Domenico di Giacomo di Pace, dit ‘Mecarino’ ou Domenico Beccafumi (Sovicille, v. 1484 – Sienne, 1551)
Giuditta (Judith), 1506-1507.
Possible élément de la tête d’un lit provenant d’une chambre noble, huile sur panneau, 77 x 44 cm.
Provenance inconnue.
Sienne, Palazzo Chigi Saracini, Collection Chigi-Saracini.
Première figure d’une série qui en comprend trois, Judith est représentée tenant par les cheveux la tête sanglante d’Holopherne que, par ruse, elle parvînt, selon la légende, à décapiter, évitant ainsi la reddition devenue imminente de Béthulie [1]Béthulie était, selon le légende, une place forte située sur une montagne de Judée., alors que la ville subissait le siège des troupes d’Holopherne, général de l’armée du roi Nabuchodonosor. Au Moyen Âge, Judith symbolisait déjà la fidélité, la chasteté et la continence triomphant de l’orgueil et de la luxure des babyloniens. Il faut remonter au récit biblique pour comprendre l’origine de ce symbole. Dans l’Ancien Testament, le Livre de Judith [2]Le Livre de Judith (Jdt) fait partie des textes deutérocanoniques, c’est-à-dire exclus du canon de la religion juive (et donc considéré comme apocryphes par les Églises protestantes), mais accepté comme canonique par les Églises catholique et orthodoxe. met l’accent sur la piété exemplaire de l’héroïne mais aussi sur sa chasteté de jeune veuve restée quatre nuits dans le camp du général sans perdre sa pureté. Pendant la dix-huitième année du règne de Nabuchodonosor II, la Judée est conquise par Holopherne, au nom du roi désireux d’annexer à son empire les pays avoisinants et de s’y faire adorer comme le seul Dieu [3]« Mais il n’en dévasta pas moins leurs sanctuaires et coupa leurs arbres sacrés, conformément à la mission reçue d’exterminer tous les dieux indigènes pour obliger les peuples à ne plus adorer que le seul Nabuchodonosor et forcer toute langue et toute race à l’invoquer comme dieu. » Jdt 3, 8.. Holopherne et ses hommes assiègent bientôt Béthulie et s’emparent de la source qui ravitaille en eau la ville. Le stratagème vise à obliger la population à se livrer aux envahisseurs [4]« Durant trente quatre jours l’armée assyrienne, fantassins, chars et cavaliers, les tint encerclés. Les habitants de Béthulie virent se vider toutes les jarres d’eau et les citernes s’épuiser. On ne pouvait plus boire à sa soif un seul jour, car l’eau était rationnée. Les enfants s’affolaient, les femmes et les adolescents défaillaient de soif. Ils … Poursuivre. Épuisés et résignés, les habitants se réunissent autour d’Ozias, le prince de la cité ; ils décident de prier leur Seigneur Dieu durant cinq jours à l’issue desquels ils se livreront aux assyriens si aucun secours ne leur parvient.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’action de Judith, belle et jeune femme d’une grande sagesse, et très pieuse depuis son veuvage survenu trois ans auparavant. Elle rencontre Ozias [5]Ozias, roi de Juda durant 52 ans, au milieu du VIIIe siècle av. J.-C. et d’anciens chefs de la ville, leur fait part d’un plan, sans en dévoiler la nature, afin de sauver son peuple [6]« Écoutez-moi bien. Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra aux enfants de notre race d’âge en âge. Vous, trouvez-vous cette nuit à la porte de la ville. Moi, je sortirai avec ma servante et, avant la date où vous aviez pensé livrer la ville à nos ennemis, par mon entremise le Seigneur visitera Israël. Quant à vous, ne cherchez pas à connaître ce que je … Poursuivre. Parée de ses plus beaux atours [7]« […] elle se fit aussi belle que possible pour séduire les regards de tous les hommes qui la verraient. » Jdt 10, 4., Judith parvient au camp d’Holopherne ; elle précise au général son plan, d’inspiration divine, destiné à lui livrer les Hébreux. Convaincu par la sagesse de ses paroles de la jeune, et davantage encore épris de sa beauté, Holopherne la laisse agir en toute liberté, lui permettant même, chaque soir, de sortir du camp pour aller adorer son Dieu [8]« […] Moi, ta servante, je sortirai de nuit dans le ravin et j’y prierai Dieu afin qu’il me fasse savoir quand ils auront consommé leur faute. » Jdt 11, 17.. Le quatrième soir, Holopherne donne un grand banquet, où sont invités ses officiers et Judith, qui a su gagner sa confiance. À la fin du repas, l’héroïne est « laissée seule dans la tente avec Holopherne effondré sur son lit, noyé dans le vin. » [9]Jdt 13, 2. C’est le moment idéal pour mettre en œuvre son plan ; elle invoque Dieu en silence, puis, mettant ce plan à exécution, elle tranche la tête d’Holopherne avant de l’emporter dans sa fuite [10]« Elle s’avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d’Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s’approchant de la couche, elle saisit la chevelure de l’homme et dit : Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d’Israël ! Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et … Poursuivre
On ne peut qu’admirer la splendeur de cette figure féminine vêtue de légers voiles encore frémissants de l’exploit qu’elle vient d’accomplir, comme l’indique également l’épée [11]La position un peu malencontreuse de l’épée – pour ne rien dire du traitement indigent de la main qui la maintient – est due à une modification rendue nécessaire par une diminution de la hauteur du panneau bien après que celui-ci ait été peint par Beccafumi. qu’elle maintient au-dessus de sa tête, comme prête à frapper à nouveau l’ennemi menaçant son peuple. Aucune gravité ne transparaît dans le maintient de la jeune femme, empreint d’une grâce aérienne, ni dans l’expression parfaitement sereine de son visage éclairé d’un léger sourire. Le regard posé droit sur le spectateur, elle semble prendre celui-ci à témoin, comme le furent les destinataires de l’œuvre, eux-mêmes invités à méditer sur les vertus de la jeune veuve, sa force d’âme et son courage héroïque.
La Judith de Beccafumi fait partie de l’une des plus anciennes série de figures peintes à Sienne sur le thème de la fidélité dans le mariage. Cet ensemble comprend trois héroïnes antiques qui en sont le symbole. La triade de personnages exemplaires de l’Antiquité biblique ou classique relève d’un genre, qualifié de parénétique [12]Parénétique : en rapport avec la parénèse, genre littéraire auquel appartiennent le discours moral ou l’exhortation à la vertu d’un sermon ou d’une homélie., qui connut un succès particulier dans la peinture de Sienne au cours de la première moitié du Cinquecento. La série la plus grande et la plus connue est probablement celle exécutée pour le mariage des frères Antonio et Giulio Spannocchi, en 1493 [13]Vilmos TÁTRAI, « Il Maestro della storia di Griselda e una famiglia senese di mecenati dimenticata », dans Acta historiae artium Academiae Scientiarium Hungaricae, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1979, pp, 27-66., à laquelle divers peintres ont collaboré [14]Voir Vilmos TÁTRAI, op. cit., p. .. Les ensembles plus restreints, essentiellement des groupes de trois, ont également dû être fréquents [15]Fiorella SRICCHIA SANTORO [1981] 1987, p. 450.. Ces trois panneaux, représentant Judith, accompagnée d’Artémise et de Cléopâtre, constituaient probablement un ensemble complet, comme l’induit l’existence de nombreux autres cas analogues. [16]Parmi ces exemples : les trois panneaux, sur le même sujet, répartis entre le Musée Bonnat de Bayonne et la Wallace Collection de Londres ; la Cornelia (Rome, Galleria Doria-Pamphilj), la Tanaquilla et la Marzia (Londres, National Gallery) de Domenico Beccafumi ; la Cléopâtre (anciennement Florence, coll. Grassi), la Vestale Tuccia (Prague, Narodni Galerie) et la Vestale Porcia (Chambéry, … Poursuivre
Notes
1↑ | Béthulie était, selon le légende, une place forte située sur une montagne de Judée. |
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2↑ | Le Livre de Judith (Jdt) fait partie des textes deutérocanoniques, c’est-à-dire exclus du canon de la religion juive (et donc considéré comme apocryphes par les Églises protestantes), mais accepté comme canonique par les Églises catholique et orthodoxe. |
3↑ | « Mais il n’en dévasta pas moins leurs sanctuaires et coupa leurs arbres sacrés, conformément à la mission reçue d’exterminer tous les dieux indigènes pour obliger les peuples à ne plus adorer que le seul Nabuchodonosor et forcer toute langue et toute race à l’invoquer comme dieu. » Jdt 3, 8. |
4↑ | « Durant trente quatre jours l’armée assyrienne, fantassins, chars et cavaliers, les tint encerclés. Les habitants de Béthulie virent se vider toutes les jarres d’eau et les citernes s’épuiser. On ne pouvait plus boire à sa soif un seul jour, car l’eau était rationnée. Les enfants s’affolaient, les femmes et les adolescents défaillaient de soif. Ils tombaient dans les rues et aux issues des portes de la ville, sans force aucune. » Jdt 7, 20-22. |
5↑ | Ozias, roi de Juda durant 52 ans, au milieu du VIIIe siècle av. J.-C. |
6↑ | « Écoutez-moi bien. Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra aux enfants de notre race d’âge en âge. Vous, trouvez-vous cette nuit à la porte de la ville. Moi, je sortirai avec ma servante et, avant la date où vous aviez pensé livrer la ville à nos ennemis, par mon entremise le Seigneur visitera Israël. Quant à vous, ne cherchez pas à connaître ce que je vais faire. Je ne vous le dirai pas avant de l’avoir exécuté. » Judith 8, 32-34. |
7↑ | « […] elle se fit aussi belle que possible pour séduire les regards de tous les hommes qui la verraient. » Jdt 10, 4. |
8↑ | « […] Moi, ta servante, je sortirai de nuit dans le ravin et j’y prierai Dieu afin qu’il me fasse savoir quand ils auront consommé leur faute. » Jdt 11, 17. |
9↑ | Jdt 13, 2. |
10↑ | « Elle s’avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d’Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s’approchant de la couche, elle saisit la chevelure de l’homme et dit : Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d’Israël ! Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après, elle sortit et donna la tête d’Holopherne à sa servante qui la mit dans la besace à vivres, et toutes deux sortirent du camp, comme elles avaient coutume de le faire pour aller prier. Une fois le camp traversé, elles contournèrent le ravin, gravirent la pente de Béthulie et parvinrent aux portes. » Jdt 13, 6-10. |
11↑ | La position un peu malencontreuse de l’épée – pour ne rien dire du traitement indigent de la main qui la maintient – est due à une modification rendue nécessaire par une diminution de la hauteur du panneau bien après que celui-ci ait été peint par Beccafumi. |
12↑ | Parénétique : en rapport avec la parénèse, genre littéraire auquel appartiennent le discours moral ou l’exhortation à la vertu d’un sermon ou d’une homélie. |
13↑ | Vilmos TÁTRAI, « Il Maestro della storia di Griselda e una famiglia senese di mecenati dimenticata », dans Acta historiae artium Academiae Scientiarium Hungaricae, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1979, pp, 27-66. |
14↑ | Voir Vilmos TÁTRAI, op. cit., p. . |
15↑ | Fiorella SRICCHIA SANTORO [1981] 1987, p. 450. |
16↑ | Parmi ces exemples : les trois panneaux, sur le même sujet, répartis entre le Musée Bonnat de Bayonne et la Wallace Collection de Londres ; la Cornelia (Rome, Galleria Doria-Pamphilj), la Tanaquilla et la Marzia (Londres, National Gallery) de Domenico Beccafumi ; la Cléopâtre (anciennement Florence, coll. Grassi), la Vestale Tuccia (Prague, Narodni Galerie) et la Vestale Porcia (Chambéry, Musée des Beaux-Arts) de Girolamo di Benvenuto ; Ippo, Camilla et Lucrezia (anciennement Sienne, coll. Chigi-Zondadari) de Guidoccio Cozzarelli ; trois Héros antiques (répartis entre le Musée du Petit Palais à Avignon et le Musée Isabella Stewart Gardner à Boston) du cercle de Neroccio di Bartolomeo de’ Landi. |
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