
Ambrogio Lorenzetti (documenté de 1319 à 1348)
La Madonna col Bambino e le sante Maria Maddalena e Marta. Polittico della Maddalena (Vierge à l’Enfant et les saintes Marie Madeleine et Marthe. Polyptyque de la Madeleine), vers 1342-1344.
Tempéra et or sur panneau, dimensions : voir chaque panneau.
Provenance : couvent de Sainte Pétronille à la Porta Tufi, Sienne.
Sienne, Pinacoteca Nazionale.
L’œuvre n’a été attribuée à Lorenzetti qu’au milieu du XIXe siècle. Guglielmo della Porta, à la fin du siècle précédent, avait
l’ouverture grillagée au centre du polyptyque, le « comunichino », qui permettait de donner la communion aux sœurs recluses derrière la clôture du couvent.
Le polyptyque constitue un assemblage de figures, toutes d’une beauté magnifique, puissantes et monumentales et, de fait, très représentatives de la période culminante de l’art d’Ambrogio Lorenzetti. La présence physique des personnages qui remplissent tout l’espace disponible, la capacité du peintre à caractériser les figures par des expressions et des attitudes toujours justes, les rapports chromatiques harmonieux et subtils sont autant de caractéristiques du génie d’Ambrogio. Malgré cela, Ambrogio ne se limite pas à une simple juxtaposition de saints autour de la Vierge. Son intention est plus subtile, ce qui ne peut étonner chez un peintre que Giorgio Vasari a pu qualifier de « gentilhomme et philosophe plutôt qu’artisan ». Dans l’assemblage des panneaux, on peut envisager comme un raccourci de l’histoire du salut, depuis l’origine de l’humanité jusqu’à la fin des temps. C’est ce que font observer les historiens de l’art Roberto Bartalini et Raffaele Marrone [1]Roberto Bartalini, Raffaele Marrone, « La Morte e la Salvezza. La (cosiddetta) ‘Allegoria della Redenzione’ di Ambrogio Lorenzetti e la confraternita senese dei Disciplinati », Prospettiva, 186 (Avril 2022), p. 17., se fondant sur deux symboles présents dans l’œuvre, qui constituent deux véritables raretés iconographiques :
À gauche, l’incipit de l’Evangile selon Jean (« Au commencement était le Verbe ») fait l’objet d’une sorte de paraphrase visuelle au moyen de l’extraordinaire figure qu’il tient à la main, un disque, symbole de l’origine et de la création de l’univers. Au centre de celui-ci se détache le visage de l’Enfant-Jésus, futur Rédempteur de l’humanité.
À l’autre extrémité du polyptyque, l’arbre dans lequel est planté une hache que l’on aperçoit derrière le Baptiste traduit visuellement une citation du Précurseur rapportée de manière identique par les évangélistes Matthieu et Luc : « Déjà la cognée est mise à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu » [2]Mt 3, 10 ; Lc 3, 9.. Le symbole fait explicitement allusion à la fin du monde et au Jugement dernier.
Dès lors, il n’est nullement surprenant que le Verbe incarné sous la forme de l’Enfant-Jésus soit représenté sur l’axe vertical, au centre exact du polyptyque (« Vierge à l’Enfant »), ni que le sacrifice rédempteur figuré sous la forme du Christ mort soit représenté au centre de la prédelle, dans la « Complainte sur le Christ mort ».
La figure de Marie Madeleine mérite aussi que l’on s’y attarde. On sait que le Moyen Âge a longtemps confondu et unifié plusieurs saintes en une seule personne :
- la pécheresse anonyme qui répand du parfum sur les pieds du Christ chez Simon le pharisien, et qui est pardonnée pour l’amour qu’elle a ainsi témoigné au Christ
- Marie-Madeleine, possédée par des démons puis guérie par le Christ, et la première à le voir ressuscité
- Marie de Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare qui, prévoyant la mort prochaine du Sauveur, aurait aspergé sa tête d’un précieux parfum lors du dîner de Béthanie
Lorenzetti rend également compte visuellement de cette fusion. Madeleine tient à la main un vase de parfums et, par sa beauté, semble être la pécheresse de la maison du pharisien. Cependant, le visage sanglant du Christ crucifié, qui brille sur sa poitrine, évoque le triste présage qui a ému la sœur de Marthe à Béthanie.
Reconstitution du polyptyque
La présentation actuelle des différents panneaux du polyptyque, dont l’encadrement gothique a complètement disparu, reprend l’hypothèse de reconstitution proposée par Emanuele Zappasodi (2013), selon le dispositif de présentation élaboré pour la grande rétrospective consacrée à Ambrogio Lorenzetti à Sienne (Santa Maria della Scala) en 2017-2018.

- Triptyque central
- Madonna col Bambino (Vierge à l’Enfant), 100,5 x 55,5 cm (fig. 2).
- Inscriptions :
- dans le nimbe de la Vierge : « AVE MARIA GRATIA PLENA DOMINU[S] TE[CUM] » [3]Ave, gratia plena, Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus, … Ces paroles sont issues de la salutation prononcée par l’Archange Gabriel lors de l’Annonciation, rapportées dans l’Évangile selon Luc (Lc 1, 28).
- (dans le nimbe de l’Enfant) : « YhV CRISTI » [4]« Jésus Christ. »
- (sur le rouleau qu’il tient à la main) : « BEATI PAUPER[ES] SP[IRITU] » [5]Beati pauperes spiritu[, quoniam ipsorum est regnum caelorum] (« Heureux les pauvres en esprit[, car le royaume des cieux est à eux] ». Évangile selon Matthieu (Mt 5, 03).
- Inscriptions :
- à gauche (fig. 1) : Maria Maddalena (Marie Madeleine), 87 x 41 cm.
- à droite (fig. 3) : Marta (Marthe), 87 x 41,5 cm.
- Madonna col Bambino (Vierge à l’Enfant), 100,5 x 55,5 cm (fig. 2).
- Panneaux latéraux
- à gauche (fig. 4) : Giovanni Evangelista (Jean l’Évangéliste) , 128 x 42 cm.
- à droite (fig. 5): Giovanni Battista (Jean Baptiste), 128 x 43 cm.
- Inscriptions (dans le phylactère de Jean Baptiste) : « ECCE ANGNIUS DEI ECCE QU[I] TOLL[IT] PECCATA M[UNDI] » [6]Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. [Ecce de quo dicebam vobis: Qui post me venit ante me factus est, cuius non sum dignus corrigiam calciamenti solvere] (« Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. [Voici celui dont je vous disais : Celui qui vient après moi a primauté sur moi, et je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa … Poursuivre
- Prédelle (fig. 6)
- Pianto sul Cristo morto (Déploration du Christ), 49,5 x 140,5 cm. (fig. 6)
- à gauche (fig. 7), de gauche à droite :
- Joseph d’Arimathie ; inscription (dans le nimbe) : « SANTU[S] IOXEP. ARRI[MATEA] »
- Nicodème ; inscription (dans le nimbe) : « SAN – NICHODEMUS »
- Lazare ; inscription (dans le nimbe) : « SA[N[TUS – LAÇARUS »
- Maximin ; inscription (dans le nimbe) : « SANTUS – MASSIMINU[S] »
- La Vierge Marie (pas d’inscription dans le nimbe)
- à droite (fig. 8), de gauche à droite :
- Marthe ; inscription (dans le nimbe de Marthe) : « SANTA – MARTA »
- Marie Madeleine ; inscription (dans le nimbe de Marie Madeleine) : « SANTA – MARIA – MA[…] »
- à gauche (fig. 7), de gauche à droite :
- Pianto sul Cristo morto (Déploration du Christ), 49,5 x 140,5 cm. (fig. 6)
- Panneaux latéraux de la prédelle
- à gauche (fig. 9) : San Massimino vescovo (Saint Maxime, évêque), 46 x 39 cm.
- Inscriptions (dans le nimbe de saint Maxime, évêque) : « SAN[C]TUS – MASSIMINUS – EPISCH[OPUS] »
- à droite (fig. 10) : Sant’Antonio Abate (Saint Antoine abbé), 46 x 39 cm.
- Inscriptions (dans le nimbe de saint Antoine abbé) : « SAN[C]TU[S] – ANTONIUS – EREMITA »
- à gauche (fig. 9) : San Massimino vescovo (Saint Maxime, évêque), 46 x 39 cm.
Notes
1↑ | Roberto Bartalini, Raffaele Marrone, « La Morte e la Salvezza. La (cosiddetta) ‘Allegoria della Redenzione’ di Ambrogio Lorenzetti e la confraternita senese dei Disciplinati », Prospettiva, 186 (Avril 2022), p. 17. |
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2↑ | Mt 3, 10 ; Lc 3, 9. |
3↑ | Ave, gratia plena, Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus, … Ces paroles sont issues de la salutation prononcée par l’Archange Gabriel lors de l’Annonciation, rapportées dans l’Évangile selon Luc (Lc 1, 28). |
4↑ | « Jésus Christ. » |
5↑ | Beati pauperes spiritu[, quoniam ipsorum est regnum caelorum] (« Heureux les pauvres en esprit[, car le royaume des cieux est à eux] ». Évangile selon Matthieu (Mt 5, 03). |
6↑ | Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. [Ecce de quo dicebam vobis: Qui post me venit ante me factus est, cuius non sum dignus corrigiam calciamenti solvere] (« Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. [Voici celui dont je vous disais : Celui qui vient après moi a primauté sur moi, et je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa sandale]. »). Évangile selon Jean (Jn 1, 29). Les paroles sont prêtées par Jean l’Évangéliste à Jean Baptiste « voyant Jésus venir vers lui » sur les bords du Jourdain. |