‘Il Pintoricchio’ (Perugia [Pérouse], 1454 – Sienne, 1513)
Sacra Famiglia e San Giovannino (La Sainte Famille et le petit saint Jean), après 1490.
Tempera sur panneau, diamètre : 85 cm. (sans l’important cadre original).
Inscriptions (sur la banderole enroulée autour de la croix portée par Jean) : “ECCE / AGN / DEI” [1]
Provenance : Couvent de Campansi.
Sienne, Pinacoteca Nazionale.
La scène représente une sorte de réunion de famille. Il s’agit vraisemblablement de la scène, racontée par Jacques de Voragine, des retrouvailles des deux cousins (et de leurs parents) en Égypte où Joseph et Marie ont fui le Massacre des Innocents, suivant en cela le conseil de l’Ange apparu à Joseph.
Nous sommes face à la fois à l’œuvre du Pinturicchio la plus célébrée et face à l’une des œuvres les plus admirées de la Pinacothèque (qui pourtant n’en manque pas …). Les raisons expliquant cet engouement du public sont multiples, associant au caractère attachant du sujet, son élégance formelle, un réalisme apparent, et sans doute même, la splendeur de l’imposant cadre de bois sculpté.
Les trois personnages de la Sainte Famille ainsi que Jean, le cousin du Christ, sont immergés dans un paysage empreint d’une langueur particulière et d’une élégance qui, quoi qu’un peu superficielle, est nécessairement destinée à séduire un large public. Ce paysage minutieusement représenté rend compte d’un souci du détail qui l’apparente a une technique de travail propre à la miniature. “Une vision d’une pureté cristalline qui, depuis le pré fleuri du premier plan, s’élargit doucement en direction des lointaines collines bleutées, sous un ciel serein où se détachent les branchages stylisés des arbres, d’une manière qui peut évoquer les ciels des grandes fresques de la Libreria Piccolomini de la Cathédrale de Sienne.” Sur le fond de ce paysage, qu’il nous revient d’interpréter comme un “désert” moyen-oriental, se distinguent les figures de saint Antoine, à gauche (fig. 1), cheminant en direction du premier plan, et de saint Jérôme, à droite (fig. 2), agenouillé en pénitence à proximité de l’arbre auquel son chapeau cardinalice est suspendu.
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La minutie qui caractérise la facture de l’œuvre trouve son prolongement dans une iconographie extrêmement élaborée, formant un ensemble parfaitement cohérent au service du sens. Contrairement à une première apparence, les deux enfants que l’on voit au premier plan ne jouent pas comme le feraient des enfants de leur âge dans un contexte différent. Jean, futur Baptiste, porte le signe annonciateur de la Passion à travers la discrète et longue croix promise à son cousin Jésus ; il semble également jouer avec un vase qui n’est autre qu’une allusion à son propre rôle futur lors du Baptême du Christ. Curieusement, ce tout jeune enfant est déjà vêtu de l’accoutrement qui le rendra reconnaissable entre tous, sur le plan iconographique, dans les scènes de sa vie adulte : il est couvert d’une simple peau de bête. Jésus marche à ses côtés, vêtu d’une robe brodée d’or d’allure enfantine, d’une couleur blanche qui pourrait n’être qu’un simple symbole de pureté, sinon de royauté compte tenu de ses broderies, mais qui évoque aussi, immanquablement, la tunique blanche des fous dont il sera affublé avant de monter au Calvaire. Ce tout jeune enfant se promène avec un livre. Cet enfant sait donc lire. Un tel savoir, inaccessible à un si jeune âge, ne peut qu’être un nouveau signe de la qualité divine de son détenteur.
Marie, elle aussi, lisait avant de s’interrompre pour observer les deux enfants avec un sourire mystérieux et à peine effleuré. On dirait qu’elle fait un geste de bénédiction en direction des deux innocents promis à un sacrifice dont elle a, elle aussi, la prémonition ou, pour mieux dire, la connaissance. Et Joseph ? Bien que l’ange lui ai donné il y a peu les assurances nécessaires quant à l’innocente pureté de son épouse et à sa miraculeuse grossesse, il ne paraît pas encore avoir recouvré sa tranquillité. Son visage exprime un fatalisme qui est aussi une marque de résignation, sinon d’acception. Le malheureux Joseph, semble réduit ici à un rôle subalterne. Pourtant, s’il est chargé d’assurer la pitance du petit groupe et serre contre lui le solide (le pain) et le liquide (le contenu du barillet) qui doivent le nourrir et étancher sa soif, il porte aussi les deux éléments de l’Eucharistie dont un premier et unique niveau d’interprétation, trop réducteur, conduirait à effacer l’ampleur de la portée symbolique.
En évitant de procéder à un inventaire exhaustif des symboles qui pourrait être fastidieux tant la surface de l’œuvre en est parsemée, on mentionnera cependant la présence d’une fontaine qui pourrait être réduite à son caractère purement fonctionnel si elle ne constituait pas, à son tour, en raison de sa forme, l’évocation du tombeau vers lequel se dirige l’Enfant Jésus. Cet inventaire, quoi qu’il en soit, conduirait à constater qu’ici, malgré des apparences trompeuses, tout parle de la Passion du Christ.
[1] “ECCE AGNUS DEI.” Extrait de l’Évangile de Jean (Jn 1, 29-31) : “[Le lendemain, voyant Jésus venir vers lui, Jean déclara :] « Voici l’Agneau de Dieu[, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël.] » Formule prononcée par Jean Baptiste lors de la venue du Christ sur les bords du Jourdain à l’occasion de son baptême.
[2] TORRITI 1978, p. 40.
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