‘Il Sassetta’, « Una città sul mare » ; « Un castello in riva al mare »

Stefano di Giovanni dit ‘Il Sassetta’ (Sienne ou Cortone, 1390 [?], documenté à Sienne à partir de 1426 – 1450 ou 1451)

Un castello in riva al mare (Un château en bord de mer), 1423-1426.

Tempéra sur panneau, 22,8 x 33,5 cm.

Provenance : ?

Sienne, Pinacoteca Nazionale.

Stefano di Giovanni dit ‘Il Sassetta’ (Sienne ou Cortone, 1390 [?], documenté à Sienne à partir de 1426 – 1450 ou 1451)

Una città sul mare (Une ville au bord de la mer), 1423-1426.

Tempéra sur panneau, 22,5 x 33 cm.

Provenance : ?

Sienne, Pinacoteca Nazionale.

Le mystère qui émane de ces deux petits paysages ainsi que la fascination qu’ils exercent ne sont, certes, pas diminués par le fait qu’après des décennies de conjectures et de polémiques, les spécialistes ne s’entendent toujours pas avec certitude sur le nom de leur auteur. Le plus souvent, c’est celui de Sassetta qui est dorénavant avancé (comme le rappelle à ce jour le cartel de la Pinacothèque de Sienne) mais c’est le nom d’Ambrogio Lorenzetti que retenait naguère le catalogue de cette même Pinacothèque, rédigé par Piero Torriti [1]Pietro TORRITI, La Pinacoteca Nazionale di Siena. I dipinti dal XII al XV secolo. Sagep, Gènes, 1977. en 1977. Dans les deux cas, nous avons affaire à deux géants de la peinture siennoise entre lesquels, en dépit des années qui les séparent, une histoire de l’art sourcilleuse et inquiète ne parvient pas à trancher.

Ces deux paysages énigmatiques frappent par « la pureté des contours, la touche savante de la lumière qui fait naître ce scintillement tremblant et pourtant flou des reflet cristallins qui est l’une des caractéristiques d’Ambrogio. Et il y a ce silence enchanteur qui sublime les objets précieux et immuables qui marquent, dans le jeu délicat des verts et des roses, les phases du développement de ces deux scènes incroyables : il y a des coquilles de noix semblant collées sur les ondes, les pinacles des tours à l’aspect si fragile, protégées entre les murs crénelés, des arbres prêts à s’agiter comme de verts plumets au premier souffle du vent. Et les vêtements bleus, roses et blancs, avec, à côté, le noir serpentement d’une ceinture que la baigneuse nue a abandonnés sur la rive. Elle est parfaitement exceptionnelle cette figure si l’on pense à l’époque dans laquelle elle a été peinte ; elle l’est tellement qu’elle suffirait pour confirmer, comme nous allons le voir, le caractère profane de son sujet. « Si Ambrogio en est vraiment l’auteur, comme nous le pensons de concert avec Brandi, Carli, etc., ces deux célébrissimes tablettes représentent les premiers “paysages purs” [2]Comme l’a justement remarqué Enzo Carli, si ces paysages étaient l’œuvre d’Ambrogio Lorenzetti, il s’agirait du premier exemple attesté en Europe d’un « paysage pur (*) ».

(*) ENZO CARLI, La pittura senese del Trecento, Milan, Electa, 1980, p. 208.
de toute la peinture occidentale. » Nul récit ici, rien à voir ni à raconter, sinon à méditer sur « deux cités dans le silence  [3]Chiara FRUGONI (dir.), Pietro e Ambrogio Lorenzetti, Florence, Le Lettere, 2004, p. 183. ». On comprend bien pourquoi cette peinture pure touche tant le goût actuel, et « pourquoi on laisse si aisément embarquer notre rêverie dans l’esquif délicatement ourlé – à la manière de deux lèvres jointes – qui mouille à l’ombre de la deuxième cité de Lorenzetti, comme le notait le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis  [4]« Chaque fois qu’une femme l’attire, il revoit la barque de Lorenzetti. Elle est vide, il en sera l’unique passager. » Jean-Bertrand PONTALIS, Le dormeur éveillé, Paris, Mercure de France, 2004, p. 13.. Mais il n’est pas non plus interdit de rappeler que cet usage d’un réalisme figuratif et muet tournant le dos à tout ce que Leon Battista Alberti appellera plus tard l’historia se réfère, à Sienne dans les années 1330, à un usage social politiquement circonscrit [5]Patrick Boucheron, « ‘Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici’. La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2005/6, pp. 1137-1199.. »

Il faut cependant accepter l’hypothèse fondée que ces derniers aient fait partie d’un ensemble, presque certainement d’une armoire sur laquelle, peut-être, étaient représentées des possessions de la République siennoise. Au revers de la tablette, de fait, apparaît la trace discrète d’une traverse de bois qui pourraient avoir servi à maintenir ensemble les diverses parties qui constituaient la face avant du meuble. Il n’est pas sûr qu’il faille écarter l’hypothèse de Carli selon laquelle le Château au bord du lac pouvait faire référence à quelque propriété siennoise sur le lac de Chiusi ou de Montepulciano, tandis que la Cité sur la mer renvoyait à la ville-forteresse de Talamone (sur la côte de la Maremme toscane), d’autant plus que, sur la droite, apparaît cette exceptionnelle baigneuse nue ; et à Talamone, à côté du petit port, il existe un lieu appelé depuis toujours « le bain des dames ». En son temps, Carlo Ragghianti proposait encore l’idée que ces deux paysages aient pu faire partie de la « Mappamundus Volubilis » peinte par Ambrogio Lorenzetti dans la salle du Palais Communal qui porte encore le nom de « salle de la Mappemonde » [6]La « Salle de la Mappemonde » (Sala del Mappamondo), au Palazzo Pubblico, doit son nom à la mappemonde tournante peinte par Ambrogio Lorenzetti en 1345 mais disparue aujourd’hui. Deux fresques murales de Simone Martini ornent encore cette salle : la Maestà de Simone Martini et le portrait équestre du condottiere Guidoriccio da Fogliano all’assedio di Montemassi, du même … Poursuivre. Mais à cette idée assez inattendue se heurte à « de forts obstacles [7]Pietro TORRITI, op. cit., p. 113. ». Pietro Torriti explique, en effet, que la fameuse mappemonde était peinte sur parchemin, ainsi que l’indiquent les sources anciennes, et rejette également l’hypothèse, formulée par Federico Zeri selon laquelle les deux paysages seraient des éléments constitutifs du Retable de la Guilde de la laine peint entre 1423 et 1426 par Sassetta [8]Alors que, dans la foulée d’un écrit anonyme du début du XVe siècle, les deux panneaux étaient de longue date attribués à Ambrogio Lorenzetti, Federico Zeri, en 1973, a émis l’hypothèse qu’il s’agissait de deux paysages du panneau principal du retable de la Guilde de la laine. Cette thèse est actuellement validée par un grand nombre d’historiens de l’art..

Quoi qu’il en soit des querelles relatives à l’attribution de ces deux œuvres ou à leur emplacement d’origine, sinon à leur signification, il demeure le sentiment de merveilleux et de mystère poétique qui en émane, l’étonnant silence de cette ville improbable au bord d’une mer qui l’est tout autant, le petit bateau aux voiles blanches qui vogue sans même sembler se déplacer, cette autre barque abandonnée immobile au bord du rivage, dans un temps indéfiniment suspendu, et cette étrange baigneuse que l’on devine à peine alors qu’elle est là, discrètement présente au premier plan, seule, unique trace de vie humaine, si indifférente au monde qui l’environne, à qui elle tourne le dos, et qui cependant ressemble à s’y méprendre à un rêve éveillé

Comme l’a noté Enzo Carli, il s’agit des premiers exemples attestés en Europe d’un « paysage pur ». Nul récit ici, rien à voir ni à raconter, sinon à méditer sur ces « deux cités dans le silence  [9]Chiara FRUGONI (dir.), Pietro e Ambrogio Lorenzetti, op. cit., p. 183. ». « On comprend bien pourquoi cette peinture pure touche tant le goût actuel, et pourquoi on laisse si aisément embarquer notre rêverie dans l’esquif délicatement ourlé – à la manière des deux lèvres jointes d’une même bouche – qui mouille à l’ombre de la deuxième cité de Lorenzetti, comme le notait le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis  [10]« Chaque fois qu’une femme l’attire, il revoit la barque de Lorenzetti. Elle est vide, il en sera l’unique passager. » Jean-Bertrand PONTALIS, Le dormeur éveillé, Paris, Mercure de France, 2004, p. 13.. Mais il n’est pas non plus interdit de rappeler que cet usage d’un réalisme figuratif et muet tournant le dos à tout ce que Leon Battista Alberti appellera plus tard l’historia se réfère, à Sienne dans les années 1330, à un usage social politiquement circonscrit [11]Patrick Boucheron, op. cit., pp. 1137-1199.. »

Notes

Notes
1 Pietro TORRITI, La Pinacoteca Nazionale di Siena. I dipinti dal XII al XV secolo. Sagep, Gènes, 1977.
2 Comme l’a justement remarqué Enzo Carli, si ces paysages étaient l’œuvre d’Ambrogio Lorenzetti, il s’agirait du premier exemple attesté en Europe d’un « paysage pur (*) ».

(*) ENZO CARLI, La pittura senese del Trecento, Milan, Electa, 1980, p. 208.

3 Chiara FRUGONI (dir.), Pietro e Ambrogio Lorenzetti, Florence, Le Lettere, 2004, p. 183.
4 « Chaque fois qu’une femme l’attire, il revoit la barque de Lorenzetti. Elle est vide, il en sera l’unique passager. » Jean-Bertrand PONTALIS, Le dormeur éveillé, Paris, Mercure de France, 2004, p. 13.
5 Patrick Boucheron, « ‘Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici’. La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2005/6, pp. 1137-1199.
6 La « Salle de la Mappemonde » (Sala del Mappamondo), au Palazzo Pubblico, doit son nom à la mappemonde tournante peinte par Ambrogio Lorenzetti en 1345 mais disparue aujourd’hui. Deux fresques murales de Simone Martini ornent encore cette salle : la Maestà de Simone Martini et le portrait équestre du condottiere Guidoriccio da Fogliano all’assedio di Montemassi, du même auteur.
7 Pietro TORRITI, op. cit., p. 113.
8 Alors que, dans la foulée d’un écrit anonyme du début du XVe siècle, les deux panneaux étaient de longue date attribués à Ambrogio Lorenzetti, Federico Zeri, en 1973, a émis l’hypothèse qu’il s’agissait de deux paysages du panneau principal du retable de la Guilde de la laine. Cette thèse est actuellement validée par un grand nombre d’historiens de l’art.
9 Chiara FRUGONI (dir.), Pietro e Ambrogio Lorenzetti, op. cit., p. 183.
10 « Chaque fois qu’une femme l’attire, il revoit la barque de Lorenzetti. Elle est vide, il en sera l’unique passager. » Jean-Bertrand PONTALIS, Le dormeur éveillé, Paris, Mercure de France, 2004, p. 13.
11 Patrick Boucheron, op. cit., pp. 1137-1199.

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