« Très tôt, les chrétiens ont cru qu’il était possible par certains actes de dévotion – et en particulier les prières – d’abréger les épreuves des âmes après la mort. Ils pensaient en effet qu’une purgation des péchés était possible dans l’au-delà. […]. Cette croyance s’appuyait sur des textes bibliques » [1]Jacques LE GOFF, « La naissance du Purgatoire (XII-XIIIe siècle) », La mort au Moyen Âge, Actes du congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Année 1975, 6, pp. 7-10..
La datation de la « naissance » du Purgatoire, « salle d’attente du Paradis » [2]Jacques Le Goff, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », Communications, Année 2000, 79, p. 298., est discutée par les historiens, qui hésitent entre une « datation haute », qui est celle, par exemple, de Pierre Chaunu, pour lequel le Purgatoire serait apparu dès Augustin d’Hippone, avec la notion de peines expiatrices dans l’au-delà, et d’autre part une « datation basse », celle de Jacques LE GOFF, pour lequel le Purgatoire « proprement dit » ne serait né que dans la seconde moitié du XIIe siècle, vers l’an 1170, en même temps que le mot servant à le nommer.
Le séjour des âmes au Purgatoire relève du Jugement particulier, lequel est antérieur au Jugement dernier. Contrairement au second, dont la sentence binaire exclut définitivement toute option de compromis, le premier offre une chance de rachat. Le temps d’attente des âmes au Purgatoire n’est ni éternel (sa durée, dans le pire des cas, est comprise dans l’intervalle entre le Jugement particulier (après la mort) et le Jugement universel (prévu à la fin des temps) ni voué à l’inaction. « Comme les âmes du Purgatoire sont des âmes élues qui seront finalement sauvées, elles relèvent des anges mais sont soumises à une procédure judiciaire complexe. Elles peuvent en effet bénéficier d’une remise de peine, d’une libération anticipée, non pour leur bonne conduite personnelle, mais à cause d’interventions extérieures, les suffrages des saints. En dehors de la miséricorde divine symbolisée par le zèle des anges à arracher les âmes aux démons, la durée de la peine dépend donc des mérites personnels du défunt acquis pendant sa vie et des suffrages de l’Eglise suscités par les parents et amis du défunt. » [3]Jacques LE GOFF, La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, p. 285. Et « comme les suffrages dépendent en dernier ressort de l’Église – intermédiaire dans la distribution des aumônes, juge des jeûnes et dispensatrice des messes et des eucharisties expiatoires et libératrices -, le temps de l’attente dans le Purgatoire dépend lui aussi en dernier ressort de l’Église. Comme celle-ci se fait payer les indulgences gagnées par les vivants en échange des suffrages pour leurs morts (ce qui sera un des principaux motifs de rupture des réformés, des protestants avec l’Eglise catholique), on peut dire que l’attente dans le Purgatoire est une attente payante. » [4]Jacques LE GOFF, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 299.
« Après le 7° siècle, en Occident, un nouveau mode de christianisme, plus soucieux qu’auparavant des problèmes touchant au mérite, au péché à l’identité, avait besoin d’un univers imaginatif peuplé de visages cernés avec encore plus de clarté, et de saints, et de pécheurs, et de nos chrétiens moyens, les non valde mali, avec lesquels nous avons commencé cet article [5]Voir ci-après, . Un tel christianisme ne voulait pas s’approprier les structures imaginatives de son propre passé chrétien. Le résultat de cette mutation silencieuse mais
définitive est que nombreux sont les éléments d’un christianisme de l’Antiquité tardive qui sont aujourd’hui mal ajustés à nos yeux de médiévistes et de post-médiévistes voire même exotiques. S’est un peu perdue en route la conviction qu’avait l’Antiquité du pouvoir impérial de Dieu, et de la grandeur insondable de la miséricorde divine. La structure majestueuse de l’Au-Delà envisagée par les hommes de l’Antiquité tardive est une des victimes de l’érosion du temps que nous avons tendance à résumer avec cette formule « La naissance du Moyen Age». [6]Peter BROWN, « Vers la naissance du Purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », op. cit., p. 1261.
Le Purgatoire, dont le dogme est définitivement fixé par le concile de Florence (1439), « n’est pas le seul lieu d’attente de l’Au-Delà [7]Jacques LE GOFF, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 300. ». À côté du Purgatoire se trouvent deux autres lieux d’attente : les limbes.
Sources écrites
Les principales sources dans lesquelles on peut repérer les origines du Purgatoire se trouvent dans les textes suivants :
Poursuivre
- Second livre des Macchabées :
« Tous bénirent donc la conduite du Seigneur, le juge impartial qui rend manifestes les choses cachées. Puis, ils se répandirent en supplications pour demander que le péché commis soit entièrement effacé. Le noble Judas exhorta la troupe à se garder de tout péché, ayant sous les yeux le malheur de ceux qui avaient succombé pour avoir commis cette faute. Il organisa une collecte auprès de chacun et envoya deux mille pièces d’argent à Jérusalem afin d’offrir un sacrifice pour le péché. C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde. Mais il jugeait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui meurent avec piété : c’était là une pensée religieuse et sainte. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice d’expiation, afin que les morts soient délivrés de leurs péchés. » (2 Macc 12, 41-46)
- Evangile selon Matthieu :
« C’est pourquoi je vous avertis : tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes mais pas le blasphème contre le Saint-Esprit. Si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais si quelqu’un parle contre le Saint-Esprit, il ne recevra pas le pardon, ni dans la vie présente ni dans le monde à venir. » (Mt 12, 31-32).
- Saint Paul, Lettre au Corinthiens :
« Pour ce qui est du fondement, nul ne peut en poser un autre que celui qui est déjà en place, c’est-à-dire Jésus-Christ. Or on peut bâtir sur ce fondement avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses ou du bois, du chaume ou du torchis de paille. Mais le jour du jugement montrera clairement la qualité de l’œuvre de chacun et la rendra évidente. En effet, ce jour sera comme un feu qui éprouvera l’œuvre de chacun pour en révéler la nature. Si la construction édifiée sur le fondement résiste à l’épreuve, son auteur recevra son salaire ; mais si elle est consumée, il en subira les conséquences. Lui, personnellement, sera sauvé, mais tout juste, comme un homme qui réussit à échapper au feu. » (1 Cor 3, 11-15).
- Saint Augustin, en plusieurs endroits de son œuvre, précise cette croyance en déterminant la durée de l’épreuve dans une période comprise entre le jugement individuel après la mort et le jugement collectif, à la fin des temps. En même temps qu’il soulignait que cette épreuve était « réservée à un petit nombre de pêcheurs mineurs » et qu’elle était « très redoutable » [8]Jacques Le Goff, op. cit., Augustin avait introduit dans l’Église la catégorie des « paroissiens moyens », « foncièrement ambiguë et par là même […] lourde de conséquences et pour la spiritualité de l’Église des vivants et pour l’imaginaire chrétien de l’Au-Delà. Dans l’Enchiridion, son Manuel de la foi chrétienne, il dessinait, en formules lapidaires, une catégorie intermédiaire aux dimensions larges et aux frontières floues – la catégorie des non valde mali, des chrétiens qui sortent de ce monde ni « vraiment bons » – valde boni – ni « vraiment mauvais » – valde mali – mais, simplement, non valde mali – « pas vraiment mauvais […]. De tels paroissiens remplissaient les églises chrétiennes de l’Antiquité tardive. Il importait pourtant que les peccata levia, c’est-à-dire les péchés ‘légers’, presque inconscients, de ces chrétiens trop typiques, ne les excluent pas de tout espoir de salut. » [9]Peter Brown, « Vers la naissance du Purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », Annales HSS, 1997, p. 1249.
- Enfin, « nul n’a d’une façon plus théologiquement orthodoxe et plus littérairement belle décrit ces cinq lieux de l’Au-Delà (l’enfer, le paradis et les trois lieux de l’attente : le purgatoire et les deux limbes) plus le lieu de l’attente terrestre, le paradis terrestre, que Dante Alighieri, grand poète de l’attente. Et le Purgatoire est la pièce maîtresse d’une conception de l’attente qui a promu l’individu, resserré et approfondi les liens entre les vivants et les morts. Un texte du XIIIe siècle dit : « le purgatoire, c’est l’espoir » [10]Jacques Le Goff, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 301..
Iconographie du Purgatoire
Les premières représentations artistiques du Purgatoire apparaissent au milieu du XIIIe siècle.
Notes
1↑ | Jacques LE GOFF, « La naissance du Purgatoire (XII-XIIIe siècle) », La mort au Moyen Âge, Actes du congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Année 1975, 6, pp. 7-10. |
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2↑ | Jacques Le Goff, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », Communications, Année 2000, 79, p. 298. |
3↑ | Jacques LE GOFF, La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, p. 285. |
4↑ | Jacques LE GOFF, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 299. |
5↑ | Voir ci-après, |
6↑ | Peter BROWN, « Vers la naissance du Purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », op. cit., p. 1261. |
7↑ | Jacques LE GOFF, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 300. |
8↑ | Jacques Le Goff, op. cit. |
9↑ | Peter Brown, « Vers la naissance du Purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », Annales HSS, 1997, p. 1249. |
10↑ | Jacques Le Goff, « L’attente dans le Christianisme : le Purgatoire », op. cit., p. 301. |
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