Maniera

Le terme italien maniera (littéralement : manière) rend compte, dans le domaine de l’art, de la manière de faire d’un artiste au sens du style de celui-ci. La première occurence du terme se trouve dans le Libro dell’arte de Cennino Cennini, rédigé entre 1390 et 1437, qui apporte le témoignage le plus détaillé des pratiques d’atelier en vigueur à la fin du Trecento. Le sens du mot y équivaut à celui de style :

  • en tant que figure personnelle et expressive – le modus operandi de chaque artiste
  • comme ensemble de caractéristiques formelles propres à une époque ou une zone géographique déterminées

Giorgio Vasari utilise le mot maniera pour désigner différents domaines du style qui lui servent à distinguer les trois phases, ou âges, dans lesquels se répartissent les Vies :

  • la Manière ancienne, depuis Cimabue et Giotto jusqu’au XVe siècle
  • la Manière moderne, qui commence avec Brunelleschi et Masaccio
  • un troisième âge, qui va de Léonard à Michel-Ange

Vasari fonde sa conception de l’histoire de l’art sur une progression allant crescendo de Giotto à Michel-Ange, à partir de l’affirmation selon laquelle la manière est propre à chacune des cinq avancées fondamentales qui rendraient les second et troisième âges très supérieurs au premier. Mais c’est aussi dans les Vies qu’apparaît pour la première fois le sens péjoratif du terme [1]À partir des années 1600, ce sens péjoratif domine la littérature artistique.. Le concept de maniérisme est le pivot autour duquel s’articule toute la croyance artistique de Vasari. [2]L’ambiguïté du terme provient du fait qu’il contient en soi une contradiction théorique : la manière est toujours quelque chose qui s’oppose à l’imitation fidèle de la réalité, et marque l’opposition entre subjectivité de la manière elle-même et objectivité de la réalité postulée comme a priori. La manière se charge de ses valeurs positives et progressistes en … Poursuivre

Notes

Notes
1 À partir des années 1600, ce sens péjoratif domine la littérature artistique.
2 L’ambiguïté du terme provient du fait qu’il contient en soi une contradiction théorique : la manière est toujours quelque chose qui s’oppose à l’imitation fidèle de la réalité, et marque l’opposition entre subjectivité de la manière elle-même et objectivité de la réalité postulée comme a priori. La manière se charge de ses valeurs positives et progressistes en interprétant une pulsion de dépassement de la nature qui ne contredit pas le fondement nécessaire de l’art dans l’imitation naturelle mais trouve avec elle un moment de synthèse problématique. Ce point de convergence entre la manière et la nature prend la forme de la doctrine de l’electio, c’est-à-dire l’imitation sélective de ce qu’il y a de plus beau dans la nature. Et c’est pour cette raison que chaque fois qu’il parle du maniérisme comme d’un progrès de l’art moderne, Vasari associe le concept d’electio à cette catégorie esthétique par une allusion à l’antique anecdote de Zeuxis et des filles de Crotone.
Cependant, il y a un revers à la médaille quand Vasari reconnaît un décalage dans la relation délicate entre les deux pôles, celui du dépassement et celui de la fidélité à la vérité, celui du subjectif et celui de l’objectif. Dans ce cas, le jugement négatif sur l’artiste (ou l’école) est le résultat d’un tel déséquilibre. Si dans l’œuvre ou chez l’artiste le style est déséquilibré en penchant vers le vrai, alors Vasari se plaint de l’absence de toute beauté idéale. L’artiste est alors accusé de diligence excessive ou de manque de conception.
Si, en revanche, la balance penche du côté du dépassement, donnant ainsi lieu à un excès de manière, alors le terme se teinte de nuances dépréciatives, finissant par se heurter au concept limitatif ou péjoratif que Vasari résume dans l’expression de « tirer la pratique ». Vasari déclare que la meilleure solution consiste à étudier ensemble la manière et les choses naturelles. En tant qu’empreinte subjective que l’artiste instille dans son travail, la manière n’est ni une vertu ni un défaut mais une conséquence essentielle. Elle prend des valeurs positives lorsqu’elle est basé sur l’electio et exprime le dépassement par l’artiste de la simple imitation passive de la nature. Elle devient un défaut lorsque l’équilibre entre sujet et objet, art et nature, est rompu soit parce que la manière d’un autre artiste s’y superpose, soit parce que le premier tend à prédominer sur le second en raison de la prévalence de la pratique. Dans les deux cas, il y aura un excès de manière et un manque conséquent d’imitation naturelle. Vasari ne condamne pas la manière – qui est selon lui l’un des facteurs qualificatifs de l’art moderne – mais son excès qui se manifeste soit sous la forme d’une pratique répétitive, soit comme un écart exagéré à la pratique de la vraie ressemblance. Il n’est donc pas contradictoire que ce soit Vasari lui-même, en tant que porte-parole d’une tendance artistique qui aspire avant tout à atteindre la manière, d’être le premier à prendre conscience des risques et des tentations implicites dans sa propre poétique. Dans le « Proemio » au Troisième Âge des Vies, il donne une interprétation des événements observés dans les arts figuratifs allant du XVe siècle à Michel-Ange dans une perspective maniériste.