Taddeo di Bartolo, Polyptyque de San Domenico, à Gubbio

Hypothèse de reconstitution du polyptyque : composition de Dóra Sallay et Gergely Buzàs, spécifications de Gail Solberg, dans Gail E. Solberg (sous la direction de), Taddeo di Bartolo (catalogo della mostra. Perugia, galleria Nazionale dell’Umbria, 7 mars – 7 juin 2020). Cinisello Balsamo (Milano), Silvana Editoriale, 2020, p. 293.

Taddeo di Bartolo (Asciano, v. 1363 – Sienne, 1422)

Polyptyque de Gubbio (panneau central ; Vierge à l’Enfant et anges ; volets latéraux : saint évêque, Jean Baptiste, Jacques le Majeur, Marie Madeleine ; quatre tablettes provenant des pilastres : San Gregorio Magno, Beato Ambrogio Sansedoni, Santo Stefano, Santo vescovo ; quatre gâbles du couronnement : Pietro martire, Luca, Matteo, Tommaso d’Aquino ; gâble central : Rédempteur bénissant), 1418 (daté et signé au bas du panneau central).

Pentaptyque [1]Polyptyque composé de cinq compartiments dans le registre principal. démembré. Tempéra sur panneau, dimensions (voir plus bas).

Inscriptions :

  • (à la base du cadre, dans une rangée de dix quadrilobes) : « TA/D(E)/US / SEN/IS P/INX/IT. H/OC. / OPUS / 1418 » [2]« Tadeus de Senis pinxit hoc opus 1418 » (« Taddeo de Sienne peignit cette œuvre en 1418 »).
  • (dans l’auréole de la Vierge) : « MATER PULCHRE DILECTIONIS » [3]« […] ego mater pulchrae dilectionis et timoris et agnitolis et sancta spei » (Je suis la mère du bel amour, et de la peur, et de la connaissance, et de la sainte espérance.) Siracide 24, [17] 24.
  • (sur le long phylactère de Jean Baptiste) : « ECCE AGNUS DEI ECCE QUI TOLLIT PECC(A)T(A) MUNDI » [4]« Ecce Agnus dei qui tollit peccata mundi » (« Voici l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ») Évangile selon Jean (1, 28).

Provenance : église de San Domenico, à Gubbio.

Signé et daté sur un mode inhabituel par le siennois Taddeo di Bartolo en 1418, le grand polyptyque a été démembré vers 1765, lorsqu’il fut question de rénover entièrement l’intérieur de l’église. Les cinq compartiments principaux sont maintenant conservés en Amérique, où ils sont parvenus par la médiation du marchand et critique d’art Frederick Mason Perkins qui, sans mentionner explicitement le fait qu’ils provenaient tous d’un même ensemble, les publia en 1908 [5]Frederick Mason PERKINS, « Ancora dei dipinti sconosciuti della scuola senese », dans Rassegna d’Arte senese, IV (1908), p.8.. Dans l’article concerné, il situe la provenance du panneau central dans la collection romaine des princes de Torlonia, propriétaires de vastes étendues de terres sur le territoire de Gubbio. Curieusement, parlant des quatre saints qui encadraient le panneau central, Perkins met en évidence leur appartenance à un même polyptyque mais souligne cependant la perte du compartiment central, alors que c’est probablement par son entremise que la dispersion des cinq panneaux sur le marché américain a été rendue possible. C’est aussi Perkins qui fait état des huit tablettes (revenues depuis au Palais ducal [2017]) comme « parties latérales d’un grand polyptyque », indiquant leur emplacement à cette époque dans la résidence florentine du comte Umberto Serristori [6]Celui-ci avait acquis l’ensemble en 1907, lors de la vente aux enchères romaine de la collection Nevi-Caccialupi, qui comprenait également d’autres œuvres provenant du Palazzo Ranghiasci de Gubbio, confirmant ainsi leur origine eugubine..

En 1994, Gail Elisabeth Solberg propose [7]Gail E. SOLBERG, Taddeo di Bartolo a polyptych to reconstruct, Memphis, “Brooks Museum Bulletin: Essays on the collection”, pubblicato in occasione della mostra A Renaissance reunion: Reconstructing a Kress Italian altarpiece, Memphis Brooks Museum of Art, Memphis, Tenn. 1994. l’hypothèse de reconstitution du polyptyque suivante : dans le registre principal, la Vierge à l’Enfant au centre et, de part et d’autre et de gauche à droite, un Saint Évêque, Jean Baptiste, Jacques le Majeur et Catherine d’Alexandrie ; considérant que la figure de Dominique, saint le plus important de l’ordre, « ne pouvait manquer » de figurer à l’une des places d’honneur dans le registre principal, elle augmente à sept le nombre des volets, en y ajoutant également la figure d’un saint évêque amputée de sa base, afin de préserver la symétrie de l’ensemble.)) ; les huit petites figures de saints du Palais ducal de Gubbio au-dessus des compartiments principaux ; parmi les tablettes du registre supérieur le Christ Rédempteur (Rome, Collège teutonique). Dans le catalogue de l’exposition de 2020 [8]Gail E. SOLBERG (sous la direction de), Taddeo di Bartolo (cat. d’exp. Perugia, galleria Nazionale dell’Umbria, 7 mars – 7 juin 2020). Cinisello Balsamo, Milano, Silvana Editoriale, 2020, p. 260., Gail Solberg, considérant que saint Dominique, sous le patronage duquel est placé l’église où se trouvait l’œuvre, « ne pouvait manquer d’y figurer », présente l’hypothèse séduisante d’un polyptyque composé de sept volets principaux. À cet effet, elle ajoute également un saint évêque (dont elle ne mentionne cependant pas l’origine ni l’identité) afin de préserver la symétrie de l’ensemble (voir figure ci-dessus, en introduction du présent article).

Eléments provenant du polyptyque de Gubbio
1
  • Cristo Redentore. Tempera sur panneau, 61 x 35 cm. Città del Vaticano, Arciconfraternita di Santa Maria della Pietà presso il Camposanto Teutonico. On notera que la figure « large et vigoureuse » du Christ, « aux contours décisifs » et aux « traits essentiels [9]Gail E. SOLBERG (sous la direction de), op. cit., pp. 258-260. » n’est pas en train d’effectuer le geste d’une bénédiction, mais, la main droite levée, présente une paume ensanglantée en même temps qu’il indique, de l’index de sa main gauche, marquée du même stigmate, la blessure qu’il porte sur son torse opportunément dénudé.
2
  • The Virgin and Child with Angels (Vierge à l’Enfant avec anges), 1418. Tempéra sur panneau, 175,5 x 88,7 cm. Inscriptions (par fragments dans les quadrilobes situés au bas de l’œuvre) : « TA/D(E)/US / SEN/IS P/INX/IT. H/OC. / OPUS / 1418 ». Cambridge (MA), Fogg Art Museum.

Les quatre volets représentent des figures de saints en pied proviennent de l’ancienne collection Dan Fellows Platt à Englewood (New Jersey) ; passés plus tard dans les collections de Samuel Kress, ils sont maintenant répartis dans deux collections publiques américaines) :

3
4
  • Saint John the Baptist (Saint Jean Baptiste), 1418. Tempera sur panneau, 148,6 x 43,8 cm. Memphis (Tennessee), Memphis Brooks Museum of Art.
  • Saint James Major (Saint Jacques le Majeur), 1418. Tempera sur panneau, 147 x 43.5 cm. Memphis (Tennessee), Memphis Brooks Museum of Art.
5
6
  • A Bischop (Un saint Évêque), 1418. Tempera sur panneau, 149,5 x 43,5 cm. New Orleans (Louisiana), New Orleans Museum of Art.
  • Saint Catherine of Alexandria (Sainte Catherine d’Alexandrie), 1418. Tempera sur panneau, 147,6 x 44,4 cm. New Orleans (Louisiana), New Orleans Museum of Art.
7
9
11
13
8
10
12
14
  • Huit tablettes du Palazzo Ducale, à Gubbio, parmi lesquelles :
    • quatre gâbles :
      • Pietro Martire (Pierre Martyr), 1418. Tempera sur panneau, 36/37 x 22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 11)
      • Luca (Luc), 1418. Tempera sur panneau, 36/37 x 22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 7)
      • Matteo (Matthieu), 1418. Tempera sur panneau, 36/37 x 22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 8)
      • Tommaso d’Aquino (Thomas d’Aquin) [10]Inscriptions sur le livre de Thomas d’Aquin : « Veritatem meditabitur guttur meum. » (Proverbes 8, 7)., 1418. Tempéra sur panneau, 36/37 x 22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 12)
    • quatre tablettes de pilastres
      • Gregorio Magno (Grégoire le Grand), 1418. Tempera sur panneau, 48 x 21/22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 10)
      • Ambrogio Sansedoni [11]Inscriptions sous le portrait d’Ambrogio Sansedoni : « Ambroxius de Senis »., 1418. Tempera sur panneau, 48 x 21/22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (Fig. 9)
      • Stefano (Étienne), 1418. Tempera sur panneau, 48 x 21, 3 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 14)
      • Santo vescovo (Ubaldo ? Martino di Tours ?) [12]Compte tenu du contexte, deux noms peuvent être proposés pour identifier cet évêque : Ubaldo, élu à la chaire eugubine (de Gubbio [en latin médiéval : Eugubium]) en 1129, canonisé en 1192 et devenu le saint patron de la ville, ou Martin de Tours, à qui l’église, détruite à la fin du XIIIe siècle pour faire place à celle de San Domenico était dédiée.. Tempera sur panneau, 48 x 22 cm. Gubbio, Palazzo Ducale. (fig. 13)

Ces huit tablettes avec des saints ont figuré dans la résidence florentine du comte Umberto Serristori qui les avait achetés, en 1907, à la vente aux enchères romaine de la collection Nevin Caccialupi ; auparavant dans la collection Ranghiasci de Gubbio, où ils ont convergé immédiatement après avoir quitté l’église de Saint-Dominique. C’est une nouvelle vente aux enchères qui a permis, en 2017, grâce à un achat avec préemption de l’État italien, que ces huit panneaux reviennent à Gubbio où ils sont exposés dorénavant à demeure au Palais ducal.

Mode actuel d’exposition des huit panneaux au Palazzo Ducale de Gubbio.

Les huit figures, bien que constituant les fragments d’une composition plus importante, présentent les principales caractéristiques de l’évolution du style de Taddeo di Bartolo a l’époque de la réalisation du polyptyque. Celle-ci se traduit par un dessin d’une savante fluidité, un rendu des volumes souligné par le jeu du clair-obscur, la remarquable délicatesse des traits des personnages. Les lignes sinueuses des manteaux des deux saints évêques forment le pendant gothique de figures plus solides telles que Pierre Martyr, Thomas d’Aquin et le bienheureux Ambrogio Sansedoni, qui font état, quant à eux, d’une plus grande plasticité et d’un rendu volumétrique parfaitement crédible. Étienne, de même que les deux évangélistes Luc et Matthieu, sont traités avec un geste d’une grande agilité dans la description des détails des vêtements (en particulier dans les bordures dorées) et viennent confirmer la maîtrise des moyens techniques de Taddeo qui s’exprime dorénavant, avec une grande habileté, non seulement dans des œuvres de grande taille, mais aussi dans les plus petits détails qui participent à la réalisation des machines d’autel particulièrement élaborées qu’il exécute au cours des premières années du Quattrocento.

Hypothèse d’une prédelle
Hypothèse de reconstruction de Stefano G. Casu.

Stefano Casu [13]Stefano G. CASU, The Pittas Collection, Early Paintings (1200-1530). Florence, Mandragora, 2014. propose d’ajouter au registre principal, qui ne comprend cependant que cinq volets, une prédelle dont il identifie les quatre compartiments suivants :

Notes

Notes
1 Polyptyque composé de cinq compartiments dans le registre principal.
2 « Tadeus de Senis pinxit hoc opus 1418 » (« Taddeo de Sienne peignit cette œuvre en 1418 »).
3 « […] ego mater pulchrae dilectionis et timoris et agnitolis et sancta spei » (Je suis la mère du bel amour, et de la peur, et de la connaissance, et de la sainte espérance.) Siracide 24, [17] 24.
4 « Ecce Agnus dei qui tollit peccata mundi » (« Voici l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ») Évangile selon Jean (1, 28).
5 Frederick Mason PERKINS, « Ancora dei dipinti sconosciuti della scuola senese », dans Rassegna d’Arte senese, IV (1908), p.8.
6 Celui-ci avait acquis l’ensemble en 1907, lors de la vente aux enchères romaine de la collection Nevi-Caccialupi, qui comprenait également d’autres œuvres provenant du Palazzo Ranghiasci de Gubbio, confirmant ainsi leur origine eugubine.
7 Gail E. SOLBERG, Taddeo di Bartolo a polyptych to reconstruct, Memphis, “Brooks Museum Bulletin: Essays on the collection”, pubblicato in occasione della mostra A Renaissance reunion: Reconstructing a Kress Italian altarpiece, Memphis Brooks Museum of Art, Memphis, Tenn. 1994.
8 Gail E. SOLBERG (sous la direction de), Taddeo di Bartolo (cat. d’exp. Perugia, galleria Nazionale dell’Umbria, 7 mars – 7 juin 2020). Cinisello Balsamo, Milano, Silvana Editoriale, 2020, p. 260.
9 Gail E. SOLBERG (sous la direction de), op. cit., pp. 258-260.
10 Inscriptions sur le livre de Thomas d’Aquin : « Veritatem meditabitur guttur meum. » (Proverbes 8, 7).
11 Inscriptions sous le portrait d’Ambrogio Sansedoni : « Ambroxius de Senis ».
12 Compte tenu du contexte, deux noms peuvent être proposés pour identifier cet évêque : Ubaldo, élu à la chaire eugubine (de Gubbio [en latin médiéval : Eugubium]) en 1129, canonisé en 1192 et devenu le saint patron de la ville, ou Martin de Tours, à qui l’église, détruite à la fin du XIIIe siècle pour faire place à celle de San Domenico était dédiée.
13 Stefano G. CASU, The Pittas Collection, Early Paintings (1200-1530). Florence, Mandragora, 2014.