Domenico Beccafumi, « Cleopatra »

Domenico di Giacomo di Pace, ditMecarinoou Domenico Beccafumi (Sovicille, v. 1484 – Sienne, 1551)

Cleopatra (Cléopâtre), 1505-1506.

Possible élément de la tête d’un lit provenant d’une chambre noble, huile sur panneau, 77 x 44,7 cm.

Provenance inconnue.

Sienne, Palazzo Chigi Saracini, Collection Chigi-Saracini.

Cléopâtre, personnage historique dont la légende s’est emparée de son vivant même, était reine d’Égypte. Sa beauté, en premier lieu, était légendaire [1]« C’était une femme d’une beauté surprenante et qui, se trouvant alors dans la fleur de la jeunesse, apparaissait dans tout son éclat ; elle possédait aussi la voix la plus douce et une façon de converser agréable à tout le monde. Elle était fascinante à voir comme à écouter, avec la force de subjuguer chacun, même un homme réticent à l’amour et s’éloignant de sa … Poursuivre. C’est grâce à cette arme redoutable, ainsi qu’à un stratagème raconté par Plutarque [2]César lui ayant demandé secrètement de revenir à la ville, Cléopâtre « partit sur-le-champ, et ne prit de tous ses amis que le seul Apollodore de Sicile ; elle se mit dans un petit bateau, et arriva de nuit devant le palais d’Alexandrie. Comme elle ne pouvait y entrer sans être reconnue, elle s’enveloppa dans un paquet de couvertures, qu’Apollodore lia avec une … Poursuivre, qu’elle « réussit à subjuguer César et, en une seule nuit, à transformer le proconsul romain au point de faire de ce juge sévère un fidèle allié. » [3]Marilena CACIORGNA, « Cleopatra : La seduttrice. Regina ambiziosa ; donna appassionata ; suicidio eroico », dans Marilena CACIORGNA, Roberto GUERRINI, La Virtù figurata. Eroi ed eroine dell’antichità nell’arte senese tra Medioevo e Rinascimento, Sienne, Protagon Editori Toscani-Fondazione Monte dei Paschi di Siena, 2003, pp. 125-135. Après l’assassinat de Jules César, Marc-Antoine s’éprend à son tour de la reine égyptienne. Défaits par Octave, qui deviendra bientôt César à son tour sous le nom d’Auguste, les deux amants se donnent la mort, par amour, dit la légende [4]L’histoire, sur ce point, est beaucoup moins affirmative.. Cette mort tragique a n’a fait qu’ajouter à la part de romanesque dont sa vie est entourée. [5]La version de la mort de Cléopâtre donnée par l’historien Dion Cassius fait état de sa circonspection : « Personne ne sait au juste comment elle périt ; on ne trouva que de légères piqûres à son bras. Quelques-uns rapportent qu’elle y appliqua un aspic qui lui avait été apporté soit dans une aiguière, soit parmi des fleurs ; d’autres, qu’elle avait une … Poursuivre

Dans un article consacré à la figuration de Cléopâtre en tant que figure allégorique, Marilena Caciorgna évoque, parmi les sources possibles du thème iconographique, un poème de Boccace tiré de l’Amorosa Visione (1342-1343) (10, 55-69) :

Allora Marco Antonio quivi ritto
     Seguiva, e Cleopatra ancor con esso,
     Che in Cilicia fuggì senza rispitto
Ridottando Ottavian, perchè commesso
     Le parea forse aver sì fatta offesa,
     Che non sperava mai perdon da esso:
Ivi non potendo ella far difesa
     Al foco che l’ardeva forse il core,
     Di libidine e d’ira ond’era accesa,
A fuggir quello oltraggioso furore,
     Con due serpenti in una sepoltura
     Sofferse sostener mortal dolore:
E ancora quivi nella sua figura
     Pallida, si vedieno i due serpenti
     Alle sue zizze dar crudel morsura.

Puis Marc Antoine debout là
Suivait, et Cléopâtre toujours avec lui,
S’enfuit sans répit en Cilicie [6]Cicilie : ancienne province romaine située dans l’actuelle Turquie. C’est en Cicilie qu’Antoine et Cléopâtre s’enfuirent avant même la fin de la bataille d’Actium qui offrit la victoire à Octave.
Redoutant Octave, parce qu’il lui semblait.
Lui avoir tant fait offense
Qu’elle n’en pourrait jamais espérer le pardon.
Là, incapable de faire défense
Au feu qui lui brûlait le cœur,
Brûlant de convoitise et de colère,
Pour fuir cette fureur outrancière,
Avec deux serpents, dans un sépulcre,
Elle s’offrît à endurer une douleur mortelle.
Et c’est ainsi que sur sa figure
Pâle, on vit les deux serpents
Donner à son sein une morsure cruelle.

A Sienne, peu après la Cléopâtre et l’aspic peinte par Girolamo di Benvenuto, la reine égyptienne apparaît une nouvelle fois parmi les héroïnes d’une triade, œuvre du jeune Domenico Beccafumi dans laquelle le serpent perd cette fois-ci sa valeur emblématique, et devient un simple attribut. La figure de la reine d’Égypte, étonnante tant par sa beauté que par l’élégance aérienne des tissus de son vêtement flottant au gré d’un léger souffle, apparaît insensible à la morsure du reptile dont le mouvement est comme l’écho de celui du voile qui s’élève en volutes au-dessus de sa tête. Sur l’avant-bras droit de l’héroïne, « le serpent venimeux s’enroule en spirales qui, avec leurs cercles concentriques, semblent former un élégant bijou. La scène, configurée comme une idylle, est dépourvue de tout caractère dramatique. Cléopâtre observe le reptile avec une expression énigmatique, mais cependant empreinte de sérénité, et semble plus soucieuse de garder une pose gracieuse que terrifiée par une mort imminente. Même le paysage, par son aménité et ses tons indistincts, accentue le ton de vaghezza », ce flou d’une douceur vaporeuse qui embrasse l’œuvre jusqu’aux extrêmes lointains du paysage.

Cette figure de Cléopâtre est la dernière d’une série qui en comprend trois [7]Ce groupe de trois « femmes célèbres » constituaient probablement les trois panneaux d’un ensemble décoratif, une tête de lit ou un ornement mural destiné à une chambre., l’une des plus anciennes sur le thème de la fidélité dans le mariage, représentant trois héroïnes antiques qui en sont le symbole, respectivement JudithArtémise et la présente Cléopâtre. Leur réunion fait apparaître la continuité du paysage sur lequel se détachent les trois silhouettes féminines, venue confirmer leur appartenance à un ensemble que les péripéties de l’histoire ne sont heureusement pas parvenues à séparer. [8]Les trois héroïnes sont conservées de nos jours dans les collections du Palais Chigi Saracini, à Sienne.

Notes

Notes
1 « C’était une femme d’une beauté surprenante et qui, se trouvant alors dans la fleur de la jeunesse, apparaissait dans tout son éclat ; elle possédait aussi la voix la plus douce et une façon de converser agréable à tout le monde. Elle était fascinante à voir comme à écouter, avec la force de subjuguer chacun, même un homme réticent à l’amour et s’éloignant de sa première jeunesse. C’est pourquoi elle pensa qu’elle était dans son rôle en rencontrant César, et elle comptait sur sa beauté pour faire prévaloir ses réclamations au trône. Elle demanda donc d’être admise devant lui et, ayant obtenu cette permission, elle se para et s’apprêta afin de lui apparaître à la fois sous une apparence à la fois majestueuse et à même de lui inspirer de la pitié. Quand elle fut fin prête, elle se rendit dans la ville, de nuit, sans que Ptolémée le sache, et entra dans le palais. César, en la voyant et en l’entendant dire quelques mots, fut captivé sur-le-champ, au point que, immédiatement avant aube, il envoya chercher Ptolémée et essaya de les réconcilier : alors qu’il pensait être son juge, il se faisait son avocat. » Dion Cassius, Histoire romaine, livre 51, 34,4 et 35,1, trad. franç. d’après E. GROS, Paris, Firmin-Didot Frères, 1865.
2 César lui ayant demandé secrètement de revenir à la ville, Cléopâtre « partit sur-le-champ, et ne prit de tous ses amis que le seul Apollodore de Sicile ; elle se mit dans un petit bateau, et arriva de nuit devant le palais d’Alexandrie. Comme elle ne pouvait y entrer sans être reconnue, elle s’enveloppa dans un paquet de couvertures, qu’Apollodore lia avec une courroie, et qu’il fit entrer chez César par la porte même du palais. Cette ruse de Cléopâtre fut, dit-on, le premier appât auquel César fut pris ; il en conçut une idée favorable de son esprit, et, vaincu ensuite par sa douceur, par les grâces de sa conversation, il la réconcilia avec son frère, à condition qu’elle partagerait le trône. » PLUTARQUE, Vie de César, XLIX, 1-3, traduction D. Ricard (1830).
3 Marilena CACIORGNA, « Cleopatra : La seduttrice. Regina ambiziosa ; donna appassionata ; suicidio eroico », dans Marilena CACIORGNA, Roberto GUERRINI, La Virtù figurata. Eroi ed eroine dell’antichità nell’arte senese tra Medioevo e Rinascimento, Sienne, Protagon Editori Toscani-Fondazione Monte dei Paschi di Siena, 2003, pp. 125-135.
4 L’histoire, sur ce point, est beaucoup moins affirmative.
5 La version de la mort de Cléopâtre donnée par l’historien Dion Cassius fait état de sa circonspection : « Personne ne sait au juste comment elle périt ; on ne trouva que de légères piqûres à son bras. Quelques-uns rapportent qu’elle y appliqua un aspic qui lui avait été apporté soit dans une aiguière, soit parmi des fleurs ; d’autres, qu’elle avait une aiguille, avec laquelle elle relevait ses cheveux, enduite d’un venin, dont la subtilité était telle que, sans faire aucun mal au corps, si peu qu’il fût mis en contact avec le sang, il causait une mort prompte et exempte de douleur, aiguille qu’elle portait constamment à sa tête, suivant la coutume, et qu’alors, après s’être préalablement fait une piqûre, elle enfonça jusqu’au sang. Telle est la vérité, ou du moins ce qui en approche le plus, sur la manière dont elle périt avec ses deux femmes : car l’eunuque, dès que sa maîtresse fut saisie, s’était livré lui-même volontairement aux reptiles, et, mordu par eux, s’était élancé dans un cercueil qu’il s’était préparé. César, à la nouvelle de la mort de Cléopâtre, fut frappé de douleur ; il visita son corps, fit venir des remèdes et des Psylles, pour tâcher de la sauver. Les Psylles sont des hommes (il ne naît aucune femme Psylle) ; ils peuvent, sur le moment, avant qu’une personne soit morte, faire sortir par la succion tout le venin d’un reptile, sans eux-mêmes en éprouver aucun danger, attendu qu’aucun de ces animaux ne les mord. Ils naissent les uns des autres, et, pour éprouver la légitimité de leurs enfants, ils les lancent, aussitôt nés, au milieu de serpents, ou bien ils jettent leurs langes sur les serpents. Les reptiles ne font aucun mal à l’enfant et s’engourdissent au contact de ses vêtements. Voilà ce qui en est à cet égard. César, n’ayant pu par aucun moyen rappeler Cléopâtre à la vie, fut saisi d’admiration et de pitié pour elle, de douleur pour lui-même, comme s’il eût été par là privé de la plus belle partie de sa victoire. » Dion CASSIUS, Histoire Romaine, livre 51, 145-149 (trad. franç. : E. GROS, Paris, Firmin-Didot Frères, 1865).
6 Cicilie : ancienne province romaine située dans l’actuelle Turquie. C’est en Cicilie qu’Antoine et Cléopâtre s’enfuirent avant même la fin de la bataille d’Actium qui offrit la victoire à Octave.
7 Ce groupe de trois « femmes célèbres » constituaient probablement les trois panneaux d’un ensemble décoratif, une tête de lit ou un ornement mural destiné à une chambre.
8 Les trois héroïnes sont conservées de nos jours dans les collections du Palais Chigi Saracini, à Sienne.