Francesco di Giorgio Martini (attr.), “Adorazione del Bambino. Pala Tancredi”

  • Pala Tancredi (Retable Tancredi) :
    • Francesco di Giorgio Martini (attr.), Adorazione del Bambino, vers 1490 (panneau central)
    • Matteo di Giovanni, Cristo in pietà tra i santi Michele e Maddalena (lunette)
    • Bernardino Fungai, Cinque scene (prédelle)

Tempera sur panneau, 239 x 209 cm. ; ;

Provenance :

Sienne, Basilique de San Domenico.

Lunette

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La figure centrale de la lunette est caractéristique du modèle iconographique qui vaut le nom de Christ de Piété à ce type de représentation. Sur un plan religieux, ce type d’images vise à susciter chez le spectateur une lente méditation sur les souffrances endurées pour lui. Cette raison d’être explique à elle seule l’absence de tout élément narratif ; elle justifie également un dépouillement qui peut aller jusqu’à l’abstraction. Un fond d’or, ou monochrome, joue en général parfaitement ce rôle. Par sa géométrie et son rigoureux parallélisme avec le plan de la surface peinte, le dessin du tombeau, à sa manière, fait écho à cette recherche d’abstraction.

La portée du message contenu dans l’image peinte de cette lunette n’est pourtant pas exactement de même nature. Un discret souci de narration y est observable et, en s’y ajoutant, minimise, d’une certaine manière, le caractère austère propre au genre dramatique de la scène. Voici le sujet essentiel, celui sur lequel doit focaliser le regard : au centre de l’image, sur l’axe de symétrie, le Christ aux yeux clos, soutenu par deux anges, semble maintenu hors du tombeau où il était enseveli. Il offre au regard l’image d’un corps meurtri, auquel la mort a donné une couleur livide. L’image immobile n’appelle que silence et méditation.

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De part et d’autre, deux figures de saints agenouillés en adoration (dans la même position que le fidèle auquel l’image est destinée) observent le groupe central. La dissymétrie de leurs attitudes et, plus encore, des masses colorées qu’elles introduisent dans l’image constituent en elles-mêmes une rupture dans l’équilibre parfait de la symétrie ; un peu de mouvement aussi, c’est-à-dire, déjà, un peu de narration. Michel, splendide dans son armure luisante de guerrier, étincelante de reflets lumineux, et qui ne semble pas le moins du monde entraver ses mouvements, exprime avec un peu d’emphase l’émotion qu’il éprouve à la vue du spectacle lamentable. Sa main droite crispée résume à elle seule l’extrême tension de tout un corps que l’on voit se pencher vers le Christ, dans un mouvement qui épouse la forme cintrée du cadre pictural.

En face, Madeleine, apparemment absorbée dans la contemplation, contribue pourtant elle-aussi à distraire le spectateur. L’élément de distraction qu’elle introduit tient au fait que la sainte n’est pas exactement dans l’attitude de prière qu’appelle le groupe central. Le rapprochement de la coupe qu’elle présente de la main droite semble faire signe. Cette coupe ouvragée que Madeleine maintient sous la main du Christ est à la fois l’un de ses attributs et le rappel du pot d’onguent avec lequel elle a lavé les pieds de Jésus à Béthanie. Elle s’en distingue néanmoins de deux façons : la précieuse lumière d’or qui émane de cet objet dont le couvercle flotte étrangement en apesanteur, évoque par sa préciosité même une autre coupe miraculeuse, celle dans laquelle Joseph d’Arimathie a recueillit le sang de Jésus au pied de la Croix, un objet que la légende présente sous le nom de Graal [1]. L’accent est mis sur le sang du Christ, objet de dévotion et symbole non dénué de liens avec le figuré du Christ mort.

Ainsi, nombre de petits détails ouvrent la voie à l’interprétation. C’est aussi en cela qu’ils introduisent une part de narration, dans un contexte qui n’en avait a priori nul besoin. Ce qu’ils auraient pu lui faire perdre en gravité, l’œuvre le gagne en densité ; les bruitages introduits dans le silence indispensable à la méditation y résonnent sans doute d’autant plus fort qu’ils augmentent, en quelque sorte, le sens contenu dans l’image.

Panneau central

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Attribuée à Francesco di Giorgio Martini, cette Nativité ou Adoration de l’Enfant (vers 1490), a en partie été exécutée par Bernardino Fungai et un autre peintre aujourd’hui inconnu, du nom de Lodovico Scotti.

Sur le devant de la scène, appuyé contre le fragment d’une corniche de marbre provenant des ruines qui se trouvent à l’arrière-plan, gît l’enfant à peine né. Autour de lui, la Vierge est en adoration et Joseph, assis sur une pierre, semble exprimer à sa manière les mêmes sentiments. Derrière eux, sur la droite, deux bergers entrent dans l’espace de la représentation après avoir enjambé les ruines qui le circonscrivent. Ils ont été précédés par les deux anges splendides que l’on voit sur la gauche.

La composition de l’ensemble est d’une remarquable efficacité. En déployant les personnages selon deux directions diagonales opposées formant un “V”, elle met l’accent sur l’enfant Jésus qu’elle projette vers l’avant, tout en ouvrant une large perspective sur le majestueux arc de triomphe en ruine qui en devient plus imposant encore, et auquel elle donne une importance particulière. Sur ses parois, deux médaillons représentent respectivement Marcus Curtius [2] et Caius Mucius Scaevola [3], deux personnages appartenant à l’histoire romaine, tous deux, à leur manière, témoins et acteurs de la grandeur de Rome. Ainsi, l’arc de triomphe revêt une importance qui va largement au-delà de l’anecdote ou du seul détail paysager : sa présence évoque symboliquement un monde antique dont les ruines disent la décomposition en même temps qu’elles soulignent, avec la naissance de l’enfant, le début d’une ère nouvelle. Loin d’être seulement un ornement relevant d’un quelconque caprice du peintre (des ruines plutôt qu’une étable …), cet arc de triomphe en ruine participe à part entière au sens dont l’image est chargée.

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Prédelle

Les cinq panneaux de la prédelle représentent des scènes chères au dominicains, parmi lesquelles figurent la Vision de sainte Catherine, le Martyre de saint Sébastien, le Massacre des Innocents, le Prêche de saint Dominique et la Madeleine dans le désert :

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[1] La lumière d’or qui émane de ce vase, dont le couvercle flotte en apesanteur, évoque par sa préciosité le sang du Christ qu’il a recueilli.

[2] Tite-Live, Histoire Romaine, Livre VII, Chapitre 6 « (1) La même année [362 avant J.C], on dit qu’un tremblement de terre ou toute autre cause ouvrit un vaste gouffre vers le milieu du Forum dont le sol s’écoula à une immense profondeur: (2) et les monceaux de terre que chacun, selon ses forces, y apporta, ne purent combler cet abîme. Sur un avis des dieux, on s’occupa de chercher ce qui faisait la principale force du peuple romain; (3) car c’était là ce qu’il fallait sacrifier en ce lieu, au dire des devins, si on avait à coeur l’éternelle durée de la république romaine. Alors M. Curtius, jeune guerrier renommé, s’indigna, dit-on, qu’on pût hésiter un instant que le plus grand bien pour Rome fût la vaillance et les armes. (4) Il impose silence, et, tourné vers les temples des dieux immortels qui dominent le Forum, les yeux sur le Capitole, les mains tendues au ciel ou sur les profondeurs de la terre béante, il se dévoue aux dieux Mânes; (5) puis, monté sur un coursier qu’il a, autant qu’il a pu, richement paré, il s’élance tout armé dans le gouffre, où une foule d’hommes et de femmes répandent sur lui les fruits et les offrandes qu’ils avaient recueillis. »

[3] Mucius Scaevola, jeune Romain (fin du vie s. avant J.-C.). Héros de la jeune république romaine, Mucius Scaevola se brûla volontairement la main devant l’ennemi de Rome, le roi Porsenna. Prouvant ainsi sa détermination et celle des Romains, cet acte de bravoure amena la paix.