Margarito di Magnano, « Croce dipinta »

Margarito di Magnano dit Margarito d’Arezzo (documenté à Arezzo en 1269)

Croce dipinta (Croix peinte), v. 1255.

Tempéra sur panneau, 185 x 124 x 3,2 cm.

Inscriptions :

  • (dans le titulus crucis) : « [IH]S NAZAR(ENUS) REX IUDEOR(UM) » [1]« Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum » (« Jésus de Nazareth, roi des Juifs »). L’inscription, d’une ironie méprisante, écrite en trois langues (hébreux, grec et latin), fut placée sur la croix par ordre de Ponce Pilate.

Provenance inconnue. [2]Si la provenance de la croix peinte est inconnue, il est toutefois probable qu’elle ait pour origine Arezzo, ville dans les environs de laquelle les Saracini possédaient des terres. De plus, si l’on tient également compte du fait que, au XIIIe siècle, le diocèse d’Arezzo s’est étendu jusqu’aux portes de Sienne, il ne semble pas du tout fortuit que les vicissitudes de … Poursuivre

Sienne, Palazzo Chigi Saracini, Collezione Chigi-Saracini, Banca de Monte dei Paschi di Siena.

Probablement exécutée vers 1255 par Margarito di Magnano, cette croix peinte est l’une des plus anciennes visibles sur le territoire siennois. L’œuvre représente, conformément à l’iconographie du Christus Trumphans (Christ triomphant) que l’on rencontre encore dans la Toscane du XIIIe siècle [3]Assez répandue en Italie centrale au XIIe s., cette iconographie devient plus rare au XIIIe s. et disparaît complètement ensuite., un Christ en position frontale, la tête dressée et les yeux ouverts, triomphant de la mort. Sa qualité artistique lui vaut d’être incluse parmi les œuvres les meilleures et les plus abouties de l’artiste d’Arezzo. Ce qui surprend au premier abord, outre sa beauté révélée à la fois par la richesse de son chromatisme et son graphisme épuré, c’est la silhouette générale de l’œuvre dont le caractère gracile et élancé est très inhabituel. Celui-ci tient au fait que l’œuvre a été découpée et privée ainsi des tabelloni, ou panneaux de bois qui, à l’origine, flanquaient le Christ attaché sur la croix et venaient ajouter des éléments de narration propres à augmenter l’éloquence de l’image. On sait par exemple que deux de ces panneaux, de part et d’autre du Christ, comportaient les figures éplorées de la Vierge et de Jean, et l’on peut faire l’hypothèse que de plus petits compartiments mettaient en scène des anges, notamment de chaque côté du clipeus où apparaît le Christ bénissant [4]Deux trous percés dans l’épaisseur du bois de chaque côté du cercle où apparaît le Christ Pantocrator, pourraient justifier l’hypothèse qu’une cimaise de format rectangulaire, obtenue par l’ajout de tablettes de bois de part et d’autre ait pu être présente à cet emplacement., comme on peut en voir dans d’autres exemples antérieurs [5]Voir, par exemple, le Christus triumphans e scene cristologiche d’un artiste pisan anonyme du début du XIIe s. (Pise, Museo Nazionale di San Matteo)..

“Il n’est pas surprenant que l’abdomen du Christ soit traité selon une schématisation en trois parties : cette solution a été introduite dans certaines croix de la fin du XIIe siècle, si l’on en juge par les croix qui nous sont parvenues, comme celle de la cathédrale de Spolète [6]Voir : Alberto Sotio, Croce dipinta. signée par Alberto Sotio (1187), alors qu’il est beaucoup plus rare de voir – comme dans le cas présent – une nette définition des muscles des bras ou du muscle oblique externe de l’abdomen. Les cheveux du Christ sont subtilement striés et tombent sur ses épaules, se rassemblant en trois longues mèches de chaque côté, semblables à ce qui se passe dans une croix peinte par le ‘Maestro del Bigallo’ (Rome, Galerie Nationale d’Art Ancien du Palais Barberini), personnalité anonyme reconstituée par Richard Offner, tantôt considéré comme pisan, tantôt comme florentin d’influence lucquoise en raison de ses relations présumées avec Berlinghiero Berlinghieri [7]Berlinghiero Berlinghieri (Volterra, v. 1175 – Lucca (?), 1235 ou 1236) : peintre actif à Lucca de 1228 à 1232.. Le pagne bleu du Christ siennois est presque identique à celui que Margarito a peint dans une autre croix qui se trouvait anciennement dans la Pieve di Santa Maria à Arezzo (aujourd’hui au Musée national d’art médiéval et moderne d’Arezzo) : tous les deux sont constitués de petits plis géométriques qui descendent de manière peu naturelle vers le bas, et comportent une sorte de ceinture autour de laquelle s’enroule une série de draperies qui se termine par un nœud juste au-dessous du nombril du Rédempteur.” [8]Valentino Anselmi, “Christus Triumphans”, Ritorno alla luce. Opere restaurate provenienti dalle collezioni della Banca Monte dei Paschi (cat. d’exp. Sienne), Sienne, Monte dei Paschi di Siena, 2015.

Dans ce délicat et fragile chef-d’œuvre au chromatisme vibrant, l’emploi de couleurs vives, aux tons saturés et lumineux, de même que l’usage de pigments précieux tels que le bleu outremer, de laques et d’or pourraient surprendre s’agissant d’une Crucifixion. Pour en comprendre pleinement la signification, il faut prendre en compte le fait que l’ensemble des éléments plastiques déterminent ici la représentation non pas de la mort du Christ mais celle, symbolique, de son triomphe sur la mort, qui demeure le sens premier véhiculé par l’iconographie du Christus triumfans. La ligne épurée et insistante qui décrit les contours et dessine les détails en les stylisant est directement influencée par l’art byzantin. En revanche, la plasticité du rendu raffiné des volumes au moyen d’un discret clair-obscur se rapproche davantage de la peinture romane du sud de l’Italie.

Notes

Notes
1 « Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum » (« Jésus de Nazareth, roi des Juifs »). L’inscription, d’une ironie méprisante, écrite en trois langues (hébreux, grec et latin), fut placée sur la croix par ordre de Ponce Pilate.
2 Si la provenance de la croix peinte est inconnue, il est toutefois probable qu’elle ait pour origine Arezzo, ville dans les environs de laquelle les Saracini possédaient des terres. De plus, si l’on tient également compte du fait que, au XIIIe siècle, le diocèse d’Arezzo s’est étendu jusqu’aux portes de Sienne, il ne semble pas du tout fortuit que les vicissitudes de certaines œuvres d’Arezzo puissent y être entremêlées, comme cela fut le cas pour un retable de Gregorio et Donato d’Arezzo, Santa Caterina d’Alessandria e storie della sua vita, retirée d’un oratoire arétin par un aïeul de l’épouse de Galgano Chigi, un temps conservée dans le palais de Fabio Chigi auquel, en 1903, le ministre de l’Instruction Publique écrivit pour lui intimer l’ordre de « remettre le panneau dans son lieu d’origine ». Cette lettre eut visiblement peu de succès puisque l’œuvre passa peu de temps après sur le marché de l’art avant de s’envoler pour les Etats-Unis. (Roberto Bartalini, « Da Gregorio e Donato ad Andrea di Nerio : vicende della pittura aretina del Trecento », A. Galli et P. Refice (dir.), Arte in terra d’Arezzo, Florence, Edifir, 2005, p. 17, 18-19 note 26).
3 Assez répandue en Italie centrale au XIIe s., cette iconographie devient plus rare au XIIIe s. et disparaît complètement ensuite.
4 Deux trous percés dans l’épaisseur du bois de chaque côté du cercle où apparaît le Christ Pantocrator, pourraient justifier l’hypothèse qu’une cimaise de format rectangulaire, obtenue par l’ajout de tablettes de bois de part et d’autre ait pu être présente à cet emplacement.
5 Voir, par exemple, le Christus triumphans e scene cristologiche d’un artiste pisan anonyme du début du XIIe s. (Pise, Museo Nazionale di San Matteo).
6 Voir : Alberto Sotio, Croce dipinta.
7 Berlinghiero Berlinghieri (Volterra, v. 1175 – Lucca (?), 1235 ou 1236) : peintre actif à Lucca de 1228 à 1232.
8 Valentino Anselmi, “Christus Triumphans”, Ritorno alla luce. Opere restaurate provenienti dalle collezioni della Banca Monte dei Paschi (cat. d’exp. Sienne), Sienne, Monte dei Paschi di Siena, 2015.

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