
Ugolino di Nerio (Sienne, documenté de 1317 à 1327)
Madonna col Bambino e santi (Vierge à l’Enfant et saints), 1325-1330.
Tempera et or sur panneau, 95,7 x 60,3 cm. (Vierge à l’Enfant) ; 80,2 x 46,3 cm (Pierre) ; 80,3 x 46,5 cm (Paul) ; 55,8 x 33,8 cm (Le Rédempteur bénissant) ; 47,5 x 27,5 cm (André) ; 47,6 x 27,5 cm (Etienne).
Inscriptions :
- (sur l’encadrement, sous la figure de Paul) : « S. PAVLVS. APLS »
- (sur l’encadrement, sous la figure de PIERRE) : « S. PETRVS. APLS »
Provenance : Église de San Pietro in Villore, San Giovanni d’Asso (Montalcino)
Florence, Galerie des Offices, Collezione Contini-Bonacossi.
L’histoire chaotique de ce triptyque fait partie de la longue série des vicissitudes subies, depuis la fin du XVIIIe s. jusqu’à nos jours, par un nombre trop important d’œuvres de l’art italien. Sans entrer trop avant dans le détail de l’histoire de ce triptyque, qu’il suffise d’indiquer qu’après avoir orné pendant des siècles l’autel de la petite église de San Pietro in Villore, à San Giovanni d’Asso, il est entré en 1939 dans la célèbre collection de la famille florentine des Contini Bonacossi, avant de faire l’objet, à l’issue de longues négociations, d’une donation à l’Etat italien par les héritiers du dernier propriétaire dans les années 60-70 du siècle dernier. Après avoir erré de lieux en lieux, cette collection est dorénavant exposée en permanence dans les salles qui lui sont consacrées au sein de la Galerie des Offices, à Florence.
L’œuvre est aujourd’hui unanimement attribuée à Ugolino di Nerio (certains critiques voient aussi la main du jeune Bartolomeo Bulgarini alors en formation dans l’atelier d’Ugolino [1]).
Reconstitué après avoir été séparé en plusieurs parties, le triptyque est aujourd’hui rétabli dans sa forme originale, composée de six panneaux : trois sont situés au niveau du registre principal et trois autres, dans le couronnement, plus petits et au format pointu qui leur vaut le nom de cuspides.
Registre principal
Au centre, l’image reprend fidèlement le motif, élaboré par Duccio, de la Vierge absorbée dans la contemplation mélancolique de son fils. Vêtue du manteau bleu qui lui est habituel, elle porte fermement son fils dans les bras. Celui-ci, le regard fixé sur elle, tire énergiquement, à l’aide des deux mains, sur un pan du voile de Marie, dans un geste destiné à évoquer une légende orientale : selon cette légende, ce voile serait le même que celui avec lequel Marie aurait enveloppé l’enfant Jésus à sa naissance, avant de devenir, des années plus tard, le perizonium que le Christ portera sur la croix [1].
À gauche de la Vierge, reconnaissable à sa calvitie naissante, à sa longue barbe brune et à l’épée, instrument de son martyre ainsi que signe de son statut de citoyen romain [2], qu’il brandit de la main droite tandis que de la gauche, Paul tient bien en vue le livre. Son geste est mis ici en évidence d’une manière qui renvoie peut-être au rôle prépondérant de l’apôtre dans la divulgation de la foi chrétienne et l’assistance aux premières églises qu’il mena à bien au moyen de ses lettres. On notera la manière discrète, mais néanmoins présente, avec laquelle Paul et Pierre (qui figure à droite) sont mis en parallèle par le biais de la couleur identique mais inversée de leurs vêtements. Ce jeu dissymétrique des couleurs vient souligner le rôle de pères fondateurs de l’Eglise qu’ils ont en commun, rôle qui leur vaut d’être presque toujours représentés en parallèle, formant un ensemble de deux figures complémentaires au sein du complexe iconographique dans lequel ils prennent place. [3]
Faisant pendant, à droite, à la figure de Paul, Pierre est vu frontalement, comme pour souligner la dignité qui est la sienne en tant que premier apôtre et premier pontife de l’église chrétienne. En le présentant ainsi comme fondateur de l’Eglise, l’image de Pierre souligne pourtant l’humanité qui est la sienne. Aucunement stéréotypé, son visage présente la physionomie caractéristique de son personnage, au tempérament fort et impulsif, ouvert et généreux, humain au point de faillir au dernier moment et de renier le Christ par trois fois, avant de confirmer enfin sa foi à plusieurs reprises et de mourir à son tour sur la croix au nom de cette dernière.
Couronnement
Le triptyque, dans son registre supérieur, ou couronnement, comporte trois cuspides représentant, au centre, le Rédempteur bénissant au visage grave. Répartis de part et d’autre, deux saints dont les figures sont intimement liées à celles des deux apôtres représentés dans le registre principal, forment, à leur tour, un ensemble iconographique particulièrement cohérent : à droite, au-dessus de Pierre, un saint lui aussi vêtu d’un ample manteau vert, tient un livre dans la main gauche. Mis à part sa coiffure souple et un peu négligée, et une longue barbe naturelle, aucun attribut ne vient confirmer son identité, tout simplement parce qu’il s’agirait d’ajouts superfétatoires : ce sont précisément ces traits spécifiques qui permettent d’identifier André, frère de Pierre, pêcheur comme lui, disciple du Baptiste [4] avant de devenir l’un des apôtres de Jésus, le premier à être appelé, d’où son surnom de Protoclet.
À l’opposé, sur la gauche, la figure du jeune diacre est reconnaissable entre toutes : il s’agit du proto-martyr (premier martyr) Etienne, que sa figure juvénile, la dalmatique de diacre qu’il a revêtue, et les traces de sang que l’on voit sur son crâne tonsuré, comme les stigmates des blessures causées par les pierres reçues lors de sa lapidation, l’identifient infailliblement. Il représente ici le stade embryonnaire de ce qui deviendra, avec les siècles, l’institution de l’Église temporelle et spirituelle. Le nom grec d’Etienne (Stephanos) signifie “couronne”. La couronne était, avant la palme qui lui succédera, le symbole du martyre.
Une boucle de signification vient de se refermer, et de se conclure sous nos yeux : l’image d’Etienne est mise en rapport dans l’espace avec celle de Paul (de la même manière qu’André était mis en relation étroite avec Pierre et que ce dernier est, à son tour, le pendant de Paul, tous les deux étant inséparables, ou presque, dans les figurations peinte), selon un jeu d’échos successifs qui vient unir les quatre figures comme quatre des colonnes fondamentales de la doctrine chrétienne. Au centre, la Vierge à l’Enfant assume le rôle de Mère d’une Église qu’elle symbolisera visuellement à elle seule, un siècle plus tard, dans les peintures des Écoles du Nord (Van Eyck).
[1] Mario Salmi (« La donazione Contini Bobacossi », Bolletino d’arte del Ministero della Pubblica Istruzione, 52, 1967, p. 223) fait le point sur les différentes attributions du triptyque, depuis la référence à l’école de Duccio (Mostra dell’antica arte senese, 1904, Catalogo generale, p. 60), jusqu’à celle faite à un émule (seguace) de Ugolino dans l’explosion consacrée à Duccio en 1912, avant d’être attribué à Ugolino en 1955 (Gertrude Coor, « Contribution to the study of Ugolino di Nerio’s art », Art Bulletin, XXXVII, 1955, p. 64, note 36) puis à la jeunesse de Bartolomeo Bulgarini encore en formation dans l’atelier d’Ugolino (J. H. Stubblebine, Duccio di Buoninsegna and His School, Princeton, 1979, pp. 185-186). Exclu du catalogue des œuvres d’Ugolino par Kanter (« Ugolino di Nerio : Sainte Anne et la Vierge à l’enfant », Annual bulletin. National Gallery of Canada, 5, 1981-1892, pp. 22, 27, note 27), le triptyque le réintègre une bonne fois pour toutes lors de l’exposition Duccio de 2003 (Aldo Galli, Duccio. Alle origini della pittura senese [catalogo a cura di R. Bartalini, L. Bellosi, M. Laclotte], Cinisello Balsamo, 2003, p. 349). D’après Bruno Santi, « Un episodio controverso nella Donazione Contini Bonacossi : il trittico di Ugolino di Nervi da San Giovanni d’Asso », Capolavori ritrovati in terra di Siena. Itinerari d’autunno nei Musei Senesi (cat. d’exposition, 24 septembre 2005 – 9 janvier 2006, a cura di Luciano Bellosi, Gabriele Fattorini, Giulio Paolucci). Milano, Silvana Editoriale – Fondazione Musei Senesi, 2005, p. 101, note 9.
[2] Bruno Santi, « Un episodio controverso nella Donazione Contini Bonacossi : il trittico di Ugolino di Nervi da San Giovanni d’Asso », Capolavori ritrovati in terra di Siena. Itinerari d’autunno nei Musei Senesi (cat. d’exposition, 24 septembre 2005 – 9 janvier 2006, a cura di Luciano Bellosi, Gabriele Fattorini, Giulio Paolucci). Milano, Silvana Editoriale – Fondazione Musei Senesi, 2005, pp. 94-99.
[3] C’est la qualité de citoyen romain qui lui était reconnue qui permit à Paul d’échapper à une mort infamante et cruelle telle que la crucifixion.
[4] L’un, Pierre, d’abord compagnon de Jésus puis guide du groupe des apôtres après la Crucifixion, et l’autre, Paul, persécuteur acharné des premiers chrétiens avant de devenir un infatigable prédicateur, forment un tandem dans lequel l’œuvre de l’un apparaît comme complémentaire de celle de l’autre, ce qui explique leur association constante au sein de l’iconographie des retables.
[5] Les cheveux et la barbe hirsute d’André sont deux traits qu’il empreinte à son premier Maître, Jean, le Baptiste, qui deviennent ses attributs iconographiques en propre, et suffisent à l’identifier, y compris en l’absence de la croix en X (dite de saint André), instrument de son martyre.
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