larmes, que le souvenir de mes péchés d’autrefois arrachait du fond de mes entrailles. Après quoi, je prenais en mains mon Plaute ! Si, rentrant en moi-même, je me mettais à lire un prophète, ce langage inculte me faisait horreur. Mes … Poursuivre, 22, 30). Jérôme, dans le désert, lisait avec davantage de plaisir Cicéron que la Bible, et les prophètes dont il trouvait la langue barbare. Une nuit, il se vit en songe devant le tribunal du Christ qui lui demanda quelle était sa religion. Après avoir dit qu’il était chrétien, il s’entendit répondre sévèrement : “Tu mens, tu n’es pas chrétien, mais Cicéronien.” Joignant les actes à la parole, le Christ ordonna à deux anges de fustiger Jérôme.

Ce récit “n’est qu’un simple jeu littéraire d’un chrétien qui n’a pas oublié son éducation de rhéteur et qui transpose à sa façon les nombreux contes de l’antiquité païenne […]. [2]REAU 1958, III, 2, p. 747.”.

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  • La pénitence de saint Jérôme, 23 x 35 cm.

La Légende dorée ne dit pas que Jérôme, pénitent au désert, se frappe la poitrine avec un caillou, mais seulement, si l’on peut dire (!), qu’il se fustigeait nuit et jour. Il n’empêche : le caillou est devenu un ustensile presque toujours utilisé par le saint, ainsi que l’un de ses attributs iconographiques.

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  • La légende du lion apprivoisé, 23 x 70 cm.

La scène est divisée en deux épisodes successifs. à gauche, Jérôme, vêtu en ermite, enlève une épine de la patte que lui présente un lion. A droite, le même lion, souhaitant réparer sa faute (un défaut de surveillance a conduit des voleurs à s’emparer de l’âne que Jérôme lui avait demandé de garder), ramène celui-ci au couvent en même temps qu’une caravane de chameaux chargés de marchandises. Au loin, on aperçoit encore l’un des fugitifs. Suivant la coutume des caravaniers, l’âne marche devant et sert de guide, tandis qu’à l’arrière, le lion fait en sorte de convaincre le petit troupeau d’avancer.

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  • La mort du saint et son apparition à saint Cyrille de Jérusalem, 23 x 35 cm.

Le sujet de la mort de saint Jérôme en présence de ses disciples est rare. L’apparition de celui-ci s’élevant dans le ciel, à saint Cyrille de Jérusalem l’est moins. En extase, celui-ci voit l’âme de Jérôme monter dans le ciel.

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  • L’apparition du saint à Sulpice Sévère, puis, aux côtés de saint Jean Baptiste, à saint Augustin, 23 x 35 cm.

La seconde apparition se fait sous les yeux de Sulpice Sévère [3]Sulpicius Severus, saint aquitain du premier quart du Ve siècle, chroniqueur et ecclésiastique de langue latine., comme sous les nôtres, dans un halo de lumière surnaturelle (c’est la règle pour les apparitions), halo dans lequel on peut voir Jérôme, enlevé au ciel par le Christ lui-même, entouré d’une nuée d’anges, en particulier de séraphins. Enfin, Jérôme apparaît une fois encore, c’est la troisième, devant Augustin qui vient de s’interrompre dans son travail d’écriture. Il est accompagné de Jean Baptiste. La légende veut que Jean Baptiste soit coiffé de trois couronnes, tandis que l’on n’en voit que deux sur la tête de Jérôme qui n’a pas droit à la troisième, celle du martyre, faute de l’avoir lui-même subi. Ici, le problème est résolu puisque, si Jean Baptiste porte bien la couronne du martyre, Jérôme se contente de son chapeau de cardinal qu’il n’a pourtant jamais été (voir : Jérôme).

Notes

Notes
1 « […] Malheureux que j’étais ! avant de lire Cicéron, je me livrais au jeûne. Je veillais souvent des nuits entières, je versais des larmes, que le souvenir de mes péchés d’autrefois arrachait du fond de mes entrailles. Après quoi, je prenais en mains mon Plaute ! Si, rentrant en moi-même, je me mettais à lire un prophète, ce langage inculte me faisait horreur. Mes yeux aveuglés m’empêchaient de voir la lumière. Or, ce n’étaient pas mes yeux que j’incriminais, mais le soleil ! Le Serpent ancien se jouait ainsi de moi.
Vers le milieu du carême, jusqu’au plus profond de mon être s’insinue la fièvre. Elle envahit mon corps épuisé, ne lui laisse aucun repos et — détail à peine croyable —, mes pauvres membres en sont tellement dévorés, que je ne tenais plus guère que par mes os. Cependant, on préparait mes obsèques, car la vie, le souffle, la chaleur — tout mon corps étant déjà refroidi — ne palpitaient plus que dans un coin encore tiède de ma poitrine. Tout d’un coup, j’ai un ravissement spirituel. Voici le tribunal du Juge ; on m’y traîne ! La lumière ambiante était si éblouissante que, du sol où je gisais, je n’osais pas lever les yeux en haut. On me demande ma condition : ‘Je suis chrétien’, ai-je répondu. Mais celui qui siégeait : ’Tu mens’, dit-il ; ’c’est cicéronien que tu es, non pas chrétien’ ; ‘où est ton trésor, là est ton cœur’ (Mt 6, 21).
Aussitôt je deviens muet. Parmi les coups — car il avait ordonné qu’on me flagellât — ma conscience me torturait davantage encore de sa brûlure ; je me redisais ce verset : ‘Mais, dans l’enfer, qui te louera ?’ (Ps 6, 6) Je me suis mis cependant à crier et à me lamenter en répétant : ‘Pitié pour moi, Seigneur, pitié pour moi !’ (Ps 16, 2). Cet appel retentissait parmi les coups de fouet. Enfin, prosternés aux genoux du président, les assistants suppliaient de faire grâce à ma jeunesse, de permettre à mes erreurs de faire pénitence ; je subirais par la suite le supplice mérité, si jamais je revenais à la lecture des lettres païennes. Quant à moi, coincé dans une situation aussi critique, j’étais disposé à promettre encore davantage. Aussi me suis-je mis à jurer, à prendre son nom à témoin : ’Seigneur, disais-je, si jamais je possède des ouvrages profanes, ou si j’en lis, c’est comme si je te reniais !’ Après que j’eus prononcé ce serment, on me relâcha ; me voici revenu sur terre. À la surprise générale, j’ouvre les yeux. Ils étaient tellement trempés de larmes qu’ils attestaient ma douleur aux plus sceptiques. Ce n’était pas du sommeil, ni de ces songes vains qui nous illusionnent souvent. Témoin le tribunal devant lequel je gisais ; témoin le jugement, si redoutable ! — puissé-je ne jamais subir pareille question ! — j’avais les épaules tuméfiées, et j’ai senti les plaies au réveil. Depuis, j’ai lu les livres divins avec plus de soin que je n’avais lu jadis les ouvrages des mortels […] ». Lettre à Eustochium, 22, 30. (Eustochium : sainte chrétienne, fille de sainte Paule, elle-même amie de Jérôme. La mère et sa fille accompagnèrent Jérôme en Égypte, où ils visitèrent ensemble les ermites du désert de Nitrie et du Ouadi Natroun, vallée aride située dans le désert occidental de l’Égypte, afin d’étudier leur mode de vie, avant que Paule ne fonde elle-même un couvent à Bethléem. Eustochium succéda à sa mère à la tête de l’un de ces monastères).
2 REAU 1958, III, 2, p. 747.
3 Sulpicius Severus, saint aquitain du premier quart du Ve siècle, chroniqueur et ecclésiastique de langue latine.