Orphée

Orphée est d’ascendance divine, « fils d’une Muse, le plus souvent de Calliope [1]Il l’est aussi « aussi ailleurs de Polymnie, de Clio ou d’une Néréide, Ménippé ». Annick Béague, Jacques Boulogne, Alain Deremetz, et al., Les visages d’Orphée, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998., et du roi thrace Oiagros [2]Oiagros « est tantôt présenté comme un roi thrace, tantôt comme un dieu-fleuve de Thrace ». Annick Béague, Jacques Boulogne, Alain Deremetz, et al., op. cit. mais « une filiation divine, probablement métaphorique, en fait le fils d’Apollon. » [3]Ibid., le dieu à l’arc-cithare. Sa mère lui a enseigné le chant, son frère Linos [4]Dans la mythologie grecque, Linos est l’inventeur de la musique et de la poésie en vers. Linos eut de nombreux disciples, parmi lesquels Orphée (son frère, selon Apollodore [« Linos lui apprit à jouer de la lyre. Linos était le frère d’Orphée. », Bibliothèque, II, 4, 9]), Thamyris (selon Pline l’Ancien, Thamyris est l’inventeur du mode dorien, et le premier à … Poursuivre, l’usage de la lyre. « Son art, qui réunit à un point très intime musique et poésie, lui confère un pouvoir sur tout ce qui existe : les hommes, les animaux, les arbres et les rochers [5]« Les rochers et les fleuves sont sensibles aux accents de sa voix, et les chênes de la Piérie, attirés par les doux sons de sa lyre, le suivent en foule sur le rivage de la Thrace, où ils attestent encore le pouvoir de son art enchanteur. » APOLLONIUS DE RHODES, L’Expédition des Argonautes, ou la conquête de la Toison d’or, I, 7, traduction J. J. CAUSSIN, Paris, Laveaux, 1802. et les dieux eux-mêmes. Orphée, initié aux mystères lors de son séjour en Egypte, semble s’inscrire dans la vibration, l’oscillation entre deux époques, deux traditions, deux courants nerveux du monde. Il clôture et il ouvre, et dans ce temps bref – vertical –, il innove. A la lyre à sept cordes, don d’Apollon, il ajoute deux cordes supplémentaires, en l’honneur, dit-on, des neuf Muses. Il instaure le culte de Dionysos. » [6]Catherine Peillon, « Les chants d’Orphée », La pensée de midi, 28, 2009/2, pp. 199-202.

« Orphée n’est pas à proprement parler un héros, mais ses pouvoirs chamaniques [7]Selon Mircea Eliade, ce qui caractérise le chamane est « son pouvoir d’interagir avec le monde spirituel ». Mircea EliadeLe Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, Paris, Payot, 1951, rééd. 1992., ses dons de chantre l’intègrent de fait dans un univers divin » [8]Alain GALOIN, L’iconographie d’Orphée dans la céramique attique au Vè siècle av. J.-C., Aix-en-Provence, 2017.. Virgile le décrit comme poète et musicien, et en expose le mythe dans les Géorgiques [9]VIRGILE, Géorgiques, IV, 464-527.. Lorsque Eurydice, son épouse, meurt [10]« […] elle s’avance d’un pas lent du fait de sa blessure », OVIDE, Métamorphoses, X, 9. mordue par un serpent [11]« Tandis qu’elle te fuyait en se précipitant le long du fleuve, la jeune femme, – et elle allait en mourir, – ne vit pas devant ses pieds une hydre monstrueuse qui hantait les rives dans l’herbe haute. » VIRGILE, Géorgiques, IV, 4, 460., Orphée descend aux enfers grâce au pouvoir magique de son chant [12]Orphée est autorisé à descendre aux Enfers « sous cette condition qu’il ne tournera pas ses regards en arrière jusqu’à ce qu’il soit sorti des vallées de l’Averne ; sinon, cette faveur sera rendue vaine. […] Ils n’étaient plus éloignés, la limite franchie, de fouler la surface de la terre ; Orphée, tremblant qu’Eurydice ne … Poursuivre, pour y rejoindre la défunte. Il ne réussit cependant pas à la ramener sur la terre parmi les vivants [13]« Elle alors : “Quel est donc, dit-elle, cet accès de folie, qui m’a perdue, malheureuse que je suis, et qui t’a perdu, toi, Orphée ? Quel est ce grand accès de folie ? Voici que pour la seconde fois les destins cruels me rappellent en arrière et que le sommeil ferme mes yeux flottants. Adieu à présent ; je suis emportée dans la nuit immense qui … Poursuivre. L’échec d’Orphée, qui conduit à la seconde mort d’Eurydice, laisse celui-ci désespéré. « Il épanche sa douleur en des chants de lamentation qui envoûtent les animaux comme les végétaux et même les pierres. Les femmes de Thrace, furieuses d’être dédaignées par le jeune veuf [14]La violence des femmes de Thrace est liée à l’indifférence d’Orphée à l’égard des femmes, que ce dernier nourrit depuis la mort d’Eurydice : « En vain », écrit Ovide, « le chantre de la Thrace veut repasser le Styx et fléchir l’inflexible Charon. Toujours refusé, il reste assis sur la rive infernale, ne se nourrissant que de ses larmes, du trouble de son âme, … Poursuivre, le tuent et le déchirent au cours d’une célébration dionysiaque » [15]Pierre PRIGENT, « Orphée dans l’iconographie chrétienne » Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 64-3 (1984), pp. 205-221.. » Après l’avoir sauvagement démembré, ces mêmes femmes dispersent les morceaux de son cadavre dans le fleuve Evros. La mer entraîne ensuite sa tête et sa lyre jusqu’à l’île de Lesbos et les déposent sur la plage. Un pêcheur les trouve : la tête décapitée « est transportée dans un antre consacré à Dionysos, où elle émet des oracles jour et nuit, au point que les centres oraculaires d’Apollon s’en trouvent désertés », et continue de même jusqu’à ce que le dieu des oracles devienne jaloux et l’oblige à y mettre un terme. C’est encore Apollon qui emporte la lyre d’Orphée dans le ciel pour en faire la constellation de la lyre.

Orphée demeure aussi celui qui « attendrit les ombres du monde souterrain », « suspend le destin et modifie ses décrets les plus imprescriptibles », ainsi que le rapportent les vers d’Ovide [16]Talia dicentem, nervosque ad verba moventem, Exsangues flebant animæ ; nec Tantalus undamCaptavit refugam, stupuitque Ixionis orbis ;Nec carpsere jecur volucres ; urnisque vacaruntBelides, inque tuo sedisti, Sisyphe, saxo.Tunc primum lacrimis, victarum carmine, fama est Eumenidum maduisse genas. Nec regia conjuxSustinet oranti, nec qui regit ima, negare ;Eurydicenque vocant. Ovide, Les … Poursuivre. « Cette suspension de l’inexorable, cet affranchissement du châtiment éternel, du destin noué que Zeus lui-même ne peut modifier […] revêt un caractère exceptionnel, préfigure l’avenir. Orphée annonce tout à la fois le Christ, le nouvel Adam et l’homme qui survivra aux dieux… » [17]Catherine PEILLON, « Les chants d’Orphée », La pensée de midi, 28, 2009/2, p. 201.

Iconographie

Notes

Notes
1 Il l’est aussi « aussi ailleurs de Polymnie, de Clio ou d’une Néréide, Ménippé ». Annick Béague, Jacques Boulogne, Alain Deremetz, et al., Les visages d’Orphée, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1998.
2 Oiagros « est tantôt présenté comme un roi thrace, tantôt comme un dieu-fleuve de Thrace ». Annick Béague, Jacques Boulogne, Alain Deremetz, et al., op. cit.
3 Ibid.
4 Dans la mythologie grecque, Linos est l’inventeur de la musique et de la poésie en vers. Linos eut de nombreux disciples, parmi lesquels Orphée (son frère, selon Apollodore [« Linos lui apprit à jouer de la lyre. Linos était le frère d’Orphée. », Bibliothèque, II, 4, 9]), Thamyris (selon Pline l’Ancien, Thamyris est l’inventeur du mode dorien, et le premier à jouer de la lyre sans s’accompagner de la voix) et Héraclès-Hercule (« Linos, admiré pour sa poésie et son chant, eut un grand nombre de disciples, dont trois très-célèbres, Hercule, Thamyris et Orphée. D’une intelligence lente, Hercule ne fit point de progrès dans l’art de jouer de la lyre, qu’il apprenait ; son maître s’avisa alors de le frapper. Hercule, transporté de colère, tua Linus d’un coup de sa Iyre. » Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, III, 67, trad. Ferdinand HOEFER, Paris, Charpentier, 1846).
5 « Les rochers et les fleuves sont sensibles aux accents de sa voix, et les chênes de la Piérie, attirés par les doux sons de sa lyre, le suivent en foule sur le rivage de la Thrace, où ils attestent encore le pouvoir de son art enchanteur. » APOLLONIUS DE RHODES, L’Expédition des Argonautes, ou la conquête de la Toison d’or, I, 7, traduction J. J. CAUSSIN, Paris, Laveaux, 1802.
6 Catherine Peillon, « Les chants d’Orphée », La pensée de midi, 28, 2009/2, pp. 199-202.
7 Selon Mircea Eliade, ce qui caractérise le chamane est « son pouvoir d’interagir avec le monde spirituel ». Mircea EliadeLe Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, Paris, Payot, 1951, rééd. 1992.
8 Alain GALOIN, L’iconographie d’Orphée dans la céramique attique au Vè siècle av. J.-C., Aix-en-Provence, 2017.
9 VIRGILE, Géorgiques, IV, 464-527.
10 « […] elle s’avance d’un pas lent du fait de sa blessure », OVIDE, Métamorphoses, X, 9.
11 « Tandis qu’elle te fuyait en se précipitant le long du fleuve, la jeune femme, – et elle allait en mourir, – ne vit pas devant ses pieds une hydre monstrueuse qui hantait les rives dans l’herbe haute. » VIRGILE, Géorgiques, IV, 4, 460.
12 Orphée est autorisé à descendre aux Enfers « sous cette condition qu’il ne tournera pas ses regards en arrière jusqu’à ce qu’il soit sorti des vallées de l’Averne ; sinon, cette faveur sera rendue vaine. […] Ils n’étaient plus éloignés, la limite franchie, de fouler la surface de la terre ; Orphée, tremblant qu’Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l’amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula, et la malheureuse, tendant les bras, s’efforçant d’être retenue par lui, de le retenir, ne saisit que l’inconsistance de l’air. Mais mourant une seconde fois, elle ne proféra aucune plainte. » (Ovide, Métamorphoses, X, 40-62.
13 « Elle alors : “Quel est donc, dit-elle, cet accès de folie, qui m’a perdue, malheureuse que je suis, et qui t’a perdu, toi, Orphée ? Quel est ce grand accès de folie ? Voici que pour la seconde fois les destins cruels me rappellent en arrière et que le sommeil ferme mes yeux flottants. Adieu à présent ; je suis emportée dans la nuit immense qui m’entoure et je te tends des paumes sans force, moi, hélas ! qui ne suis plus tienne.” Elle dit, et loin de ses yeux tout à coup, comme une fumée mêlée aux brises ténues, elle s’enfuit dans la direction opposée ; et il eut beau tenter de saisir les ombres, beau vouloir lui parler encore, il ne la vit plus, et le nocher de l’Orcus ne le laissa plus franchir le marais qui la séparait d’elle. Que faire ? où porter ses pas, après s’être vu deux fois ravir son épouse ? Par quels pleurs émouvoir les Mânes, par quelles paroles les Divinités ? Elle, déjà froide, voguait dans la barque Stygienne. » VIRGILE, Géorgiques, IV, 4, 490-510. Le trouble d’Orphée que Virgile qualifie d’« accès de démence subite », et qui conduit au long questionnement de son épouse, Ovide en explicite la cause : « [dans] le désir fou de la voir, l’amant tourna les yeux » (Ovide, Métamorphoses, X, 56-57.).
14 La violence des femmes de Thrace est liée à l’indifférence d’Orphée à l’égard des femmes, que ce dernier nourrit depuis la mort d’Eurydice : « En vain », écrit Ovide, « le chantre de la Thrace veut repasser le Styx et fléchir l’inflexible Charon. Toujours refusé, il reste assis sur la rive infernale, ne se nourrissant que de ses larmes, du trouble de son âme, et de sa douleur. Enfin, las d’accuser la cruauté des dieux de l’Erèbe, il se retire sur le mont Rhodope, et sur l’Hémus battu des Aquilons. Trois fois le soleil avait ramené les saisons. Orphée fuyait les femmes et l’amour : soit qu’il déplorât le sort de sa première flamme, soit qu’il eût fait serment d’être fidèle à Eurydice. En vain pour lui mille beautés soupirent ; toutes se plaignent de ses refus. Mais ce fut lui qui, par son exemple, apprit aux Thraces à rechercher ce printemps fugitif de l’âge placé entre l’enfance et la jeunesse, et à s’égarer dans des amours que la nature désavoue. » OVIDE, Les Métamorphoses X, 1-72 (« Orphée et Eurydice »), traduction (légèrement adaptée) de G. T. Villenave, Paris, 1806. Plus loin, Ovide développe le même thème :

Ille etiam Thracum populis fuit auctor amorem
in teneros transferre mares citraque iuuentam
aetatis breue uer et primos carpere flores
.

Ovide, Métamorphoses, X, 83- 85.

« Il initia les peuples de Thrace à l’amour transféré
Sur les jeunes garçons et à cueillir ainsi, dans ses premières fleurs,
Le court printemps de la vie précédant la jeunesse. »

« Orphée partage avec Thamyris, Minos et Laios l’instauration de la pédérastie. Mais alors que les autres la créent parce qu’ils sont les premiers à céder à l’attrait de la beauté d’un jeune garçon, il l’inaugure, lui, de façon négative. Il y voit une manière de se mettre définitivement à l’abri des souffrances causées par la perte d’une femme aimée. Ce choix est, selon certaines versions, à l’origine de sa mort. » (Annick BÉAGUE, Jacques BOULOGNE, Alain DEREMETZ, et al., op. cit.).

15 Pierre PRIGENT, « Orphée dans l’iconographie chrétienne » Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 64-3 (1984), pp. 205-221.
16

Talia dicentem, nervosque ad verba moventem, 
Exsangues flebant animæ ; nec Tantalus undam
Captavit refugam, stupuitque Ixionis orbis ;
Nec carpsere jecur volucres ; urnisque vacarunt
Belides, inque tuo sedisti, Sisyphe, saxo.
Tunc primum lacrimis, victarum carmine, fama est 
Eumenidum maduisse genas. Nec regia conjux

Sustinet oranti, nec qui regit ima, negare ;
Eurydicenque vocant.

Ovide, Les Métamorphoses, X, 40-49.

« À ces plaintes qu’accompagnent les accords de sa lyre,
Les âmes livides pleurent. Tantale ne cherche plus
À saisir l’onde qui lui échappe ; la roue d’Ixion
s’arrête ;
Les vautours ne déchirent plus le foie [de Prométhée], les Danaïdes laissent
Leurs urnes et toi, Sisyphe, tu t’assis sur ton rocher.
Pour la première fois, dit-on, les joues des Euménides
Vaincues par ce chant se mouillèrent de larmes. Ni l’épouse royale [Proserpine]
Ni celui qui gouverne les profondeurs n’ont la force de dire non à sa prière ;
Ils appellent Eurydice. »

17 Catherine PEILLON, « Les chants d’Orphée », La pensée de midi, 28, 2009/2, p. 201.

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