
Pietro Lorenzetti (Sienne, actif de 1306 à 1344)
Crocifissione (Crucifixion), 1336.
Fresque détachée,
Provenance : Salle capitulaire du couvent de San Francesco, Sienne.
Sienne, église de San Francesco.
La Crucifixion peinte par Pietro Lorenzetti est l’une des sept fresques appartenant à un cycle peint dans la salle capitulaire du couvent en collaboration avec son frère Ambrogio. Selon la tradition franciscaine, cette Crucifixion en constituait l’épisode central autour duquel s’organisaient différentes scènes complémentaires comme autant de satellites. Détachée en 1857, elle a également été séparée physiquement des autres éléments du cycle subsistantes, et placée dans la chapelle où elle est encore visible aujourd’hui. Disons le tout net, le mot visible convient bien mal, tant la hauteur où elle a été placée, l’absence de recul suffisant dans une chapelle trop étroite, et dont l’accès est le plus souvent interdit, rendent difficile une vision correcte de l’œuvre [1]La remarque vaut également pour la Profession publique de Louis d’Anjou et le Martyre des Franciscains dans la chapelle voisine..
La Crucifixion est dominée par la croix du Christ qui sépare verticalement en deux parties égales le format de l’ensemble. La composition est d’une efficacité et d’une nouveauté particulièrement remarquable : en resserrant le cadrage pour ne conserver que le sommet de la scène sur un fond rouge d’une éloquence sur laquelle nous reviendrons, Pietro focalise l’attention sur le Christ. Mais ce n’est pas tout. Les figures des témoins de la scène sont visuellement projetées vers l’avant par l’effet de gros plan qui, en plaçant une partie de leur silhouette hors du champ de l’image, les fait apparaître en demi bustes [2]Chiara Frugoni note que la partie basse de la fresque a pu être découpée lors l’opération dite strappo (Chiara FRUGONI, Pietro e Ambrogio Lorenzetti. Firenze, Le Lettere, rééd. 2010, p. 100).. Par le même stratagème résultant d’une composition étonnamment moderne, d’une exceptionnelle clarté et d’une lisibilité parfaite, la cohorte des anges subit également cette projection vers l’avant qui les place sous les yeux du spectateur.
Indépendamment du Christ dont la solitude sur la croix demeure irrémédiable, ce sont trois groupes distincts qui se trouvent ainsi formés, selon un ordonnancement qui rend immédiatement perceptible la gamme des différents sentiments éprouvés par chacun d’eux : celui des anges, celui des saintes femmes et celui des témoins.
Une véritable explosion dramatique vient de se produire au sommet de l’image [3]À l’origine, la hauteur de la fresque était plus importante ; elle a été réduite par l’ouverture d’une fenêtre dans la paroi peinte à une époque ultérieure. : un impressionnant tourbillon d’anges crie sans retenue son désespoir, lequel est rendu visible à la fois par le mouvement giratoire vertigineux que les créatures célestes décrivent autour de la croix et par la diversité de leurs attitudes et de leurs expressions dont l’éloquence est particulièrement vibrante [4]Giotto lui-même semble avoir été l’inspirateur de ces figures que l’on voit également à Assise dans la grande Crucifixion peinte par Pietro peu de temps avant son intervention dans le chapitre franciscain, à Sienne.
À gauche, le groupe des saintes femmes soutenant Marie sur le point de défaillir, donne à voir des sentiments d’une toute autre retenue, comme si la douleur était si brûlante qu’elle ne parvenait pas tout-à-fait à s’extérioriser. Légèrement à l’écart du groupe des femmes, la figure juvénile de Jean, la tête dans les épaules, les mains serrées à en devenir violacées [5]La position des mains aux doigts entrelacés est un code généralement exploité pour exprimer un violent désespoir. exprime une même souffrance silencieuse, résignée mais non exempte d’angoisse.
Du côté opposé, on reconnaît, dans le groupe des figures masculines, Longin, puis un soldat se retournant la mine interloquée, enfin le centurion Corneille suivi du groupe des membres du Sanhédrin en grand conciliabule. Longin et Corneille portent l’auréole hexagonale qui les désigne tous les deux comme saints, déjà convertis mais n’ayant pas encore reçu le baptême. Tous les deux portent leur main droite vers la poitrine, signe qu’ils viennent de reconnaître dans la figure de l’homme crucifié sur lequel ils portent un long regard soutenu, celle du Christ.
La silhouette du Christ lui-même est traitée d’une manière exceptionnelle, avec une attention extrême portée aux modelés rendus par le jeu de la lumière et des ombres qui souligne les détails anatomiques et rend visible l’étirement musculaire d’un corps vraiment mort, selon des observations que Pietro a vraisemblablement pu effectuer au contact de la sculpture de Giovanni Pisano aisément visible à Sienne. Ce corps se détache sur un fond rouge carmin foncé, brûlant et privé d’horizon. Cette couleur, qui confère à la scène une dimension dramatique particulière ne résulte cependant pas d’un choix du peintre mais du délitement – aggravé par les opérations effectuées lors du détachement – de la couleur bleu outremer qui devait, comme à Assise, en parachever l’aspect nocturne.
Notes
1↑ | La remarque vaut également pour la Profession publique de Louis d’Anjou et le Martyre des Franciscains dans la chapelle voisine. |
---|---|
2↑ | Chiara Frugoni note que la partie basse de la fresque a pu être découpée lors l’opération dite strappo (Chiara FRUGONI, Pietro e Ambrogio Lorenzetti. Firenze, Le Lettere, rééd. 2010, p. 100). |
3↑ | À l’origine, la hauteur de la fresque était plus importante ; elle a été réduite par l’ouverture d’une fenêtre dans la paroi peinte à une époque ultérieure. |
4↑ | Giotto lui-même semble avoir été l’inspirateur de ces figures que l’on voit également à Assise dans la grande Crucifixion peinte par Pietro peu de temps avant son intervention dans le chapitre franciscain, à Sienne |
5↑ | La position des mains aux doigts entrelacés est un code généralement exploité pour exprimer un violent désespoir. |